Mouvement populaire 2
Ghania Mouffok
La première image est celle de Zahra Hamachi, championne d’Afrique de Karaté, 59 kilos, elle arrive le 5 décembre d’Egypte à l’aéroport H. Boumediène à Alger, attendue par son entraîneur une main sur son épaule et une jeune fille un drapeau sur ses épaules, ils sont beaux, leurs yeux brillent de la même lumière, celle de l’orgueil, de la victoire, Zahra est en tête de la photo, en championne « d’Afrique des nations » dans un sport de combat que l’habitude réserve aux hommes.
La seconde est une vidéo d’une inconnue du grand public mais reconnue par sa communauté de fans qui la suivent sur les réseaux, ils la suivent, des curieux mais surtout des curieuses de son récit de vie, c’est ce qui fait son succès, elle raconte sa vie. Elle est arrivée le lendemain, le 6 décembre, de Suède et dans une vidéo elle dit qu’à Alger personne ne l’attendra à l’aéroport H. Boumediéne après 11 ans d’absence, elle est fâchée avec sa famille, elle a cassé un tabou, elle a épousé un non musulman, elle a deux enfants et elle s’appelle Caroline.
Caroline est algérienne, elle parle arabe et ne craint pas l’anglais, elle se filme, elle fait sa life comme une soldate du net, elle fait la guerre à l’invisibilité. Pari gagné, à l’aéroport d’Alger une foule « incroyable » de jeunes filles en hijeb l’attendent et célèbrent son arrivée dans les youyous et un amour qui étonne, toutes présentes à son invitation, date et heure du vol livrées en direct, et aucune n’ignore les détails de son périple. Comme il se doit, toutes ou presque la filment pendant qu’elle les filme, armées l’une et les autres de leurs inséparables portables devenues une extension de leurs mains. Elles s’embrassent et se reconnaissent dans une belle cohue qui nous invite sur le net à découvrir ,médusés, Caroline.
On aurait tort de comparer ces deux images, et de regretter que la championne soit seule à l’aéroport pendant que l’inconnue est si nombreuse qu’elle convoque la surprise et bientôt …la police. Mais « c’est qui cette fille » ? C’est Caroline de son vrai nom Shéhérazade, une youtubeuse, « deux chaînes » sur une plate-forme et « elle compte des centaines de milliers d’abonnés » sur les réseaux sociaux, une immigrée qui rentre au pays parce qu’il lui a manqué, qui raconte sa vie au jour le jour. Elle rit, elle pleure, elle ne cache rien de ce qu’elle vit. Elle donne le nom de son hôtel à Alger, elle va d’un point à l’autre des continents de l’Europe à l’Afrique, elle se montre nature, elle montre sa chambre le tout dans une savante pudeur et une belle coquetterie, elle est si jolie. Ronde, les yeux à la Elisabeth Taylor, les cheveux « à la garçonne » elle aime le blanc, elle est mode et reçoit autant de cadeaux qu’elle en donne. Elle distribue ce qu’elle porte, ce qu’elle mange pour dire merci, un morceau de chocolat qui était dans son sac, une bague qu’elle portait et un billet étranger pour que la fan garde son odeur. Son odeur, elle a l’odeur de l’étranger, de l’exilée, de celle qui est partie, qui a quitté sa famille et qui vit ailleurs autre chose que ce qui était écrit. C’est peut-être cette liberté que ces filles sont venues honorer. Cette liberté qu’elle a de se filmer jusque dans son lit d’hôtel, en pyjama, enroulée dans sa couette, avec cette voix d’homme invisible auquel elle s’adresse pour qu’il l’aide à préciser des détails de sa journée, puis elle s’endort en direct, épuisée mais sans craindre la noirceur du monde, le qu’en dira-t-on.
Ils diront ce qu’ils voudront, elle raconte sa véritable version des faits la preuve par l’image et sa voix qui se parle. Une immersion dans la vie d’une youtubeuse. La police est venue s’étonne-t-elle, quand elle a invité « lebnet », les filles à venir la rejoindre sur la terrasse de son hôtel « pour regarder le match », et la police lui a demandé si elle avait une autorisation pour faire ainsi un attroupement de fans, une autorisation ? elle ne savait pas que c’était nécessaire, elle improvise au jour le jour, et elle ne savait pas que la police déteste l’improvisation, ce trouble à l’ordre public.
« L’ordre public » qui envoie en prison des jeunes gens, également sur les réseaux, pour un drapeau qui dit une autre communauté que celle imprimée dans les ordres de la république qui n’est qu’une, sans autre union possible, où Dalila Touat, syndicaliste, professeur de lycée à Mostaganem, 45 ans, qui se plaint légalement devant la justice parce qu’elle estime que cette justice en prison n’a pas respecté ses droits, maltraitée elle s’est défendue, aggravant son cas de quelques mois de prison supplémentaires.
« L’ordre public » qui défend le drapeau que porte Zahra et sa mère sur leur dos mais qui ne protège ni l’état, ni les institutions de leur paresse à honorer celles qui le portent par leur présence à l’aéroport d’Alger pour rendre hommage au travail, à la sueur de l’engagement, la discipline de cette championne qui a soulevé l’hymne national, le drapeau au coeur de l’Afrique, le monde.
Caroline est cet ailleurs de l’imaginaire qui permet « lebnet» « aux filles » auxquelles elle s’adresse, presque exclusivement, de se projeter dans le possible du monde, et Zahra c’est la solitude de la victoire quand elle rentre au pays. Il y a de la place pour Zahra et Caroline Ce n’est pas la présence de Caroline et de sa communauté à l’aéroport qui fait problème mais l’absence de la communauté de Zahra. La communauté des sportifs algériens et algériennes, des médias traditionnels, et surtout des représentants de ce que nous avons en commun, l’état et ses institutions, un gouvernement qui tous se sont abstenus dans l’indifférence et la paresse d’honorer leurs devoirs. Le problème c’est l’absence de la police des devoirs qu’impose la charge du service public et des affaires publiques.
