haj kaddur yagubi
Le Harak vient d’écouler son 30ème vendredi, tout aussi beau, tout
aussi fort. Mais le pouvoir atteint de cécité, surdité et mutité,
l’ignore et lui et ses revendications. Despotiques, méprisantes, et
paternalisme aidant, de leurs hauteurs, les autorités le traitent-
langue de bois oblige !- de mineur à la merci des sataniques roublards
de la politique aussi bien intérieurs – en relation avec la « yçaba »
– qu’extérieurs – qui « complotent » contre le pays !
Une trentaine d’années s’est écoulée après le dernier coup d’Etat et
le pouvoir ne semble pas en mesure d’acquiescer que le problème de
la légitimité est encore de l’heure et n’a rien perdu de son acuité.
La question de la légitimité n’est pas singulièrement le problème de
l’opposition, c’est le problème de tous les algériens. Tout le monde
parle de démocratie, de référence au « destour », de fin de crise…
Mais, par la parole et par l’acte, la pratique du système nous
retourne aux années 70 : l’ère des idées fixes et de la conception
unique ! Comme si Octobre 1988 n’a pas existé, le putsch de 1992 n’a
pas eu lieu alors que la décennie noire n’a pas fini de compter ses
morts ; elle n’a pas non plus résolu ni le problème de ses disparus,
ni le problème de ses détenus politiques. Les cours spéciales,
reconnues non constitutionnelles, ont été supprimées mais leurs
condamnés maintenus croupissent dans les prisons depuis plus d’un
quart de siècle.
Qui doit ou peut expliquer ? Le pouvoir fait
cavalier seul. Les médias et vassaux politiques justifient,
embellissent et applaudissent. Alors qu’on s’attendait à la
libération des champs politique et médiatique, le pouvoir s’engage
dans les élections sans tenir compte des aspirations des gens que
rassemble le Harak ! Comment convoquer le peuple à une opération à
laquelle il ne figure que comme exécutant ? Pire il a été sommé
d’aller au vote, décidé par le commandement militaire. Où se place le
destour dans cette affaire ?
Il est clair que le collège électoral ne sera pas conforme au collège électif. Se suffit-on des voix de la coalition et des bénéficiaires de la pérennité de l’ordre établi ?
Cherche-t-on à pousser les citoyens du Harak à se retirer du vote ?
Pour assurer le choix déjà arrêté du pouvoir, veut-on retourner au
taux de participation réel habituel – 12% ou 15% environ selon
certains observateurs-? Cela rappelle un peu les législatives en 1992.
Le FIS de M.Hachani- rahimahullah-, fin prêt pour le vote, avait
déclaré qu’il refusait toute participation au scrutin si le pouvoir
persistait à garder sa direction aux arrêts. L’autorité maintint les
shuyukh en détention : une occasion, inespérée, toute faite pour se
débarrasser du « front islamique » et ses fans.
La veille des législatives, le FIS annonce son concours. Par sa manœuvre calculée, il avait déjoué les plans du pouvoir et fait table rase. L’autorité
des faux-monnayeurs de la politique avait volé en éclat et les truands
du pouvoir avaient perdu leur ciel. Ils engagèrent l’armée et le pays
avec dans les ténèbres. Ce fut l’ouverture de la géhenne ! Il faut
dire que le Harak n’est pas le FIS. Que les données ne sont point les
mêmes- en particulier, le scrutin de 92 était bien neutre et
transparent. Que la maturité politique a fait du bon chemin en épiant
ce qui se passait dans les méandres du champ politique vaseux géré par
la corruption des quatre mandats successifs. Que dire et que faire
aujourd’hui ? Un destour invalide de naissance, entre provisoirement
définitif et définitivement provisoire, ne pouvant tenir lieu de
référence, pratiquement paralytique, bafoué à l’occasion,
livrera-t-il autre chose qu’un « président truqué » ? Mouvant
télécommandé, même jouissant d’une bonne santé, il ne fera que
reproduire l’ère de la chaise roulante à El Mouradia.
Peut-on dire que l’« équilibre » Hirak- Armée se trouve dans le giron
de la précarité ? Nous sommes pratiquement dans un état alarmant qui
nous incite à nous poser des questions délicates mais assez
importantes dans le débat de l’heure. Le Harak a arrêté le plafond des
revendications. Le bras de fer est engagé. Le jeu s’avère serré… Tout
discours, toute action qui sort des limites fixée par le Harak est
considérée comme nulle.
Ceux qui prônent les présidentielles oublient –ils que la chute de AB
n’est due ni à sa maladie ni à son infirmité. Même s’il était en
parfaite santé et faisait la trentaine d’âge, il aurait connu la même
issue. Son éviction- grâce au Harak- est le résultat de la « hogra
politique » instituée et du cumul, depuis l’indépendance, des abus
d’un système incapable de respecter le minimum vital requis pour un
consensus social. Système qui a permis à des criminels comme le
général Nezzar et sa clique d’arriver aux commandes de l’Etat. Tant
que ce système perdure, le pays n’est pas à l’abri des opportunistes
qui savent se plier aux circonstances. L’histoire du cinquième mandat
n’est que la goute qui a fait déborder le vase. Avec tout son attirail
sécuritaire, le pouvoir n’a pu la prévenir.
