

Il y a déjà 6 ans que tu nous a quittés !·
Le temps peut continuer de s’écouler, mais n’effacera jamais de mon cœur et de ma mémoire ce que tu as été pour nous tous.Ton souvenir est pour moi comme un livre que je lis et relis sans jamais le fermer.
MON TÉMOIGNAGE ET MON HOMMAGE AU GRAND HOCINE AIT AHMED
De quel immense homme la mort vient de se saisir ce 23 décembre 2015 !L’Homme qui venait de nous quitter ce 23 décembre 2015 est un titan de l’Histoire d’Algérie, il occupait une place que rien, ni personne ne pourra remplacer. On ne mesure que partiellement, très partiellement, l’immensité de cet esprit dont les frontières sont et resteront inatteignables.Sa disparition a été vécue, par tous les Algériens, comme un deuil de famille.De multiples et éloquentes voix ont exprimé ce que notre pays doit à cet indomptable combattant de la liberté. Liberté qui pour lui, était indissociable de la justice, la fraternité et la solidarité.Il faudrait des dizaines de livres pour pouvoir rendre compte de l’œuvre gigantesque et du parcours révolutionnaire exceptionnel de Hocine Ait Ahmed qui, sorti à peine de l’adolescence à 21 ans, avait dirigé l’Organisation Spéciale chargée de préparer la lutte armée.Dans un premier temps, je vais apporter un témoignage personnel à cœur ouvert avant de faire une présentation sommaire de son fascinant parcours révolutionnaire.
AIT AHMED : QUAND LA MODESTIE DONNE DE L’ÉCLAT À LA GRANDEUR
Je connaissais et admirais cet homme, l’un des leaders les plus imminents du mouvement national, un responsable politique énorme et hors-norme. J’ai découvert l’homme, immensément charismatique, mais simple. Il n’était pas un esprit sec comme le sont souvent les hommes politiques. Il était d’une gaité opulente et d’une courtoisie exquise. Il avait le rire facile et cultivait l’humour avec un talent singulier. Je ne me suis jamais senti mal à l’aise en sa présence. Comment pouvais-je l’être alors qu’il était toujours respectueux, compréhensif et attentionné ? Comment pouvais-je l’être, alors que je sentais qu’avec lui je pouvais parler sans craindre d’être pris de haut ?Avec lui, j’étais comblé de prévenances. Je me demande toujours comment un homme de cette stature pouvait consacrer du temps pour prendre régulièrement des nouvelles de ma famille, de la façon la plus naturelle et la plus sincère.
Doté d’une mémoire prodigieuse et phénoménale, il ne manquait jamais de s’enquérir de l’état de santé de tel ou tel militant ou autre compatriote dont on a évoqué la maladie un ou deux mois auparavant. Authentique générosité du cœur !!!Je garderai à jamais ces moments passionnants d’échanges avec cet homme dont la curiosité intellectuelle s’étendait à tous les domaines de la culture aussi bien algérienne qu’universelle. Il se plaisait à évoquer l’écrivain Indien Tagore (Prix Nobel), Camus, Juvénal, Ahmed Chawki, Al Rumi ou Shakespeare dont il aimait citer des passages entiers en anglais.
Ce qui m’a marqué aussi, c’est cette écoute affinée et aiguisée avec une faculté extraordinaire à absorber les informations, à apprécier les points de vue pour enfin les analyser et les mettre en perspective. Il ne perdait pas une miette de ce qu’on pouvait lui dire. Aussi grand dans l’écoute que dans l’expression. Je garderais à jamais ces moments passionnants de travail, de réflexion et d’échanges avec cet homme curieux de tout. Il avait gardé vivante cette fougueuse jeunesse, bonifié par une intelligence aigue et une inébranlable sérénité.Je le suis éternellement reconnaissant de m’avoir permis de le côtoyer et de travailler avec lui durant plusieurs années.
SON COMBAT POUR L’INDÉPENDANCE NATIONALE
En 1947, et âgé seulement de 21 ans, Ait Ahmed prend la direction de l’Organisation Spéciale chargée de la préparation de la lutte armée en remplacement de Mohamed Belouizdad. Le 1er novembre 1954, il est l’un des 9 historiques dirigeants du FLN qui allaient déclencher la guerre de libération. Il était le fer de lance de la diplomatie algérienne et son théoricien. L’historien américain Matthew Connely écrivait : « Avant même le déclenchement de la guerre avec la France en 1954, les nationalistes algériens avaient une vision internationale du conflit qu’ils voulaient mener. Et l’homme qui développa cette stratégie s’appelle Hocine Ait Ahmed ».L’acte fondateur de la diplomatie algérienne a été signé par Ait Ahmed et M’hamed Yazid à Bandoeng lors de la première conférence afro-asiatique en avril 1955. Cette conférence était la première victoire de la cause algérienne sur le plan international ! En effet, 29 pays reconnaissent le droit du peuple algérien à l’autodétermination.
En avril 1956, Ait Ahmed ouvre le Bureau du FLN à New-York et septembre de la même année la « Question algérienne » est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’ONU, ce qui marque une retentissante victoire diplomatique de la cause algérienne. En octobre Ait Ahmed est arrêté en compagnie de Boudiaf, Khider, Ben Bella et Lacheraf.De la prison, il continue de communiquer avec les dirigeants de la révolution en envoyant des études et rapports dont le plus important est consacré aux aspects politiques, juridiques, organiques et diplomatiques liés à la formation d’un Gouvernement provisoire.
SON COMBAT DÉMOCRATIQUE APRÈS L’INDÉPENDANCE
Grand acteur de l’Histoire contemporaine de notre pays, l’Histoire retiendra que Hocine Ait Ahmed fut le précurseur du combat démocratique. A l’indépendance, le clan d’Oujda, conduit par Boumediene, Ben Bella et Bouteflika, s’empare du pouvoir par la force en s’appuyant sur l’Armée des frontières. La révolution est trahie et toutes ses structures et instances sont dissoutes au profit d’un clan, qui impose un système despotique dans lequel l’armée décide de tout. C’est dans ce contexte de trahison du peuple et de confiscation de sa souveraineté que le FFS a été créé par Hocine Ait Ahmed soutenu par de prestigieux héros de la guerre de libération (dont le commandant Bouragâa) et des centaines d’authentiques maquisards de l’intérieur issus de différentes régions du pays.
Boumediene envoie ses troupes pour écraser la rébellion notamment en Kabylie. Refusant la guerre entre « frères», le FFS de Ait Ahmed fut obligé de se défendre dans un combat inégal avec des vrais maquisards épuisés par la guerre face à l’armée de Boumediene, composée dans sa grande majorité de militaires dont aucun n’a tiré une seule balle contre l’armée française. Des centaines de militants sont tombés au champ d’honneur, des centaines sont arrêtés et torturés dans les mêmes locaux et avec les mêmes méthodes utilisées par Massu, Bigeard et Aussaresses. Arrêté et condamné à mort, Ait Ahmed réussit à s’évader de la prison d’El-Harrach le 1er mai 1966.Inlassablement, il a continué à mener son combat avec détermination, courage et lucidité en refusant toute compromission avec la dictature. Il a systématiquement refusé tous les postes qu’on lui a proposés.
Grâce à son charisme et sa clairvoyance, Ait Ahmed a joué un rôle de semeur d’idées et d’idéaux de justice et de liberté. Ses idées s’inscrivaient dans le prolongement des principes et idéaux du mouvement national, du 1er novembre et de la plate-forme de la Soummam. Depuis 1962, il n’a jamais cessé d’alerter le monde sur les risques dévastateurs que peut engendrer la confiscation de la souveraineté populaire par le pouvoir militaire. Comme il est terrifiant de devoir lui donner raison 57 ans après et un bilan désastreux du régime militaire !Précurseur du combat politique et démocratique, il a contribué de façon significative à l’émergence d’une culture du pluralisme politique et culturel. L’Algérie lui doit aussi d’avoir inspiré, initié et favorisé l’éclosion du combat pour les droits de l’Homme dont il avait une idée noble et universelle.
Bien avant tout le monde, Ait Ahmed a cru et défendu une ligne politique basé sur un dialogue réunissant les voix qui prônent la sagesse et rejettent la violence. Il était convaincu que seule cette voie peut produire une dynamique de reconnaissance mutuelle des Algériens de sensibilités politiques différentes et opposées. Il a cru également dans la capacité des Algériennes et Algériens, si la parole leur est accordée, à entamer un travail de confrontation pacifique des idées et d’élaboration collective d’alternatives démocratiques.Ait Ahmed a été constant dans son combat pour une assemblée constituante qui ne se limite pas à une tâche technique de rédaction d’une constitution. Il s’agit de l’organisation d’une transition démocratique avec un souci majeur : Réhabiliter la souveraineté populaire confisquée depuis l’indépendance. Le peuple algérien a vécu la mort de Hocine Ait Ahmed avec le sentiment amer d’avoir raté le grand rendez-vous avec la liberté.
Désormais, depuis le 22 février 2019, la révolution populaire pacifique à travers ses slogans, ses mots d’ordre et ses revendications marche sur les traces de ce combattant qui a consacré 70 ans de sa vie à se battre pour la liberté, la dignité et les droits fondamentaux des Algériennes et Algériens.
REPOSE EN PAIX DDA EL HOCINE !
Avocats et familles dénoncent les conditions de détention des personnes incarcérées et des atteintes aux droits de la défense.
Par Safia Ayache(Alger, correspondance)Publié le 16 décembre 2021
Visage efflanqué et haut du corps flottant dans une veste de jogging : la photo montrant le militant Mohamed Bilal Menadi à sa sortie de prison, le 5 décembre, a choqué de nombreux internautes algériens. « Avant et après deux ans de prison », ont commenté certains en partageant sur les réseaux sociaux un autre cliché du jeune homme pris avant sa détention et sur lequel on le voit tiré à quatre épingles et le teint éclatant.