A l’aéroport il n’y avait aucun flic pour dire à Zahra : ce n’est pas juste que « championne des nations » tu ne sois pas reçue par ceux qui sont payés pour le faire, ce n’est pas juste qu’il n’y ait aucun attroupement pour honorer le drapeau que toi et les tiens vous portez sur vos dos. Ce flic de la conscience était absent comme ceux qui nous gouvernent, transformant ainsi un événement national, africain, mondial en fête locale.
C’est dans sa commune de Timezrit, en kabylie, que Zahra Hamachi a été célébrée et accueillie, vidéo à l’appui en guise de preuve que le gouvernement a porté là une atteinte à l’unité nationale et aux institutions. Omniprésentes pour châtier mais absentes pour récompenser ce qui fait honneur à la Nation. Un pays qui ne célèbre une championne d’Afrique que depuis son village est un pays dont les institutions globales sont épuisées, tellement épuisées qui ne leur reste plus qu’à donner en spectacle ce qui sépare plutôt que ce qui se partage. Les fans de Zahra n’étaient pas à leurs places instituées, pendant que les fans de Caroline ont imposé la leur. Celle que les filles se sont données sans autre moyen que leur visibilité, le déplacement de leurs corps et de leurs esprits jusqu’à l’aéroport pour lui dire : tu n’es pas seule on est là, et en attendant ta famille on va faire autour de toi communauté, solidarité, sororité, on va nourrir ta life, ta story, partager une histoire.
Et, c’est cette présence qui a convoqué l’ordre public, cette police enfermée dans sa seule mission : interdire à une société de faire librement communauté et défendre les intérêts de ceux qui nous gouvernent dans la violence de leur absence civique qui n’a d’égale que celle de leur omniprésence policière. Mission impossible : comment désarmer une femme qui croque des chips de sa bouche gourmande et qui rit à gorge déployée jusqu’à rendre la banalité du quotidien subversive ?
Abbes Hamadene
L’Algérie des généraux est devenue, aux yeux du monde, un pays moqué et une caricature de par la médiocrité de ses représentants, sa politique intérieure défaillante et sa politique extérieure extravagante, incohérente et contre-productive. La corruption est partout, irréparable, omniprésente, elle a gangrené ou plutôt métastasé toutes les institutions. L’Algérie des généraux donne l’impression qu’elle est perdue et vit en dehors du monde et du siècle.
DES DIRIGEANTS OU DES NOUVEAUX COLONS ?
L’Algérie semble plus que jamais livrée aux escrocs qui contrôlent le pays par la force. L’accaparement de toutes les décisions politiques par l’état-major de l’armée a atteint son apogée ces derniers mois. Leur politique chaotique et autoritariste a conduit à une dégradation alarmante et brutale de la situation politique, économique et sociale, sans qu’aucune perspective crédible de sortie de crise ne soit proposée. Pénuries d’eau et de produits de première nécessité, incendies criminels, inondations, répression sauvage, emprisonnements arbitraires, misère sociale galopante et détresse psychologique sont devenus le lot quotidien de millions de familles algériennes. Pendant ce temps là, les membres de la junte militaire, leurs familles et leurs serviteurs civils continuent de mener leur train de vie dans une indécente opulence. Ils apparaissent aux yeux des Algériens comme une caste de nouveaux colons. Une caste qui s’est attribuée d’immenses et inaliénables privilèges (villas somptueuses, biens immobiliers et comptes bancaires à l’étranger, voitures blindées avec chauffeur, voyages, shopping de luxe dans les capitales européennes…).Une caste au-dessus des lois et dépourvue de toute éthique humaine ignorant tout le mal et les souffrances infligés au peuple algérien depuis trop longtemps.
L’INSTITUTION MILITAIRE : OTAGE D’UNE POIGNÉE DE GÉNÉRAUX CORROMPUS ET VIEILLISSANTS
L’institution militaire est un bien commun à tous les Algériens, elle ne peut pas continuer à être instrumentalisée pour défendre les privilèges d’une minorité clanique. Aujourd’hui, elle est dirigée par une poignée de généraux, souvent inaptes aussi bien physiquement que mentalement. Des généraux accrochés à leurs postes comme une moule à son rocher. Non contents de mener la guerre contre les aspirations du peuple, ils se livrent sans répit une guerre clanique féroce. Une guerre entre clans sortis du même ventre qui ternit l’image de l’institution et menace sa stabilité. Notre armée mérite d’être dirigée par des chefs dont le profil est en adéquation avec le 21e siècle. Des chefs qui doivent se soumettre à un devoir d’exemplarité sans faille en sachant garder un comportement digne et honorable. Des chefs qui savent garder leur place pour assurer la sécurité du pays et du peuple et ne jamais s’ingérer dans le processus politique. Et de façon indispensable, des chefs ayant des âges raisonnables.
PRIMAUTÉ DU CIVIL SUR LE MILITAIRE : TEL ÉTAIT LE SERMON DE ABANE, BEN M’HIDI ET LES DIRIGEANTS DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE.
Par Marc Dugain
La chronique de Marc Dugain : l’impasse algérienne
Publié le 15 oct. 2021 à 6:02
En France, par habitude, quand on a un problème, on monte une commission. C’est ce qu’on vient de faire à propos du complotisme, ce mal endémique qui crée entre nous et la vérité un écran opaque, au point d’ailleurs qu’on puisse anticiper que l’utilisation de son propre esprit critique devant toute vérité officielle sera bientôt considérée comme une conspiration. Le peuple, dont la parole s’est soi-disant libérée avec Internet, verrait des complots partout et la réponse toute trouvée, c’est évidemment de décider qu’il n’y en a nulle part.
Bref, dans ce contexte quelle n’a pas été ma surprise de voir Emmanuel Macron s’afficher sans vergogne comme le premier complotiste de France. En tout cas, c’est ainsi qu’il a été perçu par les autorités algériennes, stupéfaites de voir le président de la France se livrer à une reconstruction du réel qu’elles jugent évidemment outrageante. On peut essayer de les comprendre. Jusqu’ici tout ronronnait sur la base d’une fiction lénifiante. Le parti au pouvoir issu de l’indépendance gérait en bon père de famille une nation tranquille à l’ombre de la culpabilité reconnue et répétée de l’ancien colonisateur. On peut regretter la colonisation, la considérer comme un crime contre l’humanité sans toutefois perdre une certaine objectivité sur ce qu’est devenue l’Algérie, pays d’une richesse immense mis à sac par une clique militaro-politique kleptocrate qui, on peut le rajouter, n’a pas été pour rien dans le déclenchement des massacres des années 1990 par des agissements plus que troubles.
