18 AVRIL 2020 PAR RACHIDA EL AZZOUZI
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Un militant associatif qui écope d’une année de prison ferme, un journal et une radio en ligne qui couvraient le Hirak censurés… Suite de la chronique d’une répression qui monte encore d’un cran en Algérie.
«Il n’existe pas de rébellion plus juste et plus démocratique que celle qui secoue le Chili.
Et il n’existe pas de répression si dure et criminelle soit-elle, qui puisse entraver un peuple qui se lève. »
L’immense écrivain chilien Luis Sepulveda s’en est allé, jeudi 16 avril. Emporté à 70 ans par le nouvel ennemi invisible, le Covid-19, lui qui a survécu à la dictature Pinochet.
Et ses dernières lignes sur son pays, « oasis asséchée » dans Le Monde diplomatique où il collaborait régulièrement, résonnent de l’Amérique latine à l’Asie en passant par l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient.
Sur tous les continents où les peuples se soulèvent quasi simultanément depuis plus d’un an contre les inégalités, les injustices, les corruptions, les oppressions (*).
En Algérie, tout particulièrement, où le régime instrumentalise la pandémie pour redoubler de répression afin de mater les voix du Hirak et faire s’éteindre le soulèvement populaire qui a déchu l’ancien président fantôme Abdelaziz Bouteflika vissé au pouvoir depuis vingt ans. Si des dizaines de détenus de droit commun ont été libérés pour limiter les dégâts de l’épidémie et désengorger les prisons, aucun prisonnier d’opinion politique ne l’a été. Capture d’écran du site Maghreb Emergent, censuré en Algérie et dénonçant l’emprisonnement de journalistes dont un de ses collaborateurs Khaled Drareni.Fin mars et alors que le pays, principal foyer de contamination d’Afrique, se confinait, nous racontions ici l’acharnement judiciaire sur l’opposant politique Karim Tabbou dont la peine a été doublée à la veille de sa libération, la détention arbitraire du journaliste indépendant et correspondant de Reporters sans frontières Khaled Drareni, le harcèlement à l’encontre des militants du Hirak, visages connus ou anonymes jetés en prison alors qu’ils n’ont rien fait à part réclamer un état de droit, l’avènement d’une « Algérie libre et démocratique », la fin d’un système opaque et broyeur.
Abdelouahab Fersaoui, le président du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), une association citoyenne en première ligne de la contestation, avait essuyé une parodie de procès mais le verdict avait été ajourné. Il est tombé il y a quelques jours : un an de prison ferme pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », « entrave au transport de matériel militaire » et « incitation à la violence ».
« Abdelouhab Fersaoui n’a pas volé, n’a pas tué, et, s’il avait été corrompu et travaillait pour vos intérêts, vous l’auriez acquitté », a explosé sur les réseaux sociaux son épouse. Arrêté en octobre dernier, l’universitaire de 39 ans participait à un rassemblement demandant la libération des détenus d’opinion. « Les autorités l’ont condamné uniquement sur la base de ses écrits sur Facebook critiquant la répression contre le Hirak et sa participation à des manifestations appelant à une transition démocratique », s’insurge Amnesty International.
Trois jours plus tard, jeudi 9 avril, la censure s’abattait sur le site d’information à dominante économique Maghreb émergent et la webradio associée Radio M où le journaliste Khaled Drareni officiait. Les deux médias en ligne, qui couvrent le Hirak et donnent la parole à ses acteurs, sont désormais inaccessibles en Algérie sauf par connexion VPN.
« C’est la pire séquence de répression de la liberté de la presse qu’aura connue l’Algérie depuis les assassinats de journalistes dans les années 1990 (pendant la décennie noire) », dénonce El Kadi Ihsane, à la tête du pôle éditorial d’Interfaces Médias, la société éditrice des deux sites, qui continue de pratiquer un journalisme indépendant malgré les bâtons dans les roues (non-reconnaissance de statut, interdiction de carte de presse et de publicité, répression).
Quelques jours après avoir justifié le blocage des deux journaux par l’accusation de financement étranger, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Amar Belhimer, a rétropédalé et évoqué un délit « d’offense » et de « diffamation » à l’encontre du nouveau président algérien, très mal élu lors d’une présidentielle imposée par l’armée et rejetée par la rue en décembre dernier.
C’est en fait un article critique sur ses premiers mois d’exercice du pouvoir intitulé « Les 100 jours de malheur d’Abdelmadjid Tebboune », sous la plume de El-Kadi Ihsane et dans la rubrique « Opinions », qui aurait conduit à cette censure…
L’accroche du papier : « Un haut fonctionnaire sans relief chargé par les militaires de redonner une “tenue civile” au pouvoir se retrouve “désarmé” devant une dégradation sans précédent de la situation. Erreur de cap doublée d’une grosse erreur de casting. Choc en vue. »