Youcef L’Asnami
Le groupe Qatari Baladna Company a donc signé un accord avec le ministère algérien de l’agriculture consistant au développement d’un projet intégré visant à produire du lait déshydraté à Adrar. L’investissement prévu serait de 3,5 milliards de dollars et couvrira une superficie de 117 000 ha (un peu plus de 1000 km2) répartis sur trois pôles : une exploitation agricole, une exploitation laitière de 50 000 vaches et une usine de transformation pour produire du lait déshydraté.
Ce projet serait géré par une entreprise détenue à 51 % par Baladna et à 49 % par le Fonds national d’investissement algérien. On peut légitimement s’interroger sur les capacités d’expertise du Qatar, sachant que ce pays s’est toujours appuyé sur des sommités mondiales, américaines, australiennes et européennes notamment, pour son propre développement.
Aucune précision n’a été donnée quant à la race de vaches laitières concernée par ce projet qui serait largement inspiré d’un projet similaire mis en œuvre au Qatar en 2017 pour répondre au blocus imposé par les pays voisins pour punir ce pays « soutien du terrorisme régional ». Mais il faut préciser que la ferme « Baladna aux 20 000 vaches » du Qatar fait partie d’un parc d’attraction recouvrant plus de 200 ha de jardins et pelouses, des restaurants, un zoo, des activités de jeu… et a donc une vocation éducative. La « ferme », qui se visite sous conditions d’hygiène draconiennes, n’est donc qu’un élément de ce parc. Face au blocus des voisins, et dans un sursaut de « Rojla », le Qatar importa, par avion, un premier lot de 165 vaches laitières Holstein de Hongrie suivi par d’autres arrivées de vaches par avion-cargo des USA, d’Australie… Il en est de même pour les équipements de la ferme comme la salle de traite ultra moderne. Du « Zalt ou Etfer3ine » on passe au «Elmal ou Etfer3ine » !
Petit pays en surface et en population – 300 à 400 000 Qataris et 2 millions d’étrangers – , aux rentrées de devises phénoménales, le Qatar a souvent été le pays de la démesure et des défis. Il a toujours fait appel aux meilleurs conseillers du monde notamment en Europe et aux USA ! Cependant, nous n’avons pas de visibilité quant à la rentabilité de la ferme Baldana dans ce pays. Nous sommes noyés dans des chiffres de production, de transformation et de commercialisation des produits sans savoir si l’investissement a été amorti ou non et si oui, à quelle durée.
Le contexte économique, social, politique et culturel de l’Algérie est totalement différent du Qatar. C’est la raison pour laquelle, on ne peut calquer le projet qatari sans un minimum de questionnements et de précautions.
Les contraintes liées au projet algérien ne sont pas que climatiques et hydriques. Elles sont aussi liées aux techniques propres à l’élevage laitier très exigent relativement à l’élevage des bovins destinés à la production de viande. Il s’agit de maitriser toutes les étapes de la reproduction, s’occuper de génisses, assurer une alimentation équilibrée aux animaux, prévenir les maladies dans un contexte de forte concentration de vaches, etc.
Au Qatar, où même les rues sont climatisées, les vaches laitières sont maintenues toute l’année dans un enclos climatisé. Les vaches sont aspergées en permanence, jour et nuit, par une eau pompée sur place. Les rations alimentaires sont calculées individuellement par ordinateur. Devant l’impossibilité de produire les fourrages sur place, le Qatar a investi dans l’achat de milliers d’ha de terrains agricoles pour produire les fourrages et concentrés dont il a besoin notamment au Soudan, la Turquie, le Brésil, l’Ukraine…. et les importe par avions ou bateaux pour satisfaire les immenses besoins des vaches en matière d’alimentation.
Il en est autrement dans le projet algérien où les fourrages et concentrés devraient être produits sur place ou ramenés des régions environnantes.
Il faut avoir à l’esprit qu’une vache laitière comme la Holstein, transformée par les « progrès » de la génétique en une véritable usine de production laitière, produit en moyenne près de 30 kg de lait par jour et jusqu’à 70 kg de lait au pic de lactation d’une durée de dix mois. Sa capacité d’ingestion est en moyenne de 30 kg de matière sèche par jour. Mais ce potentiel de production ne peut s’exprimer que dans un environnement favorable sur le plan climatique, un rationnement rigoureux de chaque animal, une prévention sanitaire indispensable et un accès à une eau propre en permanence. Les conséquences du stress thermique sur les vaches laitières sont connues : modification du métabolisme, baisse de la production laitière, reproduction des animaux difficile… D’où la nécessité de s’assurer de la faisabilité technique de ce projet.
N’ayant pas d’informations sur ces aspects techniques liés à l’environnement, les ressources hydriques, et la production fourragère, il est difficile de se prononcer sur la viabilité d’un des plus grands projets agricoles jamais connu en Algérie.
Mais nous avons tous en tête le projet américain, soutenu par un fantaisiste privé algérien, de création des méga-fermes d’El Bayadh et d’Adrar qui visait à produire, annuellement, « plus de 200 millions de litres de lait, 297.000 tonnes de pomme de terre, 50.000 tonnes de maïs, 54.000 tonnes de blé dur, et 4.000 tonnes d’amandes ». Un projet mort-né car utopiste.
« Une erreur répétée plusieurs fois est une décision ».