On peut également se demander comment un pays aussi riche compte une population aussi pauvre et aussi désireuse de fuir son pays pourtant indépendant. On a là une partie de la réponse à la tragédie migratoire au centre du débat politique chez nous. Parce que l’argent destiné à la conservation et à la distribution de l’eau s’est évaporé, l’Algérie est un des premiers pays à vivre le grand stress hydrique annoncé par le réchauffement climatique qui devrait une nouvelle fois précipiter sa jeunesse hors de ses frontières.
Soixante ans après l’indépendance, les Algériens ne sont pas parvenus à récupérer leur pays confisqué par une frange cupide et machiavélique. Comme toutes les pseudo-démocraties dictatoriales à bout de souffle, l’Algérie se doit de trouver des boucs émissaires à son malheur. Alors pourquoi pas l’ancien colonisateur ou son voisin le Maroc avec lequel elle aimerait bien ferrailler, histoire de distraire sa population des vrais responsables de sa détresse. Quand on est complotiste, on est content de partager sa soi-disant paranoïa avec d’autres, et quand c’est avec le président de la République on en est forcément très heureux. Pour les officiels algériens, dont on avait oublié que le régime est à gauche, cette forme de conspiration serait une manoeuvre du candidat Macron pour se repositionner à droite, comme s’il y avait besoin d’être de droite pour décrire une réalité. Mais attention, si les politiques renoncent à la langue de bois on va vivre un complot permanent.
Marc Dugain
PAR AW · SEPTEMBRE 16, 2021
Algeria-Watch, 16 septembre 2021
Depuis quelques semaines, une vague de répression sans précédent depuis les années 1990 de sinistre mémoire s’est abattue sur l’Algérie. La volonté manifeste du régime militaro-policier de mettre un terme aux protestations populaires du Hirak était observée dès avant la série d’incendies qui a ravagé cet été plusieurs régions du pays, la Kabylie au premier chef, en termes de pertes humaines et de dégâts matériels.
Cette dérive est également illustrée par la décision illégitime et illégale du Haut Conseil de sécurité, le 18 mai 2021, de classer le mouvement Rachad et le MAK comme « organisations terroristes », ouvrant la voie à l’arbitraire. Les réseaux sociaux et les médias relayent depuis plusieurs semaines les très nombreuses arrestations opérées par les services de sécurité, ciblant des personnalités du Hirak, des activistes moins connus, hommes et femmes, et des acteurs pacifiques de tous les horizons politiques. La justice, appareil servile par excellence, se charge de condamner sans raison ni justification, dans des parodies de procès, ces honorables citoyennes et citoyens à de longues peines de prison et de lourdes amendes.
La criminalisation de la vie politique et de toute expression critique est la ligne ostensiblement imposée par les « décideurs » notamment depuis la Constitution « Tebboune » promulguée le 1er janvier 2021. La police politique considère comme « terroristes » tous ceux qui expriment des opinions politiques hors du cadre clientéliste et des fausses institutions instaurées par la force et la fraude. La volonté de bâillonner toutes les expressions a atteint des sommets de cynisme et d’absurdité à la suite de la mort atroce, dans de troublantes circonstances, du jeune militant du Hirak Djamel Bensmaïl, le 11 août 2021. Le régime montre ainsi très clairement qu’il a décidé de terroriser l’opinion publique à l’intérieur du pays et de contraindre par tous les moyens de l’intimidation et de la diffamation les communautés algériennes à l’étranger à interrompre une solidarité agissante dès les premiers jours du Hirak. C’est pour tenter de prévenir de nouvelles révoltes que cette main de fer policière s’abat sur la société, confrontée à un contexte de plus en plus insupportable de chômage, de pénuries de tous ordres et de hausse vertigineuse des prix des produits de base.
Le peuple algérien, abandonné par un régime dévoyé, est confronté à une pauvreté croissante, à l’effondrement du système de santé et au creusement sans précédent des inégalités qui renvoie l’essentiel de la population à des conditions de précarité et de désespoir jamais observées depuis l’indépendance du pays il y a bientôt soixante ans. Révélatrices de la lassitude et de la désespérance de très nombreux Algériens, les vagues d’immigration clandestine vers l’Europe sont de plus en plus importantes et concernent toutes les tranches d’âges, l’ensemble des régions du pays et toutes les catégories sociales.
Les perspectives socioéconomiques sont loin d’inciter à l’optimisme. Et l’inquiétude grandit devant l’absence de volonté et l’incapacité du régime d’esquisser la moindre politique de redressement. Il ne reste qu’une fuite en avant dans un libéralisme dévoyé et, au bout de l’échec, l’inéluctable appel au secours en direction du FMI dont tous connaissent les dévastatrices préconisations « d’ajustement structurel » et la perte de souveraineté qu’elles induisent. Mais il est clair que la dictature est déterminée à se maintenir dans ses formes actuelles jusqu’au dernier dollar de la rente. Au fil des scandales et des règlements de comptes au sommet, ce régime stérile et incompétent exhibe en permanence l’étendue de la corruption qui le ronge.
L’escalade répressive en cours se déroule dans l’indifférence coupable de la « communauté internationale » et des États européens, parfaitement informés de la violence du régime et du pacifisme d’une société exemplaire dans ses revendications politiques. Cette passivité se mue parfois, dans le déshonneur et l’infamie, en complicité active, à l’image d’un ministre de l’Intérieur en Espagne, pays qui abrite une bonne partie des grands corrompus algériens, qui a remis le 20 août 2021 Mohamed Abdallah, un exilé politique parfaitement honnête et pacifique, aux polices de la dictature.
Pour le peuple algérien, cette complicité des puissances occidentales est clairement synonyme d’une immixtion étrangère en faveur du régime répressif. Et le silence des grands médias et d’organisations internationales des droits de l’homme devant la brutalité d’une répression aveugle qui touche aujourd’hui tous les milieux, toutes les catégories sociales, femmes et hommes, dans une spirale sans fin d’arbitraire, interpelle tous ceux pour qui la dignité humaine et les libertés sont indivisibles.