Originaire de Mostaganem, dans l’ouest de l’Algérie, Mohamed Bilal Menadi, 34 ans, a purgé une peine de deux ans ferme pour « atteinte à l’unité nationale ». Il avait été arrêté chez lui, le 1er décembre 2019, pour avoir participé à des manifestations et critiqué, sur Facebook, l’élection présidentielle prévue à ce moment-là.
Sa libération, après une détention marquée par plusieurs grèves de la faim, a jeté une lumière crue sur le sort réservé aux militants du Hirak, le mouvement pro-démocratie né en février 2019, toujours en détention.
Selon un décompte réalisé par des militants eux-mêmes, il y aurait au moins 280 personnesincarcérées à travers le pays après avoir exprimé des opinions critiques envers le régime, avoir manifesté ou milité.
Parmi les avocats qui se sont mobilisés pour les défendre, on pointe de nombreuses atteintes aux droits de la défense. « La majorité de ces détenus n’appartiennent ni au MAK ni à Rachad [Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie et mouvement islamo-conservateur, tous deux classés comme organisations terroristes par les autorités en mai 2021]. Ce sont de simples citoyens qu’ils veulent faire passer pour des terroristes », dénonce Me Meriem Chekirine.
L’avocate, qui gère les dossiers d’une dizaine d’entre eux emprisonnés à Alger, Blida ou encore Koléa, raconte les difficultés rencontrées pour retrouver des détenus transférés vers d’autres wilaya (régions) sans que les proches n’en soient informés et dit enchaîner « les rapports » aux autorités pour dénoncer les mauvaises conditions de détention. « Un détenu est venu me voir vêtu de tous ses vêtements tellement il faisait froid. Il avait des claquettes aux pieds alors que le sol était inondé », s’indigne-t-elle.
Les familles tentent régulièrement de rompre le silence qui entoure la détention de leurs proches. Plusieurs dizaines d’entre elles se sont réunies, début décembre, au siège du Mouvement démocratique et social (MDS), à Alger. « Une salle faite pour quarante personnes en contient le double. Ils n’ont pas de matelas et doivent dormir à tour de rôle », a témoigné la femme d’un détenu. En été, les prisonniers manquent d’eau ; en hiver, ils n’ont pas de chauffage.
« Nous sommes obligés de patienter pendant des heures pour les voir et de faire attention à ce que nous disons », raconte le chanteur Hamid Medjahed, évoquant la lenteur des procédures judiciaires. « Cela fait plusieurs mois qu’ils sont en prison sans procès », fustige-t-il. Son fils, Chafik, a été placé sous mandat de dépôt le 11 mai après une manifestation et n’a toujours pas été jugé. Pour protester contre sa détention, le jeune homme s’est mis en grève de la faim pendant plusieurs semaines et a dû être hospitalisé à deux reprises.
Fethi Ghares, coordinateur du MDS, parti d’opposition agréé par les autorités, est lui-même emprisonné depuis son interpellation le 30 juin. Poursuivi, entre autres, pour « atteinte à la personne du président de la République » et « diffusion de publications pouvant porter atteinte à l’intérêt national », l’homme politique attend toujours son procès, prévu initialement le 5 décembre mais déjà reporté à deux reprises.
Les familles espéraient bénéficier des mesures de clémence traditionnellement annoncées lors de la fête nationale, le 1er novembre, mais il n’en a rien été. Aucun des détenus n’a été concerné par la grâce présidentielle. En août, le président Abdelmadjid Tebboune avait balayé le sujet d’un revers de la main en déclarant lors d’un entretien diffusé sur la télévision publique qu’il n’y a « pas de détenus d’opinion dans notre pays ».
Ce samedi 4 décembre, au siège du MDS, les familles ont déposé une grande urne transparente dans la salle de réunion sur laquelle on pouvait lire la mention « Lettres aux détenus ». Des feuilles blanches et des enveloppes ont été mises à disposition. « Ce dont ils ont le plus peur, c’est d’être oubliés. Ils le vivraient comme une trahison », s’est émue une proche de détenu.
Safia Ayache(Alger, correspondance)
Lundi 20 décembre, un tribunal égyptien devrait émettre un jugement concernant Alaa Abdel Fattah et deux de ses compagnons. Dans un système judiciaire aux ordres, le verdict ne fait aucun doute. La mère d’Alaa lance un appel à la communauté internationale pour qu’elle aide à faire libérer «une génération» qui se meurt en prison.
CONFLITS > DROITS HUMAINS > POLITIQUES >
LAILA SOUEIF > 19 DÉCEMBRE 2021
https://orientxxi.info/magazine
Traduction de «My Son Is Not Alone. Millions of Young People Commit His Crime», The New York Times, 17 décembre 2021, par Pierre Prier.
Le Caire. Devant le complexe pénitentiaire de Tora, où mon fils est détenu, une mère me demande :
— «Pourquoi votre fils est-il en prison?
— Politique», lui dis-je.
Elle a l’air surprise, non que l’on puisse être emprisonné pour des raisons politiques — rien d’étrange à cela en Égypte —, mais parce que la plupart des prisonniers politiques sont des islamistes; et elle pense que je n’ai pas l’air d’une mère d’islamiste. J’ajoute : «Il faisait partie des chabab al-thawra», les jeunes de la révolution.
Aucune autre explication n’est nécessaire.
Pourquoi mon fils Alaa Abdel Fattah est-il en prison? C’est un prisonnier politique parmi des dizaines de milliers d’autres. Il est emprisonné depuis plus de sept ans, sous différents gouvernements, avec peu d’espoir de sortir. Il a été jugé à plusieurs reprises et sera à nouveau condamné lundi 20 décembre. Son crime, comme des millions de jeunes en Égypte et bien au-delà, est d’avoir cru qu’un autre monde était possible. Et d’avoir tenté de le faire advenir.
Aujourd’hui, il semble que le monde extérieur, autrefois enthousiasmé par les révolutionnaires égyptiens, détourne le regard, tandis que les gouvernements démocratiques ne s’intéressent que du bout des lèvres aux questions de droits et de justice.
Ce sont peut-être ces mots, ceux d’Alaa, qui résument le mieux la situation :
Nous avons atteint notre majorité avec la seconde Intifada. Nous avons fait nos premiers pas dans le monde alors que les bombes tombaient sur Bagdad. Tout autour de nous, les Arabes criaient : «Il faudra nous passer sur le corps!» Les alliés du Nord scandaient : «Pas en notre nom!» Les camarades du Sud clamaient : «Un autre monde est possible». Nous avons alors compris que le monde dont nous avions hérité était en train de mourir, et que nous n’étions pas seuls.
Ceci est extrait d’ Un portrait du militant hors de sa prison, un essai qu’il a écrit en 2017 et qui figure dans un récent recueil de ses écrits1 Maintenant, je dois essayer d’esquisser un portrait de l’activiste à l’intérieur de sa prison.
Alaa a été arrêté en septembre 2019, dans le contexte d’une énième vague d’arrestations politiques. Il venait de purger une peine de cinq ans pour «organisation d’une manifestation». Il était en train de reconstruire sa vie. Il était depuis six mois en liberté surveillée, contraint de dormir toutes les nuits dans le commissariat de son quartier, quand ils sont revenus le chercher. Depuis lors, il est détenu à la prison de sécurité maximale de Tora 2 (les conditions dans la prison de sécurité maximale de Tora 1, plus draconienne, et où sont détenus des milliers d’autres prisonniers, sont bien pires).
Le récit qu’il a fait à ses avocats et à moi-même est déchirant. La nuit où il a été amené en prison, il a été déshabillé et battu au cours de ce que les détenus appellent la «fête de bienvenue». On lui a interdit de le signaler aux autorités, m’a-t-il dit, mais il a déposé une plainte auprès du procureur général. On lui refuse toute forme de lecture. Il n’a pas le droit d’avoir une radio. Il n’est pas autorisé à avoir une montre. Il n’a pas le droit de faire de l’exercice en dehors de sa cellule. Il n’est autorisé à sortir de sa cellule que pour les visites ou les comparutions devant le tribunal. Et pourtant, il signale chaque abus ou violation dont il a connaissance, il nous informe lorsqu’il entend parler de personnes disparues dans le système pénitentiaire, il a signalé avoir entendu qu’on torturait quelqu’un dans la cellule voisine. Les agents qu’il a dénoncés sont toujours en place, et il est toujours en leur pouvoir.
Les restrictions imposées par la Covid ont entraîné la suspension des visites aux prisonniers pendant cinq mois. Lorsqu’elles ont été rétablies, elles ont été réduites à une par mois, pendant vingt minutes, avec un seul membre de la famille. Le détenu est placé derrière une vitre. Nous nous parlons à travers un téléphone; nous supposons que tout ce que nous disons est enregistré. Récemment, il m’a dit qu’il avait des pensées suicidaires.
Lorsqu’il est en procès, il apparaît dans la salle d’audience à l’intérieur d’une cage. Il m’a dit à travers les barreaux qu’il allait mourir en prison. Au début de l’année 2021, deux hommes, un journaliste nommé Mohamed Ibrahim, connu sous son nom de plume Mohamed Oxygen, et le blogueur Abdel Rahman Tarek, connu sous le nom de Moka, ont tenté de mettre fin à leurs jours après avoir été emprisonnés pendant des années sans inculpation dans le cadre de la «détention provisoire.» Ce ne sont là que deux exemples parmi d’innombrables autres.
Alaa subit cette lente torture depuis deux ans, et il n’y a pas de fin en vue.
