Adel Herik
Beaucoup de gens se demandent ce qu’est le « système » en Algérie. Pour ma part, je pense que c’est une certaine « culture », des manières de penser et des comportements qui règnent au « dernier étage » de la hiérarchie politico-administrative, dans ce cercle restreint – cette grande famille – où se retrouvent le Chef de l’État, le Chef du Gouvernement, le Président de l’APN et celui du Sénat, les ministres, le Chef de l’EM, etc. Les individus qui occupent les postes changent, mais cette culture reste et se transmet à travers les époques. Et plus un haut responsable se maintient dans le « circuit », plus il s’imprègne de cette culture jusqu’à en devenir un des « gourous ». Après plusieurs décennies de pratique assidue, il finira par devenir un des piliers du système. Tel est le cas de Abdelmadjid Tebboune, par exemple.
Une des caractéristiques fondamentales du système est qu’il tend vers la fossilisation. Les piliers du système sont incapables d’innover, de concevoir de nouvelles manières d’appréhender les problèmes. Ils reproduisent inconsciemment les mêmes schémas de pensée et utilisent toujours les mêmes méthodes, celles que tous les piliers du système finissent par maîtriser parfaitement. Et le résultat importe peu, puisque le système fonctionne en vase clos et n’est contrôlé par aucune instance externe. Les tenants du système ne rendent compte à personne en dehors du cercle restreint de l’étage supérieur, dont les occupants se connaissent tous depuis longtemps et maîtrisent l’art de mentir en permanence au « peuple ».
L’opacité et le mensonge, voilà une autre caractéristique du système qu’on retrouve toujours et que les « grands commis de l’État » se font un devoir de maintenir vivante. Toujours brouiller les pistes, diffuser de fausses informations et des rumeurs afin de décourager toute tentative d’investigation. Le système n’a pas besoin de gens compétents, il a besoin de gens qui savent mentir, travestir la vérité, détourner les regards. Un Ouyahia, un Sellal, un Saadani: voilà de bons modèles pour tous ceux qui veulent faire carrière dans le système. Le système ne cherche pas à réaliser quelque chose de valable, il cherche à se maintenir. Il dissimule, il ment, il triche, il ruse, il manipule afin de toujours sortir indemne.
Une autre constante du système est la « manie » de confectionner des lois, des textes, etc. qui semblent faits pour servir l’intérêt général alors que le but premier qui a motivé leur promulgation est de servir les intérêts particuliers conjoncturels de la caste qui se trouve au sommet et tient les commandes, ceux de ses barons et ses clients. Le système n’est pas un organisme de bienfaisance, même si sa mission principale est la distribution de la rente. Sa raison d’être est d’assurer la continuité d’un état de fait qui profite en premier lieu à une minorité de privilégiés. Il n’y a pas une rationalité économique globale qui sous-tend l’activité du système, puisque la rente pétrolière finance tout. Il y a seulement une logique de survie et de maintien et une perversion générale de plus en plus profonde. Et chaque fois que le prix du baril de pétrole descend en dessous de 50$, c’est la panique.
Le système tel qu’on le voit en 2020 est le produit de toute la période historique qui va du 5 juillet 1962 à ce jour. Chaque phase (1962-65, 65-79, 79-92, 92-99, 99-2019, 2019…) y a laissé une empreinte; certaines choses ont été effacées et d’autres renforcées. Certaines personnes, tout comme le journal El-Moudjahid et le FLN, ont survécu à toutes les phases et on les voit encore aujourd’hui s’affairer dans les cercles du pouvoir ou sa périphérie, malgré tous les changements et toutes les volte-face qu’a connus la scène politique algérienne et malgré leur âge avancé (70-80 ans). C’est pour cela que la maîtrise de l’art de mentir et l’amnésie sont des qualités essentielles chez les cadres supérieurs du système et que les gens qui réfléchissent et posent trop de questions gênantes n’ont aucune chance d’y faire carrière.
Il y a le peuple algérien, l' »État » algérien, l’armée algérienne, le tissu « économique », les hôpitaux, les écoles, lycées et universités, etc., et greffé sur tout cela, cerveau artificiel malade qui décide de tout, il y a le système.