Le mépris ostensible du droit et la dignité sans cesse piétinée des Algériennes et des Algériens ouvrent sur des perspectives désastreuses. L’orientation absurdement répressive imposée par les chefs de l’armée qui accule la société au désespoir, exacerbe les contradictions du régime en accentuant les nombreux clivages et conflits d’intérêts au sommet. Le tout-répressif dans un tel contexte de dégradation de l’ensemble des indicateurs socio-économiques traduit avant tout l’aveuglement antinational du régime et l’ambiance de panique qui règne au sommet. L’option sécuritaire, illégale et illégitime, est un pari perdu d’avance au coût exorbitant. En refusant une ouverture politique sage et raisonnée, en rejetant une évolution ordonnée et pacifique d’un système périmé, les décideurs militaires achèvent de se discréditer et créent les conditions d’un effondrement sans précédent de l’Etat. Les dirigeants effectifs du pays assument devant le peuple Algérien et devant l’histoire l’entière responsabilité des développements d’une crise généralisée aux conséquences dramatiques.
PAR AW · PUBLIÉ AOÛT 31, 2021 · MIS À JOUR AOÛT 31, 2021
Omar Benderra, Algeria-Watch, 31 août 2021
L’annonce mardi 24 août 2021 par Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, de la rupture des relations diplomatiques avec le royaume du Maroc n’est certainement pas un coup de tonnerre dans un ciel d’été. Quelques jours auparavant, le communiqué publié par la présidence algérienne lors de la dernière réunion du Haut Conseil de sécurité le 18 août laissait entrevoir une escalade dans le durcissement de la position d’Alger vis-à-vis du Palais royal. S’il faut prendre avec réserve les déclarations souvent théâtrales par lesquelles les deux despotismes voisins stimulent de très utiles – pour leur survie – réflexes nationalistes, il s’agit incontestablement d’une évolution préoccupante des rapports entre les deux capitales. Même si dans sa déclaration publique le ministre des Affaires étrangères algérien a cherché à en relativiser la portée, la rupture des relations diplomatiques est un acte particulièrement grave qui, selon les usages de politique internationale, précède souvent l’ouverture d’hostilités.
Méfiance, hostilité et… connivence
Les tensions, anciennes et récurrentes, entre Alger et Rabat procèdent largement d’un jeu convenu, très balisé, entre deux régimes adverses mais également solidaires lorsqu’il s’agit de leur préservation. Il est peu probable, sauf dérapage majeur, que la dégradation, continue depuis des mois, aille jusqu’au conflit ouvert. Aucune des deux parties n’a intérêt à laisser les événements échapper à tout contrôle. La guerre des sables de 1963 et les batailles d’Amgala I et II en 1976 ont démontré la coûteuse – et dangereuse – inutilité des confrontations directes.
L’Algérie et le Maroc ont le plus souvent entretenus des liens plutôt lâches et empreints de méfiance. Si la mémoire de la période de guerre de libération en Tunisie est marquée par la reconnaissance et la gratitude pour l’accueil populaire et officiel, ce n’est pas le cas pour le Maroc. Certes, le FLN/ALN a bénéficié d’un soutien franc, généreux et massif du peuple marocain, mais les autorités ont joué un rôle ambigu, parfois même carrément hostile vis-à-vis des contingents de l’ALN, en raison notamment de revendications territoriales. La prétention marocaine à la reconfiguration des frontières aboutira d’ailleurs à la brève mais sanglante guerre « des sables » en octobre 1963…
La période de rapports apaisés qui a suivi le traité d’Ifrane en 1969 dure jusqu’en 1975 et la trahison par l’Espagne de ses engagements vis-à-vis des populations du Sahara occidental par l’accord secret de cession du territoire au Maroc et à la Mauritanie. Le fait accompli d’une occupation de type colonial, bafouant le droit international et les résolutions de l’ONU, n’est pas accepté par les Sahraouis, soutenus par l’Algérie au nom du principe essentiel du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Depuis lors, les relations bilatérales sont au plus bas, en particulier après la fermeture des frontières terrestres en 1994. La situation de tension permanente créée depuis la Marche verte en 1975 est une aubaine pour la monarchie qui peut déployer son armée loin du centre du pouvoir et pour le régime d’Alger qui légitime le rôle politique des militaires par la menace sur les frontières ouest. Les dessous de table et commissions illicites prélevés lors de très importants contrats d’armement enrichissent les clientèles des deux régimes.
Makhzen et stratégie de la tension
Si un accord de modus vivendi semble accepté de part et d’autre, il n’en demeure pas moins qu’Alger et Rabat demeurent en compétition en termes d’influence régionale et continentale. Les politiques, pro-occidentale pour le Maroc, non-alignée pour l’Algérie, sont concurrentes et contradictoires, nourrissant une authentique animosité entre le Makhzen moyenâgeux et la dictature militaire algérienne. Malgré leur différence de nature, les deux régimes policiers et antidémocratiques représentent les faces différentes d’un semblable autoritarisme.
Les rapports très distendus entre les deux capitales depuis l’annexion illégale du Sahara occidental par le roi Hassan II, qui avaient déjà débouché sur une rupture des relations diplomatiques en 1976 (à l’initiative de Rabat), se sont particulièrement dégradés depuis quelques mois au fil d’initiatives hostiles du Makhzen. Conforté par le soutien américain traduit par la reconnaissance, au mépris du droit international, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de la normalisation avec Israël, le roi Mohamed VI semble avoir opté pour une approche politico-diplomatique offensive. Le mémorandum soutenant les revendications du MAK1, mouvement autonomiste kabyle sans ancrage social significatif, diffusé le 14 juillet dernier par le représentant du Makhzen aux Nations unies, constitue une provocation, certes sans grand impact mais qui met en exergue le double langage monarchique en direction des Algériens – puisque le roi a invité peu après, lors de son discours de la fête du Trône du 4 août, « le Président algérien à œuvrer à l’unisson au développement des rapports fraternels tissés par nos deux peuples durant des années de lutte commune – et constitue une provocation avérée.