Pendant la majeure partie de cette période, il a également été détenu sans inculpation, en détention provisoire. Mais une certaine pression internationale s’est exercée pour mettre fin à ces détentions indéfinies, si bien qu’en octobre, il a été renvoyé en jugement, dans une nouvelle affaire, devant une cour d’urgence de la sûreté de l’État. Il est accusé de diffusion de fausses nouvelles, au même titre que Mohamed Oxygen et Mohamed Al-Baqer, un avocat spécialisé dans les droits humains qui a été arrêté alors qu’il représentait Alaa. Le juge a refusé de donner une copie du dossier aux avocats des prévenus, les empêchant ainsi d’organiser leur défense. Mais nous comprenons qu’Alaa est jugé pour avoir retweeté un tweet sur un prisonnier mort après avoir été torturé, dans la même prison où il est lui-même détenu à l’heure actuelle. Alaa et ses coaccusés seront condamnés lundi. La sentence ne peut faire l’objet d’un appel.
La pression que les États-Unis et l’Europe prétendent exercer sur le gouvernement égyptien pour qu’il mette de l’ordre dans ses affaires de droits humains ne vise qu’à apaiser une certaine partie de leurs électeurs. Les autorités égyptiennes réagissent en conséquence. Elles comprennent que «Mettez de l’ordre dans vos droits humains» signifie en fait «Nous vous soutenons, mais essayez de ne pas nous embarrasser». L’Égypte se flatte d’avoir récemment publié une stratégie nationale en matière de droits humains. Deux mois plus tard, après une réunion entre le secrétaire d’État américain Antony J. Blinken et Sameh Shoukry, son homologue égyptien, les États-Unis ont publié une déclaration disant qu’ils «saluaient cette stratégie» et prévoyaient de «poursuivre le dialogue sur les droits humains».
Ceux qui se soucient vraiment des droits humains ne devraient pas se laisser berner par des écrits, mais exiger des actions concrètes. Pour commencer, la libération de la génération qui est lentement assassinée en prison pour avoir pensé librement et pour s’être exprimée.
Les mots d’Alaa dans l’essai que j’ai cité plus haut s’adressent, en partie, aux «alliés du Nord qui ont scandé « Pas en notre nom » alors que les bombes tombaient sur Bagdad». Les gens me demandent souvent ce qu’ils peuvent faire pour nous aider, eux qui vivent en Amérique, au Royaume-Uni ou dans les autres pays du Nord. Je leur dis de critiquer la politiques étrangère de leurs gouvernements aussi vigoureusement qu’ils critiquent leur politique intérieure. La réponse d’Alaa, toujours, est la suivante :
Réparez votre propre démocratie. Protégez-la. Il n’y a pas de meilleure façon de nous aider.
La situation reste incertaine au Soudan après la prise de pouvoir des militaires. Le mouvement populaire ne désarme pas, s’organise et refuse le fait accompli. Mais les dirigeants de Khartoum peuvent compter sur quelques alliés régionaux, notamment l’Égypte et Israël.
ISRAËL/PALESTINE > CONFLITS > RELATIONS INTERNATIONALES > POLITIQUES >
GWENAËLLE LENOIR > 17 DÉCEMBRE 2021
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C’est un des nouveaux slogans des manifestants démocrates contre le coup d’État militaire du 25 octobre 2021 : «Al-Bourhan, Al-Bourhan, retourne chez Sissi». Voici donc le général Abdel Fattah Al-Bourhan, chef de l’armée, président du Conseil de souveraineté de transition et auteur principal du putsch renvoyé d’un revers de main au rôle d’un valet du maréchal Abdel Fatah Al-Sissi. C’est que la rue, les partis politiques évincés et certains cercles diplomatiques accusent l’Égypte de collusion avec le coup d’État militaire.
«Le Caire est resté silencieux, très silencieux», constate Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi. La figure incontournable du parti Oumma, l’un des piliers historiques de la scène politique soudanaise, membre des Forces de la liberté et du changement (Forces of Freedom and Change, FFC) et à ce titre de la transition démocratique, a été ministre des affaires étrangères de février 2020 au coup d’État. Elle a démissionné à la suite de l’accord du 21 novembre entre les généraux et Abdallah Hamdok réinstallant ce dernier à son poste de premier ministre, mais aux conditions des militaires.
Entre deux réunions de sa formation qui tente, comme les autres partis, de reprendre le contact avec la rue, Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi fait semblant de s’étonner :
Le Soudan est pourtant stratégique pour l’Égypte. Je m’attendais à ce que ce pays se dise préoccupé et qu’il appelle toutes les parties soudanaises à la concertation. Les dirigeants égyptiens ne l’ont pas fait. Il a fallu l’intervention des Américains pour qu’ils se déclarent, bien des jours plus tard, contre tout coup d’État.
En réalité, l’attitude du Caire ne surprend personne. Abdel Fattah Al-Bourhan a été, comme nombre d’officiers soudanais, formé et entraîné en Égypte. Les deux armées ont toujours entretenu des liens plus qu’étroits. «Les militaires égyptiens ont longtemps donné des ordres aux Soudanais, affirme Kholood Khair, codirectrice du think tank Insight Strategy Partners basé à Khartoum. Aujourd’hui, avec la question du Grand Barrage de la renaissance éthiopien, ils ont besoin plus que jamais d’un pouvoir ami à Khartoum, qui aille systématiquement dans leur sens.» Les civils aux affaires au Soudan étaient plus enclins que les militaires à privilégier la négociation avec Addis-Abeba au sujet du partage des eaux du Nil remis en question par le barrage éthiopien.
Dans ce contexte de tensions grandissantes dans la région, militaires soudanais et égyptiens ont renforcé leurs liens. En mars 2021, les deux capitales signent un accord de coopération en matière de défense dans lequel, affirme le chef d’état-major égyptien en visite à Khartoum, Le Caire s’engage à répondre aux besoins de l’armée soudanaise et à renforcer ses capacités de combat. Le mois suivant, des manœuvres communes réunissant armées de terre, marines et aviations se déroulent au Soudan.
De là à voir derrière le coup d’État la main du Caire, le pas est vite franchi par la population hostile aux putschistes. D’autant que, selon le Wall Street Journal, le général Al-Bourhan est allé rendre visite au président égyptien la veille de son putsch. «Nos militaires essaient de reproduire le coup de force d’Al-Sissi de 2013, croient savoir quelques protestataires à Bouri. Mais les Soudanais et les Égyptiens, ce n’est pas le même peuple. Ce qui a marché là-bas ne fonctionne pas ici. Ceux qui ont soutenu Sissi l’ont fait contre les islamistes. Ici, c’est nous qui combattons les islamistes. Les généraux soudanais, eux, sont de leur côté.»
Ici en effet, la révolution de 2019 a voulu mettre à bas un régime militaro-islamiste en place depuis trente ans. Et les militaires égyptiens qui ont renversé les Frères musulmans en 2013 au Caire soutiennent maintenant des généraux qui, au Soudan, cherchent à remettre en place le pouvoir islamiste renversé… Le paradoxe n’est qu’apparent : c’est le contrôle de ce qu’il considère comme son arrière-cour qui compte pour Le Caire. «Comme d’autres pays de la région, les Égyptiens ont une vision uniquement sécuritaire du Soudan, reprend Khoolod Khair. Et pour eux, la stabilité, ce sont forcément les militaires. Ils n’envisagent pas qu’une démocratie puisse l’apporter et soit la meilleure garante de leur sécurité.» C’est d’autant plus vrai que le dossier soudanais au Caire est suivi par le chef du renseignement, le général Abbas Kamel. Ce que confirme Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi :
Ce sont les services de renseignement qui gèrent le dossier. J’ai de mon côté toujours dit aux Égyptiens que la relation était importante pour le Soudan et qu’elle l’était pour l’Égypte elle-même. Soutenir le coup d’État n’est pas la bonne méthode pour avoir des relations stratégiques avec le Soudan.
Malgré l’insistance de Washington, Le Caire ne s’est pas joint à la déclaration du Quartet du 3 novembre dans laquelle États-Unis, Royaume-Uni, Arabie Saoudite et Émirats arabes unis appellent au retour immédiat du gouvernement de transition. Le président égyptien aurait même tenté de convaincre Riyad et Abou Dhabi de former une coalition soutenant les putschistes soudanais face à la pression internationale. Les deux pays du Golfe ont finalement cédé, publiquement du moins, à celle de l’administration Biden. Une déclaration de pure forme? Les démocrates soudanais le craignent. Les Émirats entretiennent des liens anciens et forts avec les généraux à Khartoum. Des mercenaires soudanais issus des paramilitaires de la Force de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) de Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti, combattent au Yémen pour leur compte, et pour celui — bancaire — de Hemetti. «Sous Omar Al-Bachir, les Émirats ont acquis beaucoup de terres dans la Jezira et le long de la rivière Atbara. Ils investissent ici, affirme Kholood Khair. Ils ont tissé des liens personnels avec les militaires soudanais. Le dossier est suivi à Abou Dhabi par un haut responsable des services de renseignement.»
Autre État de la région à avoir des pudeurs de jeune fille quand il s’agit de condamner le coup d’État : Israël. C’est pourtant sous le régime civil, en janvier 2021, que Khartoum a signé les «Accords d’Abraham», ouvrant la voie à une normalisation de ses relations avec Israël. Du côté soudanais, c’est le ministre de la justice de l’époque, Nasreddine Abdulbari, un civil, qui appose son paraphe. Pourtant, l’attitude israélienne vis-à-vis du putsch est pour le moins ambiguë. Les médias israéliens ont fait état de la visite d’une délégation israélienne à Khartoum une semaine après la prise complète du pouvoir par les militaires. Délégation qui comprenait des officiers de haut rang du Mossad, et qui s’est entretenue avec les généraux Al-Bourhan et Mohamed Hamdan Dagalo.
Peu avant le coup d’État, le frère de ce dernier s’était rendu à Tel-Aviv dans la plus grande discrétion, envoyé par les militaires. Abdelrahman Dagolo, commandant en second de la RSF et dirigeant du conglomérat Junaid qui fait la fortune de la famille, était accompagné du responsable de l’industrie de la défense. Autant dire que la normalisation, si elle est en route, est surtout kaki. On peut également supposer que les militaires soudanais seraient fort intéressés par quelques bijoux technologiques de surveillance qu’Israël sait si bien mettre au point.
