LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE D’EUROPE SE SOUVIENT
de l’un de ses premiers serviteurs et maîtres
Le savant ALGÉRIEN Cheikh Mahmoud Bouzouzou,
le chef spirituel de la guerre de libération, a servi l’arabe et s’est consacré à l’islam en Occident durant un demi-siècle.
Mohamed Mustapha Habes: Genève / Suisse
Au cours des dernières années, cinq conférences en mémoire du Cheikh Mahmoud Bouzouzou ont été organisées par l’Association Cheikh Mahmoud Bouzouzou en collaboration avec la communauté musulmane de Suisse. Certains des compagnons de Cheikh Mahmoud Bouzouzou d’Europe et du Maghreb y ont été invités et quelques-uns de ses collègues d’Algérie y ont marqué leur présence, notamment le regretté Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du Front de libération nationale algérien, le regretté Cheikh Abderrahmane Chibane, ancien ministre et président de l’Association des oulémas musulmans algériens, le Professeur Bouamrane Chikh, président du Haut Conseil Islamique algérien, qu’Allah leur fasse miséricorde, et Cheikh Larbi Kechat, qu’Allah le garde, ainsi que d’autres professeurs, collègues et disciples du Cheikh en Suisse et en Europe.
Il a consacré sa vie au service de la science et à la diffusion de la religion jusqu’à sa mort
Cette année, la sixième conférence annuelle a eu lieu en deux parties, ces deux derniers samedi du mois, à la Salle des conférences du Centre islamique de Genève (Suisse) en mémoire du Cheikh Mahmoud Bouzouzou qui fut un élève de Cheikh Abdelhamid Ben Badis, et un des premiers membres de l’Association des oulémas musulmans algériens, et un des fondateurs des Scouts musulmans algériens avec le martyr Mohamed Bouras, au sein desquels il a œuvré en tant que guide général des Scouts musulmans algériens dans les années 40. Puis il a consacré sa vie au service du savoir et à la diffusion de l’islam jusqu’à sa mort en Suisse le 27 septembre 2007, à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui une riche histoire de dévouement. La conférence a été suivie par des hommes et des femmes, par ses disciples et par des admirateurs de sa pensée modérée, et parmi eux des personnes qui ont connu Cheikh Bouzouzou il y a près d’un demi-siècle lorsque celui-ci donnait des cours d’arabe à l’Université de Genève et à l’Organisation des Nations Unies, et comme imam à la Grande Mosquée de Genève et traducteur.
La conférence a été comme d’habitude ouverte avec une récitation bénie du Coran, notamment le verset de la Sourate Houd : « Je ne veux que la réforme, autant que je le puis. Et ma réussite ne dépend que d’Allah. En Lui je place ma confiance, et c’est vers Lui que je reviens repentant », un verset que Cheikh Bouzouzou a souvent mis en titre de ses œuvres et de ses projets.
Par la suite, une brève présentation de l’Association Cheikh Mahmoud Bouzouzou, de ses buts, activités et accomplissements a été donnée par son président. Cette association a été créée le 1er novembre 2007 en vertu du droit suisse. Elle a pour objectifs d’ouvrir des centres culturels en Suisse et en Algérie, de regrouper l’héritage du mouvement national algérien dans lequel le défunt a contribué par ses écrits et son expérience, et de participer au dialogue interreligieux en Europe. Le président de l’association a également mentionné que l’association œuvre actuellement à traduire une partie du patrimoine audiovisuel, publié et écrit du Cheikh Bouzouzou, soulignant que l’association a un besoin urgent en ressources afin de financer ces projets caritatifs humanitaires. Il a également annoncé un projet d’impression de calendriers de l’année 1441 de l’Hégire / 2020, en français et en anglais, afin d’être distribués dans les bibliothèques publiques, associations et centres islamiques en Suisse.
