Semiane Sid Ahmed
La foule a exhibé la mort de manière abjecte, dégueulasse. Inhumaine. L’état exhibe les suspects de manière cruelle. Illégale. Ultime acte de l’insensé, du cruel, Il rediffuse même le crime dans son intégralité sur des chaines de télévisions « grand public ». Nous passons d’une mise en scène à une autre. Mise en scène de la mort. Mise en scène du droit. Mise en scène des enquêtes. Mise en scène de nos émotions. De notre humanité même, que chacun malmène, piétine, à sa guise.
La foule, travaillée par ses plus vils instincts n’a pas laissé le temps à la victime de s’expliquer. De parler. De prouver qui il était. Ou plutôt ce qu’il n’était pas. Mais la foule n’a pas à interroger. Ce n’est pas son rôle. Ce n’est pas son métier. Ce n’est pas de son ressort. La foule ne doit arrêter personne. C’est celui, exclusif, de l’état. D’un état fort. La foule a volé ce droit à un Etat en panne, déliquescent, en volant la vie à un innocent, au meilleur des hommes.
La police n’a pas protégé des mains hurlantes, des yeux rugissants, un homme sous sa haute protection. La police est formée, entrainée, qualifiée pour disperser les foules les plus robustes. Les plus déterminées. Elle a les techniques et les moyens pour le faire, et sans faire de victimes. La foule s’est dépossédée de son humanité le temps d’un crime odieux.
Mais la justice n’est pas la foule. Elle est la loi. Elle doit prendre le temps, le temps judiciaire, de faire justice. Il y a des procédures à respecter. Des lois à ne pas piétiner. Un droit à faire valoir. Si le crime est devenu spectacle de la mort, La justice ne doit pas être le piètre spectacle de la vengeance expéditive. De l’exhibition suspecte des suspects. De l’excitation de nos plus vils et plus bas instincts. Et ces médias, diffusant docilement des images indignes d’une exécution ou celles, insupportables et contreproductives, d’arrestations en chaine de suspects, de présumés coupables, il est peut-être temps qu’ils sortent de cette orthodoxie qui fait d’eux des auxiliaires de la police ou de la justice, pour se prêter avec autant de d’inféodation et de servitude à ce jeu malsain des mises en scènes de l’horreur.
Des mises en scènes de la loi. Les médias informent. Les médias interrogent. Les médias racontent. Les médias ont un point de vue. Mais les médias ne communiquent pas. La justice n’est pas n’est pas une offrande à la colère et à la vindicte populaire. Elle ne doit pas nous exciter, elle doit nous apaiser. Apaiser nos douleurs. Apaiser nos colères. Apaiser nos doutes. Apaiser nos interrogations. Les exécutions sur les places publiques sont d’un autre temps. D’un autre âge. Les exhibitions sur les télévisions publiques (et privées) ne le sont pas moins. Elles sont l’autre revers de la cruauté.