«Israël est sur la même ligne que les Émirats et les Saoudiens : tous ont une approche exclusivement sécuritaire du dossier soudanais. Ils ne voient le Soudan que par le prisme des intérêts de leur sécurité, assure Kholood Khair.
Et les relations avec les militaires soudanais ne sont pas nouvelles. En 1996, quand le Soudan a tourné le dos à l’Iran, il a commencé à tisser des liens avec les Israéliens. Très discrètement, bien sûr. Quand la révolution est advenue, les militaires soudanais ont eu besoin de la technologie israélienne pour surveiller les opposants, car ils n’avaient pas ce type de technologie. Ils ont obtenu ces outils.
Dans les jours qui ont suivi le coup de force, les journaux israéliens ont souligné que cet événement ne remettait nullement en cause la normalisation des relations entre les deux États. Et pour cause : ce ne sont pas les civils soudanais qui gèrent le dossier. Certes, l’ancien ministre de la justice Nasreddine Abdulbari a rencontré des officiels venus de Tel-Aviv, avec poignée de main immortalisée par les caméras moins de deux semaines avant le putsch. Certes, le Parti unioniste se dit favorable à la normalisation. Mais parmi les civils, les partisans de relations diplomatiques avec Israël ne sont pas majoritaires. Et ils n’ont jamais eu leur mot à dire.
Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi en a fait l’expérience :
Dès mon premier jour à la tête des affaires étrangères, j’ai découvert que le ministère n’avait absolument pas la main dans le dossier des relations avec Israël. J’ai demandé ce dossier, auprès du conseil des ministres, auprès du conseil de défense et de sécurité. Je n’ai jamais eu de réponse. Nous ne savons rien. Nous ignorons même sur quelles bases cette relation existe.
Si cette diplomatie parallèle minait l’autorité du ministre — et par là même celle du gouvernement civil de transition —, elle a évité bien des contorsions à Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi, dont le parti a toujours été opposé à l’établissement de liens avec Tel-Aviv. Elle dit bien, également, l’opacité qui entoure cette question. En février 2020, une fuite révèle une rencontre non officielle entre le général Al-Bourhan, alors à la tête du Conseil de souveraineté de la transition, et Benyamin Nétanyahou, encore premier ministre, à Entebbe en Ouganda. Scandale à Khartoum : le premier ministre n’avait pas été tenu au courant.
Les militaires assurent agir pour faciliter le retrait du Soudan de la liste américaine des États soutenant le terrorisme qui, depuis 1993, entrave l’accès du pays à des prêts de banques privées ou publiques et les investissements étrangers. «Nous avons toujours dit qu’il était impensable de lier les deux dossiers!», s’insurge encore aujourd’hui Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi. Le premier ministre affirmait alors de son côté que la question de la normalisation des relations ne pouvait relever d’un gouvernement transitoire et que ce serait à l’Assemblée législative de transition — non encore nommée — d’en décider.
Mais à la Maison Blanche, Donald Trump ne l’entendait pas de cette oreille, et à Khartoum, la situation économique catastrophique a fait céder le gouvernement. Les «Accords d’Abraham» sont donc signés. Et restent sur une étagère. Tel-Aviv s’impatiente-t-il? Ses intérêts sont multiples. Il y a les symboles : voir balayée la résolution du sommet arabe de Khartoum de septembre 1967 qui a suivi la défaite arabe de juin 1967 et ses «trois non» : pas de paix, pas de reconnaissance, pas de négociation. Et il y a les intérêts stratégiques : consolider l’isolement de l’Iran, s’assurer un approvisionnement en blé, et faire avancer le dossier du retour des migrants soudanais dont les Israéliens veulent se débarrasser.
Peu après le putsch, le général Al-Bourhan a montré à Tel-Aviv qu’il tenait à cette relation : il a remodelé à sa main le Conseil de souveraineté, en excluant les civils rétifs à son contrôle et en nommant des affidés proches de l’ancien régime. Parmi eux, un certain Abdulgassim Bourtoum, un homme d’affaires du nord du pays. «Son principal fait d’armes, hormis d’être un homme de l’ancien régime, est de militer pour le rapprochement avec Israël, assure Kholood Khair. C’est un islamiste, mais ce n’est pas incompatible, car nous avons deux castes : les idéologues et les affairistes. Il appartient à la deuxième et veut étendre son business. Il est intéressé par les technologies israéliennes dans l’énergie solaire, l’agriculture et l’eau.»
Dans un entretien accordé le 3 décembre au média saoudien Al-Arabiya Network, le général Al-Bourhan s’est montré résolu à poursuivre le processus de normalisation avec Israël :
Je crois que la question des liens du Soudan avec Israël était essentielle pour permettre au Soudan de revenir au sein de la communauté internationale. Nous ne sommes pas hostiles envers quiconque et nous voulons prouver au monde que nous sommes ouverts.
Il convient néanmoins avec Abdallah Hamdok que l’ouverture de relations diplomatiques pleines et entières relève de l’autorité de l’Assemblée législative.
Le nouveau régime militaire en place à Khartoum, même avec sa façade civile, n’est pas assez solide pour se passer de ses rares soutiens régionaux, car pour l’instant, les institutions financières internationales et les grands pays donateurs maintiennent le gel de leurs dons, de leurs prêts et de leurs programmes. De leur côté, les puissances qui ont soutenu le coup d’État réaliseront sans doute un jour qu’elles ont fait un calcul à court terme : «Maintenant, il y a une foule de jeunes au Soudan qui haïssent l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Israël. Et ce sont eux qui seront un jour au pouvoir», prédit Kholood Khair.
GWENAËLLE LENOIR
Journaliste indépendante, spécialiste du monde arabe et de l’Afrique de l’Est.
Youcef l’Asnami
Appelons le Idir. Il a 47 ans. Il est arrivé en France l’été 2019 avec un visa d’affaires qu’il a payé 180 millions de centimes chez un affairiste de Draa Ben Khedda en faisant un emprunt qu’il n’a toujours pas pu rembourser. Il a débarqué chez une de ses sœurs qui habite à Neuilly chez qui il a résidé six mois en faisant des petits boulots pour subsister. Il dormait au salon m’a t-il précisé. Au bout de six mois, le couple lui a fait comprendre que sa présence devenait pesante surtout sans papiers et sans ressources stables.
– Tu sais Khouya Youcef. Wellah que je mangeais dehors. Je ne rentrais que pour dormir sans déranger.
Il n’avait plus d’autres choix que d’aller louer une minuscule chambre chez un particulier à 450 € par mois en continuant de vivre de petits boulots. Il me montre les photos de sa chambre avec un coin cuisine et les photos du couscous qu’il prépare.
– Tu sais Youcef… Je fais très bien la cuisine. Je prépare de grandes quantités que je répartis dans de petites barquettes que je congèle. Tu sais, j’ai un grand frigo que j’ai acheté sur le bon coin.
Il s’est fait remarqué par Hacen, un entrepreneur en bâtiments marocain qui le « recrute » comme ouvrier au noir : 70 € par jour mais sans compter ses heures. Fi Sabile Allah selon lui…
Une histoire banale me diriez-vous… Nombreux sont ceux qui galèrent avant de se faire une place dans une société où, très souvent, il ne faut compter que sur soi ! Peut-être ! Mais Idir a été percussionniste chez des chanteurs algériens de renom. Il a accompagné Houcine Azar, Taleb Tahar, Smail Gacem, Kamal Rayah, Youcef Fadli… et bien d’autres musiciens qui appréciaient son talent.
Il me montre fièrement des vidéos le montrant dans ces orchestres la gorge nouée.
– Tu sais mon frère… je suis passé dans l’émission de Kamal Dynamite, tu connais ?
– Oui ça me dit quelque chose…
– Je suis passé à Canal Algérie, Radio chaîne deux plusieurs fois…
– Allah ibarek. Beau parcours…
– Souhaite moi juste d’avoir mes papiers khouya Youcef
– Inchallah Idir…
– Tu sais quoi ? Mon rêve c’est d’aller visiter la tombe de ma mère et de mes grands parents qui sont enterrés prés du Docteur Mahmoudi. Tu connais ?
– Non !
– Il est de la même dechra que moi.
Souhaitant mettre fin à sa galère, il fait appel à un avocat véreux qui lui prends 2100 € pour sa régularisation arguant le fait que son grand-père et son père, ouvrier chez Renault pendant 36 ans, étaient de nationalité française et donc qu’il a le droit d’acquérir cette nationalité. Sauf que les documents de l’État civil qu’il a présentés étaient entachés d’erreur et l’administration française lui a opposé un refus
« Erreur sur le numéro du registre matrice 12* et non 125*
Erreur sur la date de mariage de Mr XXXXX Said (grand père de l’intéressé) acte N°05 marié en 1937 et non 1950 suivant l’arrêt rendu par la cour de Tizi Ouzou en date du 09-06-2009 sous le numéro 0133* et ordonne aux services d’état civil de la mairie de Draa-Ben -Khedda de procéder à sa rectification chose qui n’a pas été faite correctement C’est pour cela, que le mariage daté toujours du 16 aout 19* ».
Portant l’une de ses sœurs résidant en Algérie a réussi à avoir cette nationalité avec les mêmes documents rectifiés. Il appelle alors sa sœur pour lui demander ces documents.
« Je ne les ai plus. Je ne peux rien faire pour toi » puis elle raccrocha. Il me raconta cette réaction avec le sourire. La famille ….
Idir a perdu son père, écrasé par un train à Draa Ben Khedda en juin 2000. Il a perdu sa mère l’été 2020 et ne pouvait donc assister à ses obsèques puisque sans papiers. C’était elle qui l’a encouragé à partir en France. « C’est là-bas que tu réussiras mon fils. Ce ne sera pas facile mais tu arriveras » lui a t-elle martelé. Avant sa mort, il communiquait en permanence avec elle et ne cessa de l’encourager à tenir le coup. Il ne lui a pas dit que sa sœur de Paris l’a mis à la porte. « Pour ne pas la contrarier ».