Moments clés de la vie de Cheikh Bouzouzou
Après cette brève présentation, le premier intervenant a été invité à présenter une biographie complète à travers les moments clés de la vie de Cheikh Mahmoud Bouzouzou, ses réalisations dans les domaines de l’éducation et de la résistance en Algérie avant et pendant la révolution de libération, et ce en tant que guide général des Scouts musulmans algériens, enseignant et journaliste. L’intervenant a ensuite évoqué le rôle du journal indépendant Al-Manar, (Le Phare), fondé par l’intellectuel Mahmoud Bouzouzou et ses efforts importants de mobilisation du peuple algérien durant la période de libération, un journal qui n’a publié que 51 numéros en quatre ans (1951-1954).
Compte tenu de l’importance de ses idées promouvant la liberté, les documents des renseignements français récemment publiés l’ont considéré comme le père spirituel de la révolution algérienne, comme l’a souligné l’écrivain et historien algérien Mohamed Arezki Ferrad en préface de son dernier livre, qui vient de paraitre, intitulé Les idées de Mahmoud Bouzouzou dans la libération nationale. L’un des étudiants de Cheikh Bouzouzou en a lu quelques passages en arabe et en français.
Du « B » de Ben Badis est né le « B » de Bouzouzou
Ensuite, ont été présentés plusieurs passages d’une étude comparative entre Cheikh Abdelhamid Ben Badis et son disciple Mahmoud Bouzouzou, intitulée « Ce lionceau est né de ce lion/ هذا الشبل من ذاك الأسد » sur des sujets publiés, d’un côté, dans les deux journaux Al-Chihab et Al-Bassair (Ben Badis), et d’un autre côté dans le journal Al-Manar (Bouzouzou). Son auteur a déclaré qu’elle était structurée du « B » de Ben Badis au « B » de Bouzouzou, évoquant les thèmes clés de leur vie, tels que par exemple le sens de la « nation algérienne » chez les deux hommes et leur vision de la colonisation française et sa politique d’éradication, la nécessité de l’unité et du mouvement, le fascisme et le racisme, les coutumes, l’héritage et les croyances religieuses, la liberté de l’Algérie et la cause palestinienne, des sujets auxquels nous reviendrons en détail dans un article séparé vu leur importance.
Génération d’or pionnière dans le dialogue interreligieux
Un autre intervenant a également noté que la reprise de la carrière politique, religieuse et médiatique de Cheikh Mahmoud Bouzouzou en exil n’était pas chose aisée, particulièrement en Europe à cette époque, et notamment en Allemagne et en Suisse où il a résidé. L’intervenant a rappelé les difficultés auxquelles Cheikh Bouzouzou a fait face en exil et a évoqué son rôle dans la constitution du Comité consultatif des religions à Genève avec des prêtres chrétiens et des représentants d’autres traditions religieuses et spirituelles. Il a également rappelé certains des prédicateurs réformateurs contemporains de Cheikh Bouzouzou, tels que Dr. Said Ramadan et les traducteurs du Coran tels que Muhammad Hamidullah et Jean-Louis Michon qu’Allah leur fasse miséricorde.
En outre, l’intervenant a évoqué les efforts intellectuels de Cheikh Bouzouzou, de la période post-indépendance, jusqu’à sa mort en 2007. Des efforts intellectuels importants axés en particulier sur la da’wa islamique, l’enseignement de la langue arabe et la promotion du dialogue entre les civilisations en Suisse et plus généralement en Europe. Cheikh Bouzouzou, l’Amazigh, faisait partie de cette génération d’or pionnière qui a défendu la civilisation islamique en Europe dans les langues de son peuple et avec des méthodes scientifiques élégantes qui ont impressionné les Européens.
Contribution à la traduction du Coran en français et conversion à l’islam du philosophe français Roger Garaudy
Cheikh Bouzouzou a contribué aux traductions du Coran de Jean-Louis Michon et d’autres. Il a également participé dans la production et la rédaction de nombreux ouvrages et études avec des non-musulmans. Certains d’entre eux ont embrassé l’islam grâce à lui, et notamment le philosophe français Roger Garaudy, qui a bénéficié pendant plusieurs années de la bibliothèque et de l’accompagnement de Cheikh Bouzouzou, avant de publier des dizaines d’ouvrages importants, notamment sur l’islam après sa conversion.