La stratégie de la tension menée par Rabat et soutenue par les principautés du Golfe persique, les Américains et les Israéliens, est avant tout fondée sur une évaluation de la situation politique et économique de l’Algérie. Selon les stratèges du palais, la fragilisation sans précédent des équilibres algériens depuis le Hirak et la chute d’Abdelaziz Bouteflika ouvre une fenêtre d’opportunité pour sceller définitivement l’emprise sur le Sahara en contribuant activement à l’affaiblissement durable de son voisin.
Sionisme et wahhabisme : les ennemis aux portes
Cette appréciation semble partagée par les alliés du Makhzen, notamment les pétromonarchies inquiètes devant la puissance du courant démocratique très pacifiquement exprimé par la société algérienne. Les émirs qui redoutent la contagion démocratique, souhaitaient une répression rapide du Hirak et n’apprécient guère la stratégie de strangulation graduelle du mouvement mise en œuvre par les polices du régime. Le refus d’Alger de s’aligner sur la ligne wahhabite en Libye et le développement d’une coopération politique avec la Turquie a fini par créer une certaine exaspération à Abu-Dhabi et Riyad. L’ouverture il y a plusieurs mois de consulats des Émirats arabes unis et du Bahreïn à Laâyoune, capitale administrative du Sahara occidental occupé, est un signal on ne peut plus clair du feu vert golfique aux options de Rabat, qui a pesé sans doute dans la reconnaissance officielle d’Israël par le royaume chérifien.
Si elle a choqué l’opinion publique au Maroc, ou la cause palestinienne bénéficie d’un profond soutien populaire, la normalisation n’est en réalité que l’officialisation d’une relation très ancienne du Makhzen avec Israël. Le royaume, cheval de Troie impérialiste dans la région, collabore étroitement avec l’« entité sioniste » depuis fort longtemps et bénéficie notoirement du savoir-faire israélien en matière de renseignement et de guerre électronique. L’armée marocaine reçoit des équipements offensifs fabriqués par Tel Aviv, notamment des drones, et bénéficie d’une assistance opérationnelle d’experts israéliens. Le scandale Pegasus a jeté une lumière brutale sur la nature subversive et déstabilisatrice de la coopération entre deux systèmes coloniaux. Ce climat de familiarité avec le cœur du système makhzénien explique l’étonnante sortie, à partir de la capitale du Maroc, du ministre sioniste des Affaires étrangères le 12 août 2021 associant l’Algérie à l’Iran dans un « axe négatif » très connoté. L’intention est limpide, il s’agit pour ces protégés de l’impérialisme de diaboliser Alger en réanimant l’« axe du mal » inventé par les néoconservateurs autour de George W. Bush…
Mais c’est incontestablement le soutien américain, diplomatique et militaire qui pèse décisivement dans la balance. L’administration Biden a confirmé la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental concédée par Donald Trump et n’a pas cherché à nuancer l’orientation anti-algérienne d’exercices militaires avec l’armée du Makhzen. Des manœuvres aériennes entre les deux armées de l’air américaine et marocaine, en 2019 et 2020 avaient déjà impliqué des bombardiers stratégiques dont on imagine mal le déploiement contre des groupes terroristes. Pour enfoncer le clou, les manœuvres conjointes entre les Forces armées royales et l’armée américaine, baptisées African Lion, du 7 au 18 juin 2021 simulaient quasi-explicitement une confrontation avec l’Armée nationale populaire…
Ce soutien international dans un contexte régional marqué par la crise politique algérienne ouverte en février 2019 (et qui s’inscrit dans la durée) donne des ailes à un régime médiéval, corrompu et extrêmement inégalitaire, disposé à tous les reniements. Le soutien extérieur étant acquis, il ne reste plus au Makhzen que de tenter de mobiliser son opinion interne au prix d’audacieuses contorsions propagandistes. En effet, si le discours officiel est surtout centré sur la « cause nationale », l’annexion du Sahara occidental, il reste résolument mutique sur les enclaves espagnoles sur son territoire. Tandis que les mobilisations populaires pour les libertés, qui se multiplient depuis les années 2010, sont brutalement réprimées : un durcissement qui joue également un rôle important dans celui de la posture marocaine anti-algérienne.
« Main étrangère » et « citadelle assiégée »
L’hystérisation de cette posture convient parfaitement aux décideurs d’Alger, confrontés quant à eux à une crise pluridimensionnelle et à des perspectives socio-économiques plutôt inquiétantes. Le spectre de la menace extérieure régulièrement convoqué pour provoquer un sursaut « patriotique » autour du régime est réactivé par les provocations de Rabat. L’instrumentalisation du nationalisme vise principalement à éteindre la contestation politique et à susciter le ralliement autour du régime. Ce stratagème, usé jusqu’à la corde, ne rencontre toutefois qu’un écho relatif. Tout comme les agissements et le discours du Makhzen. L’opinion publique algérienne, informée et politique, sait parfaitement à quoi s’en tenir vis-à-vis des deux despotismes maghrébins.
Les Algériennes et les Algériens dans leur vaste majorité sont loin d’ignorer que la menace effective sur la stabilité, la prospérité et la sécurité du pays procède précisément du sommet de la hiérarchie militaro-sécuritaire. La « main étrangère » responsable de la déstabilisation du pays se trouve au faîte des appareils de pouvoir.
C’est bien sous l’égide de la coupole militaro-sécuritaire que les fondements productifs de l’économie algérienne ont été démantelés à la suite des accords de stand-by avec le FMI en janvier 1994. C’est sous la conduite des décideurs en uniforme que s’est formée, dans la prédation et la prévarication, une caste compradore qui a sapé méthodiquement les capacités productives nationales en altérant gravement l’image du pays. Les luttes féroces des groupes d’intérêts concurrents au sommet de la hiérarchie militaire depuis l’avènement du Hirak en février 2019 ont permis de donner une idée de l’ahurissant niveau de corruption du système. Trente généraux sont emprisonnés ou en fuite à l’étranger, tout comme des dizaines de ministres (dont deux Premiers ministres…). Il ne s’agit là que d’un reflet parcellaire ou sélectif d’une organisation de la prédation ostensiblement instaurée comme mode de gouvernement sous l’égide des appareils sécuritaires. Le système né du coup d’État de janvier 1992 a détruit l’administration du pays pour faciliter un processus d’accaparement criminel du patrimoine public et de détournement massif des produits de la rente des hydrocarbures.