Hacen l’entrepreneur marocain a un rapport ambigu avec son ouvrier qui manque d’initiative et d’autonomie d’après lui. « Il faut tout lui expliquer ». Il s’emporte souvent contre lui lorsque les taches qu’il lui confie sont mal assumées.
– Hacen STP, soit un peu clément.
– Je le suis sinon je ne l’aurai pas recruté. Je le connais depuis longtemps.
– Il fait ce qu’il peut. Sans papiers, sans ressources, sans famille….
– Demande lui si je ne suis pas généreux avec lui… (en regardant Idir)
Idir un peu gêné et avec une petite voix :
– Oui je le reconnais. Je me souviens très bien du jour de l’Aid où tu m’avais fourni de la viande. Un beau geste que j’ai apprécié
Pendant que Hacen est parti s’approvisionner en peinture, il laisse des instructions à Idir
– Tu ponces le mur, tu mets l’enduis puis tu colles le carrelage du mur en respectant bien le dosage. Lis bien la notice.
Une heure après, Idir appelle mon ami, le propio, tout fier avec une petite lumière dans ses yeux….
– Viens voir si c’est bien fait STP
L’ami acquiesce et le remercie. Je me tourne vers l’ami discrètement :
– Tu sais combien il lui donne par jour ?
– Non ! Personnellement j’ai négocié avec son patron et on s’est entendu sur un prix tout compris
– 70 € par jour !
– Ce n’est pas assez oui… mais je n’ai pas le droit de m’immiscer dans leurs affaires
– Oui mais tu peux faire un geste discret à Idir non ?
– Je verrai à la fin du chantier si tout se passe bien. Ils ont pris du retard et la maison est complètement bourrée de poussière… Je ne sais pas comment tu arrives à dormir…
– J’ai fait mon service militaire et j’ai campé dans ma jeunesse…
– Je ne sais pas quelle est l’heure du match Algérie- Tunisie demain….
– J’ai cru comprendre 16h…
Puis me tourbant vers Idir
– Tu vas voir le match ?
– Si c’est 16 h je ne pense pas. On a un autre chantier demain en banlieue. Mais j’essaierai de me connecter quand même…
Hacen revient des courses et va inspecter les travaux. Je vois Idir un peu anxieux… L’entrepreneur touche les murs, le carrelage, scrute la salle de bain… et ne fait aucun commentaire. Pour détendre l’atmosphère, je l’interpelle
– Hacen, tu vas voir le match demain ?
– Quel match ?
– La finale Algérie-Tunisie
– Ah ils sont en finale ? C’est à quelle heure ?
– je pense 16 h…
– Non je ne crois pas. J’ai trop de boulot, mais si Idir veut la suivre je le libérerai.
Idir n’en revenait pas de cette réaction inattendue de son patron. J’ai vu dans ses yeux une joie qu’il avait du mal à dissimuler.
Un des derniers Conseil des ministres aurait approuvé une proposition du ministre des Affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger « de mettre un numéro vert, au niveau des ambassades et consulats, à la disposition des membres de la communauté nationale, afin de leur assurer une protection permanente et immédiate, et d’être à l’écoute de leurs préoccupations, en cas de difficultés à l’étranger ». Proposition rappelée par M. Tebboune récemment à Tunis.
Mais, à ce jour, aucune précision n’a été donnée concernant les modalités de la mise en service de ce numéro vert, encore moins la date de son lancement.
Mais il y n’ a pas longtemps, le Président de la République s’est désolé que ses ordres ne soient pas toujours suivis.
« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit ». Khalil Gibran.
15 décembre 2016 ·
Quand Mohamed Tamalt a été arrêté devant chez lui, chez lui sous les yeux de sa mère qu’il était venu embrasser, le 27 juin 2016, il s’est immédiatement mis en grève de la faim, le jour même. Peut-être avait-il compris qu’il était tombé dans un sale piège et qu’il ne lui restait que son corps pour se défendre avant même d’être jugé. Il avait déjà perdu sa liberté de circuler : interdit de quitter le territoire par décision no 04 116, et dépôt de son passeport au niveau du greffe du tribunal à Alger. Face aux agents du DRS, soi-disant dissous, dans une caserne enfermée comme s’il était devenu une menace pour la sécurité de l’Etat, c’est là qu’il a peut-être compris ce qui se jouait pendant que nous, nous regardions ailleurs, pendant sept mois de violence sur ce corps qui aujourd’hui a été rendu à sa famille sans aucun égard, mais des condoléances des autorités pénitentiaires qui a aucun moment n’ont jugé que ce corps avait droit à la paix, au repos, de la vie à la mort. Du 27 juin au 11 décembre. C’est dans une couverture de la morgue qu’il a été rendu, sans linceul et sans cercueil, ni même une ambulance. Et, pendant que son frère, son aîné Abdelkader essayait d’avoir des informations, courait dans les couloirs de l’hôpital à Bab El Oued pour savoir si la funeste information donnée par des journalistes était vraie, pendant qu’il courait, « la machine » a continué de fonctionner et a estimé par les pouvoirs qu’elle se donne, qu’elle prend, qu’elle vole par la décision d’un procureur de la république, qu’elle avait encore le droit de pratiquer sur ce corps malmené une autopsie. Les photos de ce corps sont insupportables. Non pas parce qu’elles fixent la mort d’un homme mais par l’histoire qu’elles racontent. La couverture au niveau de son crâne est encore maculée de sang, et une cicatrice comme celle que l’on fait sur des sacs de blé avec une grosse aiguille monte du bas de son ventre jusqu’au haut de sa poitrine. A qui appartient le corps d’un algérien mort en détention ? A qui appartient le corps de Mohamed Tamalt ? Pendant que son frère courait, un médecin légiste lui ouvrait le ventre avant même d’avoir informé sa famille, sans l’ autorisation de ceux qui l’aimaient. Que cherchait-il et de quel droit ? N’était-il pas mort entre leurs mains ? Et, le communiqué des autorités pénitentiaires ne venait-il pas d’être rendu public, quelques heures avant l’autopsie, comme une auto absolution : nous avons tout fait pour le sauver contre lui même mais nous avons échoué, il est mort, Allah ghaleb, affaire classée. Selon cette version officielle on apprend, trop tard, que le 1er aout le corps de Mohamed Tamalt aurait donné les premiers signes de son épuisement « hypoglycémie ». Il est alors enfermé à la prison d’El Harrach en isolement et en grève de la faim depuis 35 jours. Seul avec pour seule arme son corps alors qu’il pense encore qu’il lui appartient. Le 20 aout, soit 19 jours plus tard, alors qu’il est désormais enfermé à la prison de Koléa, après avoir été condamné à 2 ans de prison ferme, il est « transféré en urgence à l’hôpital de Koléa », pour le curieux diagnostic de « difficultés de concentration ». Sur quoi aurait-il dû se concentrer ? Là, après un «scanner » et des « analyses biologiques », les médecins ne décernent « aucun dysfonctionnement ». Pourtant le lendemain, le 21 aout, il est « évacué au CHU Mohamed Debaghine de Bab El Oued où il est hospitalisé au service de réanimation pour subir une imagerie à résonnance magnétique (IRM) qui a mis en évidence un accident vasculaire cérébral (AVC) dû à une hypertension artérielle, nécessitant une intervention en urgence pratiquée par un neurochirurgien. »Le communiqué précise que « suite à cette intervention, le concerné a été placé sous respiration artificielle et son état s’est amélioré au point de reprendre conscience, de communiquer avec l’équipe médicale et de se remettre à une alimentation normale. » Puis la version officielle perd la trace « du concerné » jusqu’au 1 er décembre 2016, jour où « les médecins ont décelé une infection pulmonaire et l’ont mis sous traitement, avant d’effectuer le 04/12/2016, un drainage pleural dont un échantillon a été envoyé à l’Institut Pasteur. » Que s’est-il passé de la fin aout au début du mois de décembre ? Soit pendant plus de trois mois, septembre, octobre, novembre. Quel était l’état de conscience de Mohamed Tamalt pendant qu’on le scannait, l’opérait, qu’on lui ouvrait et fermait son corps ? Et sa famille a-t-elle été associée à ces soins, aux décisions médicales prises, a-t-elle eu le droit de communiquer avec le corps médical ? Et quel rôle « La machine » a-t-elle fait tenir dans cette sale affaire au corps médical qui a accepté de soigner Mohamed Tamalt sans informer au moins sa famille de ce dont il souffrait et des gestes mis en œuvre pour tenter de le sauver ?A qui appartient le corps d’un algérien en détention ? A qui appartient le corps de Mohamed Tamalt ? Lors de son hospitalisation, ajoute le communiqué, « sa famille a pu suivre son état de santé, et la prise en charge médicale qui lui a été réservée (…) » Faux, s’insurgent ses avocats, maître Sidhoum et maître Mechri ainsi que la famille à travers la voix de sa mère et de son frère. Maître Mechri qui lui a rendu visite le 17 aout 2016 alors qu’il était encore à la prison de Koléa affirme qu’il « était déjà dans un semi-coma, il ne m’a pas reconnu, il voyait mal parce qu’il n’avait pas ses lunettes. » Trois jours plus tard il était transféré d’abord à l’hôpital de Koléa puis à celui de Bab El Oued et dès lors, impossible de lui rendre visite : « Dès le 25 août, j’ai fait une demande au Parquet Général, puis j’en ai envoyé quatre autres demandes et chaque fois il m’était répondu que notre demande était à l’étude et que nous aurions une réponse après étude de la demande, en tout, nous avons dû faire au moins sept lettres. Cela veut dire qu’il y avait quelque chose à cacher, pendant trois mois il nous a été interdit de le voir, même à l’hôpital il y avait la police, des gardiens devant sa porte. » Ses avocats ne seront autorisés à le voir que « 20 jours avant son décès », au mois de novembre, maître Sidhoum déclinera la proposition, « je savais qu’après ils utiliseraient cette mesure pour faire croire que les droits de Mohamed Tamalt avaient été respectés ». Maître Mechri choisit de se rendre à son chevet : « Il était dans le coma, il avait un tuyau dans sa gorge, il lui ont ouvert la gorge pour qu’il puisse respirer. Comment peuvent-ils dire aujourd’hui qu’il mangeait normalement ? Pour moi, c’est un assassinat masqué. » Que s’est-il passé à la prison de Koléa ? La question est permise depuis le jour où son frère Abdelkader, après une visite clandestine au chevet de son frère a alerté la presse, les opinions et ses avocats de quelque chose de