Le Harak a germé, s’est développé et est né hors des corps structurés. Et encore moins dans ceux que les événements ont discrédités. La médiocrité dans la pratique politique et l’inaptitude des responsables ont permis son
apparition et accéléré son succès. Le Harak est né des cendres des
structures politiques carbonisées par les quatre mandats successifs.
Avec ses 30 vendredis, il affirme sa volonté d’être plus qu’un rite de
protestation ponctuel. Après avoir mis à nu la caducité les voies
politiques traditionnelles et révèle leur putréfaction, il vise le
changement radical du régime qui a perdu toute raison d’existence…
La logique a toujours un côté inné, ce qui fait que l’électeur ne
manque pas de rationalité : il est très capable d’identifier ses
intérêts et de les classer même. Il arrive que parfois les idéologies
se fatiguent, mais cela n’empêche pas le citoyen de remarquer que le
pouvoir empiète et abuse. Nul ne réfute le vote et la démocratie, mais
il advient qu’ils peuvent manquer d’intérêt pour les gens. Surtout si
les préalables d’un vote libre et honnête ne sont pas réunis ; ce qui
refroidit la participation et le nombre d’adeptes chute. Qui pourra
assurer que le scrutin prochain ne finirait pas en catastrophe ? Il a
l’air de réunir les conditions du vote « imposé » pour valider le
cinquième mandat. L’offre politique est tellement desséchée et stérile
que l’électeur n’a d’autre choix qu’afficher son refus. Les officiels
du régime prennent toute la latitude de traiter pareil comportement
d’irrationnel !
En réalité ils savent pertinemment que cette explication ne fait que cacher leur impuissance, leur radicale inaptitude à la réflexion critique. On a vu bien des scandales, mais qu’ont-ils déstabilisé ? Personne ni quoique ce soit. Ni des organisations partisanes, ni des institutions. L’issue judiciaire des affaires soulevées est pratiquement incertaine. Ces états de fait
contribuent à la volatilité électorale et à la défiance envers les
appareils de l’Etat. Les calculs pour les présidentielles ne semblent
pas avoir été bien faits. Il est visible que, sans structures, ni
organisation, le Harak agit aussi bien au niveau local, régional que
national. Il a toute la latitude, la possibilité et la force d’annuler
les présidentielles. Pour ceux qui en doutent, il l’a déjà fait. Si la
dernière fois il avait comblé la rue, pour la prochaine il lui
suffirait de la vider. L’avenir de l’Algérie ne peut se faire sans
le Harak! Les rigueurs contraignantes de la pensée finissent toujours
par ramener aux exigences du réel.
Mais le jeu des rapports de force a son emprise sur les orientations
politiques et vice- versa. Les distinctions idéologiques et les
rapprochements stratégiques ne cessent d’évoluer. Si le régime
vacille, il reste coriace. Le Harak a réussi à présenter une identité
aussi mouvante que poreuse pour regrouper et renfermer le maximum
d’opposants résistants. C’est un atout majeur sur la route du
changement.
La classe politique dans son ensemble, si elle veut faire preuve
d’intelligence et cesser d’osciller entre le zist et le zest, elle
doit se limiter et articuler son action à s’affranchir de la tutelle
militaire. Quant aux raisons profondes du changement et du choix du
projet de société, il doit être remis à plus tard lorsque le soldat se
serait suffit de la caserne. Tout a été dit ou presque pour avoir, à
la sortie de la crise, un accès qui soit à la hauteur des attentes de
ce vaillant peuple, de ses sacrifices et des défis à venir. La
différence des approches fiables des opposants, quant à la solution,
peut être circonscrite et, par le dialogue animé de bonne volonté,
elle peut tendre vers zéro avec un catalyseur efficace.
Que nos intellectuels et penseurs ouvrent le débat, en mettant
derrière le dos amalgame, court-circuit, dogmatisme fasciste,
cloisonnement, repli sur soi, … enfin, toute notion stérile et faussée
qui risque de compromettre l’apparition du catalyseur. Et pensons
notre présent en partant de notre passé pour assoir notre avenir.
Sortons des clichés introduits par le pouvoir ! Si l’ennemi change,
la menace demeure !
La contestation de l’ordre établi est sans doute une aventure
politique ; bien que minoritaire, elle s’affirme comme universelle.
Notre pays, notre canot, notre bien commun à tous, passe des moments
pénibles, les plus rudes et les plus délicats de son Histoire. On
assiste à une irruption de revendications aussi bien inédites
qu’insolites, à des mutations des actions militantes. Le pouvoir ne
veut pas céder, il a toujours ceinturé son agir national d’un cadre
politique encombré de dispositions sécuritaires. Le combat pour la
liberté, la fraternité et la paix, est le combat de tous les
instants. Face à des menaces sérieuses, nul ne peut justifier son
inaction par l’incertitude