Le rêve de Garaudy était d’unir les trois religions: l’islam, le christianisme et le judaïsme, car il considérait qu’il y avait un message commun entre elles, comme nous l’ont dit certains des disciples de Cheikh Bouzouzou.
Cheikh Bouzouzou a également participé dans de nombreuses œuvres culturelles avec d’autres auteurs, tels que le journaliste et écrivain suisse Roger Dupasquier et son livre Découverte de l’islam. Ce dernier s’est également converti à l’islam et est devenu, avec sa plume et sa langue, un de ses fervents défenseurs en Occident. Et ce n’est pas un secret que Malek Bennabi avait choisi Mahmoud Bouzouzou pour traduire son livre Le phénomène coranique, mais ce dernier s’est excusé en raison de ses nombreuses occupations et voyages, et c’est l’Egyptien Abdassabour Chahine qui le traduisit.
Les religions monothéistes ont pour source un seul Dieu, telles des cours d’eau qui proviennent d’une même source
En Suisse, Cheikh Bouzouzou a contribué à la création du Comité consultatif des religions en 1968. Ce conseil a réuni un groupe d’intellectuels et d’écrivains de différentes religions, dont le théologien et pasteur protestant Henry Babel, auteur de plus de quarante ouvrages, considéré comme l’un des théoriciens du christianisme en général, et du dialogue interreligieux en particulier. Il fut en relation avec Cheikh Bouzouzou pendant des dizaines d’années. Dans l’hommage qu’il lui a rendu il y a sept ans, il a énuméré les points communs des religions monothéistes et a rappelé la nature encyclopédique de Cheikh Bouzouzou en disant : « Cheikh Mahmoud est une véritable bibliothèque diversifiée et complète et englobe toutes les branches de la connaissance. » […]. « Sa maîtrise des langues arabe et française lui a permis de comprendre sa religion islamique et de dialoguer avec les Occidentaux dans une langue française éloquente. » À cette occasion, Henry Babel avait conclu son hommage en disant que « Cheikh Bouzouzou était une personne ouverte au dialogue et son raisonnement était très puissant. Il mérite d’être un exemple à suivre à travers les générations afin de réorganiser un dialogue interreligieux actuellement au point mort pour des considérations politiciennes aussi fragiles qu’une toile d’araignée. » Il a également rappelé la célèbre phrase de Cheikh Bouzouzou selon laquelle « les trois religions monothéistes ont pour source un seul Dieu, telles des cours d’eau qui proviennent d’une même source, comme le Rhône et le Rhin, qui proviennent d’une même source en Europe et se déversent dans la Mer Méditerranée ».
Témoignage de trois musulmanes qui ont connu Cheikh Bouzouzou depuis des décennies
À la fin de la conférence, des extraits audio d’interviews en français et en arabe de Cheikh Bouzouzou sur les ondes de la radio suisse dans les années 70 et 80 ont été diffusés. Ensuite, quelques vers d’un poème écrit par le poète algérien Abdelaziz Chebbin, domicilié en Grande-Bretagne, sur les efforts et les idées de Cheikh Bouzouzou ont été lus. « Bouzouzou, le phare dans la lutte contre la coloni-destruction. » Il ne faut pas oublier que Cheikh Bouzouzou était également un poète et a écrit de nombreux poèmes. Il serait bon que les spécialistes puissent les regrouper dans un recueil à part.
Puis trois femmes ayant connu Cheikh Bouzouzou ont témoigné. La première est une convertie d’origine suédoise se nommant Khadija. Elle était fonctionnaire au Bureau International du Travail des Nations Unies. La deuxième est une Algérienne originaire de Constantine. Elle est arrivée en Suisse dans les années 60 et était étudiante de Cheikh Bouzouzou à l’Université de Genève. La troisième a souligné l’attention qu’accordait Cheikh Bouzouzou à la femme en général et aux étudiantes étrangères en particulier.
En conclusion, les organisateurs de la conférence ont annoncé leur volonté de mettre sur pied l’année prochaine une journée d’étude sur les exemples d’efforts fournis par les érudits et les réformateurs en vue de la coexistence entre les peuples à travers les générations en Europe.