suspect au niveau de son crâne, « point de suture ? », « blessure ? », « hématome ? », nul ne sait, une plainte a été déposée devant le parquet de Koléa par ses avocats depuis des mois…sans suite à ce jour. En guise de punition, le frère devra se battre, de rédaction en rédaction, en novembre, en octobre, pour avoir le droit de visite, un droit qu’il n’aura qu’avec parcimonie pendant que les avocats sont interdits d’avoir accès à son dossier médical. Pourquoi ? Le 11 décembre 2016, Mohamed Tamalt décède, seul, sans personne pour lui tenir la main. Emprisonné jusqu’à la fin. Dépossédé de son corps, son seul recours face à la machine judiciaire et policière qui ne s’est pas contenté de l’emprisonner mais s’est approprié ce corps inconscient comme s’il n’était déjà plus le corps d’un homme revendiquant le droit d’user de sa liberté mais son objet. Un jouet que l’on ouvre et que l’on ferme en toute liberté que l’on scanne, que l’on ouvre et que l’on ferme, que l’on couture du bas du ventre jusqu’à la poitrine même quand il a cessé de respirer. Et, aujourd’hui il faudrait croire que c’est en toute liberté que ce corps séquestré a choisi de mourir sourd à la sollicitude de « La machine » qui aurait tout fait pour qu’il cesse de mourir. Accepter cette thèse ce serait faire injure à la mémoire de cet homme de 42 ans qui ne s’est pas battu pour mourir mais pour vivre en homme libre d’écrire… y compris des conneries et sa fin de solitaire témoigne d’un courage qui force le respect et nous met tous face à notre lâcheté, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. II/ A qui appartient le corps d’un algérien happé par « La machine » à broyer les grandes gueules ?La mort de Mohamed Tamalt n’est ni un accident, ni même une bavure, elle est inscrite dans le champs des possibles chaque fois que « La machine » à broyer les grandes gueules comme la sienne est mise en marche. « La machine » n’a rien de très sophistiqué, sa seule force est d’avoir des droits infinis et indéfinis qu’elle affirme appliqués en vertu de la loi en toute justice, une justice rendue au nom du peuple et en public. Pour Mohamed Tamalt, 42 ans à peine, elle s’est mise en branle le jour même de son arrestation, le 27 juillet. Le jour où, arrêté, il est conduit comme un soldat dans une caserne de la police militaire, alors qu’il est journaliste et que personne ne l’accuse d’avoir porté atteinte à la sécurité intérieure. Il est juste accusé d’offense à presque tout l’appareil d’état, depuis leur mère jusqu’à leur fille. Des offensés dont il a eu le courage de citer les noms et les fonctions mais qui jamais ne seront mêlés à cette affaire avec leurs corps et leurs os, laissant le soin à « La machine » de faire payer l’offense, jamais ils ne déposent plainte, jamais ils ne se constituent en partie civile, laissant au procureur au nom de l’ordre public de traduire en justice l’accusé, leur temps à eux est précieux ainsi que leur honneur, le temps des autres leur appartient. Dans cette caserne Mohamed Tamalt est interrogé, il y passe la nuit déjà affamé. Le premier bras de « La machine », l’appareil policier a fait son travail qui consiste à mettre le cadre dans lequel sera désormais autorisé à se mouvoir son corps. L’officier de la police militaire connaît son travail et rédige son rapport dans lequel il propose comme première mesure de lui interdire de quitter le territoire national, de lui confisquer son passeport algérien, et le met de fait en détention provisoire. Son passeport britannique ne lui sera d’aucun secours si tant est que les autorités anglaises l’aient jamais considéré comme un compatriote.Dés le lendemain, le 28 juin, c’est au second bras de « La machine » de se mettre en mouvement : l’appareil judiciaire. Mohamed Tamalt comparait devant le procureur de la justice civile qui, informé par le rapport de l’officier de police militaire, ordonne sans surprise l’interdiction de sortie du territoire et son passeport est déposé au greffe du tribunal, et sans surprise maintient la détention provisoire. Mohamed Tamalt est enfermé à la prison d’El Harrach. L’appareil militaro-policier a fixé le cadre, l’appareil judiciaire vient de le sceller, tout baigne dans l’huile. Deuxième jour de la grève de la faim. Une semaine plus tard, la première audience s’ouvre devant le tribunal de Sidi M’hamed, tout est en place, les robes noires et la balance de la justice, le drapeau, le public, le procureur, le greffier et madame le juge. La séance est ouverte. Mohamed Tamalt est poursuivi pour atteinte à la personne du président et offense à corps constitué en vertu des articles 146 et 143 du code pénal. La défense est nombreuse, avec à sa tête maître Amine Sidhoum et maître Mechri, dans un tel cadre elle a choisi comme stratégie de défense de ne pas aller sur le fond, les écrits du prévenu étant jugés difficiles à défendre de l’avis de tous, Alger n’est pas Londres, mais de mettre en lumière la procédure pénale et de ses vices. Premier vice de forme : selon le code de procédure pénale, (art 51) la détention provisoire est possible dès lors que le crime ou le délit pour lequel est poursuivi le prévenu est passible d’une « peine privative de liberté ». Or, ce n’est pas le cas, la peine maximale que risque alors Mohamed Tamalt est une amende. En conséquence, en concluent ses avocats, c’est en homme libre qu’il doit comparaître devant le tribunal et de demander sa libération avant qu’il ne soit jugé. Malheureusement, explique madame le juge : « Je n’ai pas de texte de loi qui me permet de le libérer ». En effet, « La Constitution algérienne, modifiée en février 2016, interdit la détention arbitraire et insiste sur le caractère exceptionnel de la détention provisoire. Cependant, elle ne garantit pas l’accès à des voies de recours utiles pour contester devant un tribunal le bien-fondé de la détention et accorder une remise en liberté si elle est jugée illégale », note avec justesse Amnesty International qui suit de près le procès, en vain. En clair, même si la loi n’est pas respectée, aucun recours ne permet de déjuger une injustice. Une omission bien utile pour rendre justice dans le cadre fixé et scellé par « La machine ». « Vous n’aviez pas non plus de texte de loi, lui répond Maître Sidhoum, pour l’emprisonner. On ne peut pas cautionner ce genre de violations. » La défense se retire. L’audience est renvoyée au 11 juillet, une semaine à peine. Mohamed Tamalt en est à son 15 jour de grève de la faim. Le jour même du jugement, se souvient Amine Sidhoum, le tribunal requalifie les faits, retire l’art 144 bis et le remplace par l’art 144 qui lui prévoit une peine de prison maximale de deux ans. D’une pierre deux coups, Mohamed Tamalt risque désormais de perdre sa liberté et le premier vice de procédure est évacué des débats. Mais il y a un autre vice et celui là il est énorme. Tellement énorme qu’aucune justice au monde qui se respecte ne peut refuser de le voir, « La machine » va le faire. Dès l’ouverture de la séance il est brandi par la défense : sur tous les documents de la police judiciaire transmis au procureur de la république on retrouve le cachet du DRS, avec signature de l’officier de police judiciaire et tampon. Or le service de police judiciaire du DRS a été dissous par décret présidentiel publié au JO en septembre 2013 et nous sommes en 2016. Les documents ne sont pas secrets, ils sont publics, « c’est un mystère », n’en revient toujours pas la défense de Mohamed Tamalt. Dans n’importe quel pays qui se respecte un vice de forme aussi grossier aurait dû entraîner, si ce n’est la fin des poursuites, au moins un autre procès. Comment peut-on juger un homme sur la base de rapport d’un service de police judiciaire fut-il militaire qui n’existe plus ??Si la loi n’est pas une digue à l’arbitraire qui pourra défendre Mohamed Tamalt ? Ses avocats se résignent à plaider. Mohamed Tamalt refuse pourtant de se soumettre à ses écrits qu’il défend face à ses juges il ne changera pas une virgule. Verdict sans surprise : deux ans de prison ferme, peine maximale, confirmé en appel. Jamais « La machine » ne se trompe. Quand au pourvoi en cassation déposé le 17 août il est désormais sans corps. A Amine Sidhoum, il avait confié à la prison d’El Harrach, après le premier renvoi : « Je n’arrêterai pas cette grève de la faim même si je meurs, je resterai sur leur conscience toute leur vie. » Mais ne le savait-il pas ? Mohamed Tamalt n’avait pas en face de lui des consciences avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que lui, il avait en face de lui « La machine ». « La machine » qui, quand elle se met en marche, met en mouvement tous les appareils à sa disposition qui sont dressés avec une précision d’horloge pour exécuter le travail à travers des fonctionnaires sans illusions qui savent avec exactitude ce que l’on attend d’eux… quoiqu’il arrive quitte à transformer un hôpital en annexe de prison. Sa mission n’est pas de rendre la justice mais de la faire pour défendre une caste minuscule qui se donne le droit de vie et de mort sur la bagatelle de quelques dizaines de millions d’Algériens tous suspects de comploter contre leur pays l’Algérie, un pays qu’elle s’est asservie, tels des janissaires de passage. Le plus souvent « La machine » se contente de voler le temps des autres, mais parfois, parce qu’elle n’est pas conçue pour reculer, presque par inadvertance elle broie, elle vole la vie d’un seul et c’est alors qu’elle apparaît : monstrueuse. Sous ses dehors anodins, normaux, familiers au point de devenir invisibles, en avalant la vie d’un seul elle se révèle alors dans l’horreur de ce qu’elle représente, le pouvoir absolu. Totalement irresponsable. « La machine » porte un nom : dictature. Et Mohamed Tamalt n’était pas un prisonnier de droit commun mais un prisonnier politique auquel la Dictature n’a reconnu aucun droit même pas celui de disposer de son corps. Sa seule arme avec laquelle il espérait la combattre si ce n’est la vaincre et qu’elle s’est contenté, derrière les murs du silence de retourner contre lui. Si un jour il devait y avoir une enquête ce sera celle que nous ferons…ou ne ferons pas. Ghania Mouffok.