Dans la frénésie affairiste délinquante des années Bouteflika, l’Algérie des putschistes a perdu l’essentiel de la grammaire sociopolitique forgée durant la guerre de libération. L’effondrement interne, moral et politique, a accompagné l’effacement progressif du pays de la scène internationale et l’évaporation d’une part importante de son crédit diplomatique. La marginalisation politique d’Alger a culminé dans le mépris ostensible de l’Otan à l’égard des intérêts nationaux lors de la destruction de l’État frère de Libye en 2011.
L’appareil diplomatique algérien mis entre parenthèses après le coup d’État contre la démocratie du 11 janvier 1992 a été méthodiquement déconstruit par l’entourage du président Bouteflika avec l’assentiment des généraux qui l’ont porté au pouvoir. L’objectif assigné au président par les militaires en 1999 était clair et très circonscrit : renouer les liens du régime avec l’Occident de plus en plus réticent à couvrir les exactions monstrueuses du régime dans sa « sale guerre » contre les civils. Abdelaziz Bouteflika et ses proches ont utilisé à cette fin leurs relais, au premier chef les potentats du Golfe, avec des conséquences préjudiciables sur la sécurité nationale. Au cours de cet interminable règne de près de vingt ans, la voix de l’Algérie est donc progressivement devenue inaudible sur le plan international et particulièrement au sud du Sahara.
La quasi-disparition de l’Algérie de la scène africaine, conjuguée aux ratonnades contre les migrants sub-sahariens, a très visiblement affaibli l’influence continentale du pays, ce qui a permis aux alliés du régime sioniste d’apartheid de conquérir des positions en Afrique, jusqu’à permettre l’intégration de Tel Aviv en tant qu’observateur dans l’Union africaine.
Un changement de paradigme contrarié
Il reste que l’indignation officielle devant la « normalisation » marocaine prête à sourire. Sans même évoquer les visites et rencontres secrètes, le régime a ouvert des canaux de communication depuis la rencontre cordiale d’Abdelaziz Bouteflika avec Ehud Barak à Rabat en juin 1999 lors des funérailles de Hassan II. Le même Bouteflika a rencontré Shimon Peres et d’autres dignitaires sionistes lors d’un séminaire aux Baléares en octobre de la même année sans que cela ne provoque d’émotion dans les cercles du pouvoir. Le régime a multiplié les gestes positifs en direction d’Israël, des journalistes et universitaires, proches de la police politique, se sont par exemple rendus à Tel Aviv en 2009, subissant quelques critiques de pure forme. Des critiques épargnées au général Ahmed Gaïd-Salah et à d’autres officiers de haut rang qui se sont affichés la même année dans des réunions de l’OTAN aux côtés de hauts gradés israéliens. Après tout, une propagandiste de l’éradication, aujourd’hui sous les verrous pour corruption, a bien été ministre pendant douze ans malgré une visite très médiatisée à Tel Aviv en 19962….
Le régime algérien n’a pas exprimé la moindre réserve à l’endroit du processus de normalisation engagé par les principautés du Golfe, notamment les Émirats arabes unis, qui n’ont jamais bénéficié auparavant d’une aussi grande influence en Algérie, jusqu’aux centres décisionnels de l’armée. En sus d’une ouverture économique au détriment de l’intérêt national, les Émirats arabes unis, qui contrôlent les principaux ports algériens, sont associés à l’ANP dans d’étranges opérations d’achat de matériel militaire (deux frégates en Allemagne) et de joint-ventures (unités de montage de camions et de blindés légers) dans des environnements financiers opaques. La proximité émiratie avec l’armée algérienne est illustrée par les fréquents déplacements des sommets de la hiérarchie militaire vers un pays qui a été la destination du premier voyage à l’étranger du général Saïd Chengriha, chef d’état-major qui a succédé, en décembre 2019, au général Ahmed Gaïd-Salah, brusquement décédé dans des circonstances peu claires. Il n’est pas anodin de rappeler que le chef de la DGSI, police politique militaire, depuis avril 2020, le général Abdelghani Rachedi, était auparavant attaché militaire à Abu Dhabi.
De fait, l’interdiction de porter le drapeau palestinien lors des manifestations du Hirak n’est pas une décision neutre. Au prétexte du bannissement de tous les drapeaux à l’exception de l’emblème national, il s’agit bien, tous l’ont compris, d’une indication de réorientations contre-révolutionnaires torpillées par la seule volonté du peuple algérien, qui s’identifie naturellement au peuple de Palestine dans sa lutte de libération. Le soutien à la Palestine et la détestation du colonialisme sont au cœur de l’identité politique de la société algérienne. Aucun régime ne peut aller à l’encontre de cette orientation fondatrice sans risquer des ruptures majeures.
Autonomie vs hégémonie, entre Est et Ouest
La réorientation vers l’Occident de la diplomatie algérienne se heurte également à un obstacle militaire particulièrement difficile à contourner. En effet, la plus grande part de l’armement de l’ANP est traditionnellement issue des usines russes. L’adossement de l’armée aux arsenaux russes est ancien, datant d’avant même l’indépendance du pays. L’Union soviétique a toujours mis à disposition ses armes, y compris les plus modernes, à des prix particulièrement compétitifs3. À la suite de l’URSS, la Fédération de Russie4 fournit des équipements militaires de haute technologie que les Occidentaux, les Américains en particulier, pourtant sollicités avec insistance, refusent de vendre à l’Algérie.