Le média d’investigation Disclose a révélé des centaines de documents classés secret-défense. Les Mémos de la terreur est une enquête qui démontre l’implication de la France dans des exécutions extrajudiciaires d’au moins plusieurs dizaines de civils, commis sous couvert de la lutte antiterroriste dont se réclame le régime égyptien.
CONFLITS > POLITIQUES > MARTIN ROUX > 29 NOVEMBRE 2021
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Ni moi, ni ceux et celles que je connais qui ont pu contribuer à cette diffusion d’informations ne sont opposants politiques, militants antirépublicains ou anti-France, ou au service d’une puissance étrangère. C’est même tout le contraire.
C’est par ce message envoyé par la source à l’origine de ce scandale d’État aux journalistes de Disclose que s’ouvre le documentaire de l’émission «Complément d’enquête» diffusé sur France 2 jeudi 25 novembre. Le média en ligne d’investigation qui a eu accès à des centaines de documents classés «secret-défense» y révèle comment une opération militaire franco-égyptienne a été détournée au profit d’une campagne d’exécutions arbitraires. Le site avait commencé à publier quelques jours plus tôt cette enquête diffusée en cinq épisodes entre le 21 et le 26 novembre1.
«Ce qui fait rompre le silence, poursuit cette source, ce sont les dérives de l’action politico-militaire française qui entaillent profondément ce pour quoi des hommes et des femmes sont au service de la France.»
Ces dérives en question débutent en 2016, dans le cadre d’une opération confidentielle. Nom de code : Sirli. Base de l’opération : la région de Marsa Matrouh, au nord-ouest de l’Égypte. Objectif : sécuriser les 1 200 kilomètres de frontière avec la Libye, plongée dans un chaos sécuritaire, contre l’intrusion de groupes terroristes sur le sol égyptien.
La France envoie pour cela dix agents de la Direction du renseignement militaire (DRM). Quatre hommes en service et six anciens de l’armée reconvertis dans le privé débarquent en catimini, sous couvert de visas touristiques, à l’aéroport du Caire, avant d’être convoyés en bus vers le poste de commandement de l’opération. De là, ils seront chargés de faire voler un avion léger de surveillance pour couvrir l’immense désert libyque égyptien qui s’étire du Nil à la frontière de la Libye.
Les conversations téléphoniques interceptées en direct sont transmises aux renseignements militaires égyptiens. Cette surveillance aérienne doit permettre d’identifier d’éventuels groupes terroristes qui transiteraient dans cette région. Mais très vite, les agents français doutent de leurs partenaires égyptiens. Ils tentent d’alerter leur hiérarchie. Disclose révèle une première note, datée d’avril 2016, seulement deux mois après le début de l’opération Sirli. Selon ce document, tiré d’un rapport de la DRM, l’armée égyptienne entend «mener des actions directes contre les trafiquants».
Les notes destinées au chef d’état-major des armées s’enchainent à mesure que les soupçons des agents déployés sur le terrain se renforcent. Les données fournies par les Français sont utilisées en temps réel par l’aviation égyptienne qui procède à du «ciblage dynamique» contre les pickups de contrebandiers. Autrement dit, des bombardements aériens contre des civils qui trafiquent aussi bien des produits anodins (du riz, ou du maquillage) que des marchandises plus illicites comme des animaux, des cigarettes, voire très illicites, comme des armes, de la drogue ou des êtres humains. Des raids punitifs hors de tout cadre légal. Christophe Gomart, le directeur de la DRM jusqu’en 2017, nie. Selon ses propos rapportés par Disclose, ses services n’ont «jamais donné de renseignement ayant permis, à [sa] connaissance, d’aller détruire des civils ou d’aller exécuter des gens.»
Pourtant Disclose a établi, à la lumière de cette fuite de documents, que huit véhicules ont ainsi été frappés le 22 septembre 2016. En tout, la France se serait rendue complice de 19 bombardements contre des civils entre 2016 et 2018, tuant plusieurs dizaines de civils. Le combat contre le terrorisme semble bien loin. Cette menace est surévaluée à dessein par Le Caire, explique le chercheur Jalel Harchaoui à Disclose.
Pire, la France pourrait être également impliquée dans de véritables bavures de ces raids aériens égyptiens. Le 5 juillet 2017, c’est dans la zone de surveillance de la mission Sirli qu’un bombardement vise Ahmed El-Fiki. Cet ingénieur originaire du Caire qui travaille depuis longtemps dans la région et deux de ses collègues sont tués sur le coup.
Face à ces abus flagrants, les agents français demandent que l’opération soit encadrée. Mais leurs appels restent ignorés par la hiérarchie militaire, et même par l’Élysée, informé à la veille du déplacement d’Emmanuel Macron en Égypte début 2019. Devant la caméra de «Complément d’enquête», Agnès Callamard, l’ancienne rapporteure spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qualifie ces crimes de «meurtres d’État». La complicité de la France l’exposerait à des poursuites devant une cour française ou européenne, explique cette experte, aujourd’hui secrétaire générale de l’organisation Amnesty International.
Mais si les autorités françaises ont fait la sourde oreille, c’est que leurs priorités sont ailleurs. Depuis la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi à la suite d’un coup d’État militaire le 3 juillet 2013, la France veut se positionner sur le marché des ventes d’armes à l’Égypte. L’opportunité se présente sans tarder. En août 2013, au lendemain du massacre de la place Rabaa au cours duquel les forces de sécurité égyptiennes ont tué près de mille manifestants pacifiques amassés sur ce carrefour de l’est du Caire pour réclamer le retour du président déchu Mohamed Morsi, le président américain Barack Obama annonce la suspension de l’aide militaire de son pays. La France et l’ensemble des pays européens s’alignent sur les États-Unis et gèlent les exports de matériels pouvant servir la répression.
Or, moins de trois moins après ce bain de sang, le «pire massacre de l’histoire moderne de l’Égypte» selon l’organisation Human Rights Watch, une note de l’état-major des armées témoigne des intentions réelles de Paris. «Le ministère [égyptien] de la Défense, fort d’une autonomie financière estimée à plus de 10 milliards d’euros […] a pour objectif immédiat de moderniser tant ses matériels que ses infrastructures avant qu’un nouveau pouvoir démocratique ne lui demande éventuellement des comptes,» souligne un document révélé par Disclose. La France est prête à soutenir la junte militaire aux commandes de l’État égyptien.
Alors que la répression contre toute forme d’opposition s’intensifie en Égypte, une première rencontre entre Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense de François Hollande, et le président Al-Sissi a lieu en septembre 2014. Dès lors, les contrats commencent à pleuvoir. L’Égypte achète quatre Corvette du constructeur Naval Group, puis, début 2015, un lot de 400 missiles des industriels Safran et MBDA. Et surtout, 24 avions de combat Rafale à Dassault aviation. Montant total du pactole pour les industriels français : 6,2 milliards d’euros. Le régime d’Al-Sissi se hisse en quelques mois au troisième rang des clients de l’armement tricolore, derrière l’Arabie saoudite et l’Inde, selon le classement de l’Institut de Stockholm de recherche sur la paix (Sipri).
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, «Paris approuve la coloration idéologique du président Sissi, soutient Jalel Harchaoui, interviewé dans le documentaire de «Complément d’enquête». Évidemment, ça vient avec une forte corrélation avec les ventes d’armes, parce que s’il n’y a pas cette obsession autoritaire, il n’y a pas d’obsession sécuritaire et donc il n’y a pas d’opportunités de vendre des armes,» insiste cet expert associé au Global Initiative Against Transnational Organized Crime, une ONG installée à Genève.
Cette «diplomatie des armes» [Voir le chapitre de l’enquête de Disclose intitulé «Au service des ventes d’armes».]] pilotée par la défense française relègue au second plan les services du ministère des affaires étrangères. Par deux fois, en 2016, son opposition, justifiée par les risques d’utilisation de l’équipement militaire à des fins répressives contre la population, est contournée pour valider l’envoi de blindés Titus et Bastion.
D’un président l’autre, le partenariat stratégique entre la France et l’Égypte demeure. Son grand artisan, Jean-Yves Le Drian, est promu ministre des affaires étrangères après avoir occupé le poste de ministre de la défense et promu dans ce cadre la coopération avec l’Égypte. Peu de temps après l’élection d’Emmanuel Macron, en visite au Caire pour la huitième fois, il assure à ses interlocuteurs qu’il continuera de suivre le dossier des ventes d’armes.
En mai 2021, après d’autres révélations de Disclose, l’Égypte officialise l’achat, grâce à un prêt garanti par la France à hauteur de 85%, de 30 avions Rafale pour un montant de 3,95 milliards d’euros. Le Caire est désormais le deuxième client des équipementiers français.
Pour eux, la manne égyptienne ne s’arrête pas là. Disclose met également au jour l’existence d’un système de surveillance massif installé par trois entreprises hexagonales en Égypte avec l’accord des autorités françaises. À partir de 2014, Nexa Technologies, Ercom-Suneris, devenu en 2019 une filiale de Thalès de laquelle l’État est actionnaire à 25%, puis Dassault Système, ont fourni pour le compte des renseignements militaires égyptiens des systèmes ultrasophistiqués de surveillance d’Internet, d’écoute téléphonique, de géolocalisation en temps réel et de traitement de ces données collectées.
Cette «surveillance made in France» est utilisée par le régime pour raffermir son emprise sur la société égyptienne. Plus de 60 000 prisonniers d’opinion sont déjà derrière les barreaux. Militants des droits humains, avocats, journalistes, opposants politiques, mais aussi homosexuels ou utilisatrices du réseau de partage de vidéos TikTok, quiconque sort des rangs tracés par le pouvoir militaire peut se retrouver en prison.
En plus de faciliter des abus commis contre la population, cette technologie pourrait également servir des opérations d’espionnage pour le compte de différents services de renseignement, cette très opaque dictature, estime pour sa part Rami Raouf, un chercheur égyptien spécialisé sur les questions de vie privée en ligne et de cybersécurité.
«Je n’ai jamais connu une répression d’une telle violence, dénonce au micro de France 2 Gamal Eid, un avocat défenseur des droits humains qui exerce depuis plus de trente ans. La France se met en position d’ennemi de la démocratie, continue le directeur du Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme. Les Égyptiens aimaient la France, elle est devenue aujourd’hui un soutien à la tyrannie. Les citoyens français doivent faire pression sur leur gouvernement. Pour nous, c’est déjà suffisant de lutter contre un tyran ici, sans en plus avoir à lutter contre les amis de ce tyran à l’étranger.»
Même défiance pour l’activiste Mohamed Lotfi. Le directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés se dit choqué de la «participation logistique de l’État français dans des violations très graves des droits de l’homme.» «Le président Macron doit réviser ce deal. En temps qu’allié du peuple égyptien, avant d’être celui du gouvernement, il faut arrêter cela,» plaide-t-il. Mohamed Lotfi appelle à l’établissement d’une commission d’investigation indépendante des Nations unies, «au nom des Égyptiens qui ont payé le prix de cette coopération.»
En France, les députés de La France insoumise (LFI) ont annoncé leur intention de réclamer l’ouverture d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. Elle «devrait faire la lumière sur l’opération Sirli, mais aussi sur le lien existant entre celle-ci et les ventes d’armes de la France à l’Égypte», abonde Amnesty International dans un communiqué. L’organisation de défense des droits humains réclame également l’établissement d’un contrôle parlementaire sur les exportations d’armement. Fin 2020, un rapport parlementaire plaidant en faveur d’un tel contrôle s’était heurté au refus du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), en charge des exportations d’armes.
Dans l’émission «Complément d’enquête», le député Sébastien Nadot, ex-La République en Marche (LREM), a quant à lui annoncé qu’il saisissait la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). À la question d’une journaliste de Médiapart quant à une éventuelle démission du ministre des affaires étrangères, chef d’orchestre du partenariat France-Égypte, il répond : «Si Jean-Yves Le Drian a un peu de respect pour la République qu’il est censé servir, je crois que c’est la moindre des choses.»
Mais depuis les révélations de Disclose, les exécutifs français et égyptien restent droits dans leurs bottes. Aucune remise en cause de ce partenariat stratégique. La ministre des armées Florence Parly a sollicité une enquête visant d’abord à déterminer l’identité de la source au cœur de cette affaire d’État. «La justice va être saisie sans délai» sur ce volet, a explicité le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. À savoir, la «violation flagrante du secret de la défense nationale». Ajoutant que cette enquête permettra également de «vérifier que les règles qui avaient été fixées pour cette coopération en matière de renseignement, les mesures qui avaient été prises pour qu’elles soient appliquées ont effectivement été mises en œuvre».
En Égypte, où l’accès à Disclose est bloqué par les autorités, silence radio. «Toutes les rédactions ont reçu des appels leur intimant de ne pas couvrir ces révélations», témoigne anonymement un journaliste égyptien. Selon le site, la mission franco-égyptienne Sirli se poursuit dans le désert libyque.
MARTIN ROUXJournaliste, Le Caire.
Salim METREF
Ne pas mettre ses œufs dans le même panier. Jamais adage n’a été aussi pertinent quant au rapport de l’Algérie à l’élection présidentielle française.
Avant d’esquisser quelques moments choisis d’une échéance électorale, il serait peut-être opportun de noter que le soutien de l’Algérie à la demande politique récente de personnalités politiques françaises en fin de mandat serait difficilement envisageable voire quasiment impossible et perçu comme tel notamment par ces nombreux pays africains qui veulent en finir une fois pour toutes avec l’interventionnisme militaire français en Afrique et qui considèrent par exemple l’interdiction signifiée par l’Algérie au survol de son territoire par des avions militaires en provenance de l’hexagone comme un marqueur de souveraineté dont il ne faudra jamais et sous aucun prétexte se démarquer.
Bien que de nombreux candidats issus de la droite française promettent, une fois au pouvoir, de muscler la politique étrangère de leur pays, un soutien même timide à l’actuel locataire de l’Elysée qui rappelons-le osait il y a quelques semaines de cela piétiner, pour des raisons purement politiciennes, l’histoire de l’Algérie apparaitrait comme un parti pris pour un candidat parmi tant d’autres.
La cartographie politique actuelle de l’hexagone pourrait se résumer ainsi en cette veille électorale. Une gauche encore une fois désunie, victime de l’inexorable dérive du centre de gravité politique de l’hexagone vers la droite et qui sera encore une fois absente du second tour de l’élection présidentielle. Un bloc national divisé en deux et dont les deux figures emblématiques commencent à s’essouffler, l’une victime sans doute de l’usure d’une dynastie et de ses échecs récurrents, l’autre parti trop tôt et trop vite et qui finira sans doute mal cette impitoyable course d’endurance. Un président encore en exercice qui finira bien lui aussi par ôter son habit de chef de l’état pour revêtir celui de président sortant et de candidat auréolé de ses succès mais aussi de ses échecs et qui ne sera peut-être pas parmi ceux qu’il affectionne particulièrement, les premières de cordée. Enfin, une femme qui fera dans doute lever une autre alternative portée par un projet rassembleur. Cette dernière vient de faire grâce à sa compétence une puissante irruption dans l’actualité politico-médiatique française, jusque-là plutôt squattée par un Eric Zemmour soutenu par une partie du complexe médiatique parisien. La présidente de la région Ile-de-France semble réussir à faire trembler les états-majors politiques, ébranler les certitudes et exploser les pronostics pour le second tour de cette élection. Ainsi entre ce que cette femme politique qualifie d’immobilisme des uns et de démagogie des autres semble s’insinuer une autre voie qu’incarnerait pour la première fois une femme.
Cette probable perspective que nous avions prédit dans l’un de nos anciens écrits (1) aura certainement des conséquences pour ce que sera le second tour de cette élection.
Le polémiste d’extrême droite a bien bénéficié pendant de nombreuses années de tribunes bienveillantes et autres plateaux de télévision qui ont été généreusement mis à sa disposition pour faire la promotion de ses idées extrémistes et de sa haine de l’Islam. Face à des animateurs sous hypnose, il a pu creuser son sillon. Qui se souvient de la guadeloupéenne Christelle Kelly restée muette et en extase pendant que le polémiste dissertait sans gêne sur les Blacks ou de la franco-tunisienne Sonia Mabrouk sans véritable réaction face à une Elisabeth Levy, fan d’Eric Zemmour, lui assenant en direct un vous avez une tête d’arabe.
Le candidat Zemmour qui essaye désespérément de relancer une dynamique qui semble s’essouffler pourrait se voir signifié à court terme le clap de fin d’une incarnation qualifiée par certains de ses adversaires politiques de celle de l’idiot utile de l’extrême droite française. N’a –t-on pas entendu un intellectuel reconnu comme Alain Minc lui reprocher d’incarner sans le savoir le rôle du juif utilisé par certains pour cogner sur les arabes ?
Bien qu’elle ne soit pas trop connue des français, l’émergence de la candidature de la présidente de la région Ile-de-France inquièterait au plus haut niveau car elle dispose d’une marge de progression importante. Et l’actuel locataire de l’Elysée qui temporise lui aussi avant d’annoncer sa candidature semble pleinement exploiter à son profit l’exposition médiatique que lui procure sa fonction de président de la République.
Vue de ce côté-ci de la Méditerranée, la présidentielle française n’est au final qu’une histoire franco-française. L’Algérie se doit de prendre acte de tous les scénarii possibles qui pourraient se déployer à l’issue de cette élection notamment l’arrivée aux manettes de forces politiques qui se croiraient obligées d’adopter une ligne politique franchement hostile à son égard. Ce choix sera bien entendu contre-productif et sans plus-value pour tous ceux qui veulent éviter que ne soit définitivement acté le déclassement international de la France. Il serait plus sage que ces forces politiques se résolvent à concevoir et à accepter une fois pour toutes que des deux côtés de la Méditerranée existent deux entités distinctes et souveraines et que seul le respect mutuel pourrait permettre d’imaginer un futur à une relation dont la dimension humaine notamment par la présence d’une importante diaspora en France constitue un élément significatif.
L’Algérie doit aussi impérativement préserver son indépendance portée par un socle d’institutions extrêmement solides au service d’un état qui ne pourra s’émanciper de l’inexorable convergence vers l’état de droit. Le Président Algérien a pertinemment suggéré l’impératif d’oublier définitivement la séquence de la colonisation de l’Algérie. Ce dernier pays ayant après une longue guerre de libération nationale libérer le chemin de l’accomplissement de la nation algérienne millénaire jusque-là obstrué par des étrangers venus armés conquérir une terre d’Islam, riche et hospitalière, sans que personne les y ai jamais un jour invités !
Tribune de l’Algérie libre