Le soutien à la cause palestinienne et le non-alignement tenace de l’Algérie expliquent largement les fins successives de non-recevoir de Washington pour l’acquisition de matériels sensibles. Les militaires, qui disposent des ressources financières nationales et ne dépendent pas de l’aide étrangère, ne peuvent se résoudre à réduire le seuil qualitatif ouvert par Moscou. Cette orientation a été actée par le partenariat stratégique conclu lors de la visite de Vladimir Poutine en mars 2006 qui scelle durablement la relation militaire bilatérale. L’ouverture à des fournisseurs tiers est donc opérée ponctuellement et à la marge des besoins d’équipement stratégique de l’ANP. Très concrètement, la méfiance des Occidentaux vis-à-vis d’un pays jugé « irrédentiste » malgré tous les reculs du régime et leur réticence à livrer les systèmes d’armes dotés du niveau de performances attendu par l’armée algérienne contribuent à maintenir celle-ci hors du champ de coopération « de confiance » en confortant la position russe dans le pays.
L’ancrage russe (et, dans une mesure moindre, chinois) de l’ANP est donc consolidé paradoxalement par la persistance de la méfiance occidentale vis-à-vis de l’Algérie. L’ANP a pourtant effectué de nombreux gestes en direction des États-Unis et de leur sphère d’influence. Outre la participation à des réunions et manœuvres de l’Otan, la coopération extrêmement étroite en matière de renseignement et de lutte antiterroriste s’est accompagnée par des facilités de présence en Algérie, l’autorisation de survol du territoire par les aviations militaires d’États extracontinentaux et le soutien logistique aux forces expéditionnaires dans la région. Ces dispositions visant à l’équilibre diplomatique ne semblent pas influer sur la perception américaine notamment, comme l’illustre le renforcement des dispositifs autour du pays5 et les cibles trop identifiables des exercices militaires conjoints avec les pays de la région.
Le Makhzen : contre le régime ou contre l’Algérie ?
Les deux pays les plus peuplés du Maghreb, bien que se situant plus que jamais dans des camps idéologiquement distincts et géopolitiquement concurrents, font face néanmoins à des contestations politiques aux formes très voisines. Appelés Hirak dans les deux pays, ces mouvements, dans la province du Rif au Maroc et sur tout le territoire en Algérie, sont l’objet dans les deux pays d’une répression très brutale. Les animateurs politiques ou des figures de ces Hiraks pacifiques sont arrêtés, torturés et lourdement condamnés par une justice aussi servile au Maroc qu’en Algérie. Des dizaines de militants des droits de l’homme, des journalistes sont violentés et emprisonnés arbitrairement. Si les deux systèmes politiques ne se ressemblent pas effectivement, ils ont recours aux mêmes méthodes et partagent la même aversion pour le droit et la démocratie.
Ainsi, en dépit d’un bilan désastreux en termes de respect des droits de l’homme et du droit international, la monarchie marocaine est encore plus fermement insérée dans le dispositif stratégique de l’Occident. Le Makhzen, organisation féodale moyenâgeuse, est considérée comme un partenaire tout à fait acceptable par les parangons européens et américains de la modernité démocratique. L’Algérie, malgré la réduction de sa marge de manœuvre et la difficile redéfinition du non-alignement dans une multipolarité globale encore en gestation, maintient un cap minimal décolonial, anti-hégémonique et rejette la normalisation avec Israël. Mais les deux systèmes, et c’est là sans doute l’essentiel, bénéficient l’un et l’autre du soutien du G7 au nom de la stabilité régionale, menacée par l’effondrement des États corrompus du Sahel et la multiplication des groupes « djihadistes », et des intérêts bien compris des « grandes puissances ».
Les crispations des dernières semaines relèvent-elles pour autant du psychodrame bilatéral auquel sont habituées les deux capitales ? La présence active d’Israël sur les frontières ouest, notamment sur le mur de défense érigé au Sahara occidental, modifie l’équilibre des forces dans la région. La mort d’Addah Al-Bendir, chef de la gendarmerie sahraouie, tué par un missile probablement tiré à partir d’un drone en avril 2021, pourrait bien représenter l’élément déclencheur d’une élévation du niveau de conflictualité au Sahara occidental par l’introduction d’armements nouveaux…
Même s’il est à peu près avéré que ni Rabat ni Alger ne souhaitent s’engager dans une guerre ouverte, l’hypothèse d’une confrontation à la suite de dérapages ou de provocations n’est pas à exclure. On a peine cependant à imaginer les satrapes du Makhzen ou la gérontocratie militaire algérienne se fourvoyer dans une aventure incertaine dont aucun des protagonistes ne sortira indemne.
A moins que, fort du soutien américano-israélien, le roi du Maroc et son entourage pourraient estimer que l’heure serait venue d’asseoir définitivement leur souveraineté sur le Sahara face à une Algérie fragilisée, et ne tente un coup de force. Au-delà d’une pure gesticulation, la diffusion du tract soutenant les revendications sécessionnistes du MAK par l’ambassadeur marocain aux Nations unies va dans le sens d’une surenchère belliqueuse. Les parrains de Rabat autoriseront-ils une telle évolution ? L’Algérie, dernier pays du Front du refus6 encore debout, reste sourd au chant des sirènes normalisatrices et abrite une société politique populaire consensuellement attachée à l’indépendance du pays et à la solidarité avec les peuples en lutte, tant en Palestine qu’au Sahara occidental. L’encouragement du séparatisme identitaire pour casser le front social et le consensus politique national tel que proclamé le 1er novembre 1954 n’a donc pas grande chance de porter ses fruits. La cohésion nationale, ainsi que l’a démontré le Hirak depuis le premier jour, ne peut être remise en cause par des mouvements marginaux et sans relais majeur dans la société, quelle que soit l’ampleur du soutien étranger dont ils bénéficient.
Vers un Maghreb démocratique ?
Les stratégies de déstabilisation et les actes de provocation du Makhzen sont d’autant plus inacceptables qu’ils sont dirigés contre le voisin le plus proche à tous points de vue. Mais ils illustrent bien l’immoralité et l’irresponsabilité d’une monarchie qui écrase les libertés, méprise le droit international et disposée aux plus indignes trahisons. L’opinion publique en Algérie sait faire la différence entre le peuple marocain frère et les félons qui dirigent leur pays. Tout comme l’opinion au Maroc sait ce qui sépare le peuple algérien d’une dictature sans scrupules.
À contrecourant de l’histoire, les absolutismes royaux d’un autre temps et les autoritarismes militaro-policiers caducs sont voués à disparaître, et il faut espérer que cette évolution inévitable se fasse au moindre coût humain et politique. Il s’agit là de l’ultime responsabilité de castes de pouvoir à Alger et Rabat qui auront, chacune dans ses propres dérives et ses trahisons respectives, démontré leur impéritie et portent tout le poids des vicissitudes qui empêchent la constitution du Grand Maghreb. Les crises de ces régimes ne sont pas celles des peuples.
Dans tout le Maghreb, les nouvelles générations ne sont dupes d’aucune manœuvre et ne mettront pas en jeu leur évidente communauté de destin pour permettre à des organisations de pouvoir illégitimes et illégales, qui n’offrent à leur jeunesse que le désespoir et l’immigration clandestine, de se maintenir dans le mensonge et la violence. La modernisation politique est impérative, tant les défis qui attendent les sociétés maghrébines dans les années à venir sont immenses, complexes et nécessitent la mise en commun de tous les moyens et la mobilisation de toutes les compétences disponibles. L’avenir du Maghreb est entièrement dans la démocratie, le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la constitution, enfin, d’États de droit pour les libertés et de justice. Les peuples du Maghreb rejettent toute hégémonie ou mise sous tutelle et sont indéfectiblement solidaires du peuple palestinien dans sa lutte de libération décoloniale. La fraternité de tous les peuples du Maghreb est inaltérable.
Notes
1 Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie. Organisation groupusculaire, surtout présente en France et au Canada, dirigée par Ferhat Mehenni, un ancien chanteur, qui revendique l’indépendance de la Kabylie.
2 Khalida Messaoudi-Toumi s’est rendue à Tel Aviv en compagnie de la journaliste française Elisabeth Schemla en mars 1996.
3 Voir général Rachid Benyellés, Dans les arcanes du pouvoir. Mémoires 1962-1999, Barzakh, Alger, 2017.
4 Sur la relation Algérie-Russie, voir Mansouria Mokhefi, « Alger-Moscou : évolution et limites d’une relation privilégiée », Politique étrangère, n° 3, 2015.
5 Comme le renforcement de la base aérienne de Moron de la Frontera en Andalousie.
6 Le « Front du refus », ou « Front du refus et de la fermeté », face à une normalisation avec Israël, réunissant l’Algérie, la Libye, la Syrie, le Yémen du Sud et OLP, a été créé lors du Sommet de Tripoli du 1er au 5 décembre 1977. Il a été ainsi dénommé par opposition au « Front du silence » réunissant les pays du Golfe persique et le « Front de la capitulation » mené par l’Égypte et le Soudan avec l’appui du Maroc (voir Paul Balta, « Les aléas des relations avec le monde arabe », Le Monde diplomatique, novembre 1982).
Redouane Boudjema
جسور للغد 8:
إسمه جمال بن سماعين، ولد عام 1987، يسكن في مليانة، أملاكه قليلة لكنها ثمينة، لوحات فنية وأبيات شعرية، ڤيتارة، ريشة وفكرة.. عنوانها « الحياة »، الحياة في الثقافة والفن والمواطنة. جمال ككل شباب جيله رأى النور في جزائر الأزمة، مع المجتمع المأزوم والاقتصاد المدمر والسياسة العرجاء، عاش طفولة صعبة كباقي أطفال جيله، بدأ المدرسة في 1993، العام الذي كان فيه الرصاص هو لغة ممارسة « البولتيك »..
فقد كانت أخبار الموت والقتل هي الأخبار الوحيدة التي تسيطر على الجزائر بأحيائها وقراها،و مدنها وأريافها.. الجزائر التي تقدس الموت، وتبرر القتل باسم الدفاع عن الإسلام تارة او باسم الدفاع عن الوطنية والجمهورية تارة أخرى…
جمال لم تستوعبه منظومة التدريس وتوقف في التاسعة متوسط عام 2002، وكان من حظه أن زوج خالته الفنان المعروف في مليانة الراحل « جمال توات »، تعلم جمال منه مدرسة الحياة والفن.. الحياة التي تكرهها منظومة متشبعة بثقافة إبليس « أنا خير منه ».. منظومة مبنية على الاقصاء والكراهية.. منظومة تغرس الكراهية وتعيش في الكراهية وتستمر بالكراهية. مليانة سيد أحمد أحمد بن يوسف.. من تمقرة ببجاية إلى زكري بتيزي وزوجمال ابن مليانة، مليانة أقدم وأكبر المدن في تاريخ الجزائر، مليانة الشيخ سيد أحمد بن يوسف أحد أشهر وأعظم شيوخ الصوفية في القرن العاشر الهجري، مؤسس الطريقة الراشدية، وهو الذي عاش مدة معتبرة في تمقرة ببجاية بمعهد الشيخ العيدلي، وتعلم فيها علوم القرآن والسيرة والتصوف على يد الشيخ أحمد زروق.الشيخ سيد احمد بن يوسف كان رحالة يتنقل بمختلف مناطق الجزائر منها منطقة القبائل، والكثير من الروايات التاريخية تقول إن له أحفاد في قرية تيزغوين بزكري التي دمرتها الحرائق الأخيرة..
الشيخ سيد أحمد بن يوسف يملك من الحكمة والسلطة الرمزية ما يمكنه من إصلاح ذات البين وحل الصراعات التي كانت تعرفها القرى بسبب المياه والميراث… وغيرها من المشاكل.سمعة الشيخ بن يوسف كانت تشع من مليانة إلى أدرار والمغرب، ومن مليانة إلى بجاية، وهو أحد رموز الإسلام المطموسة في هذا البلد، بسبب الاستخدام المأدلج للإسلام في معارك سياسية هدفها الثروة والاستمرار في السلطة أو الاستحواذ عليها.علاقة جمال بن سماعين بمدينته وتاريخها علاقة قوية، وهو يعرف منطقة القبائل من بوابة الدين والفن، لأن الكثير من العائلات المليانية العريقة لها علاقة بشيوخ الطريقة الرحمانية بصدوق بولاية بجاية، وهي تحج باستمرار إليها، كما أن الكثير من الأسر من زكري وأزفون لازالت تحج إلى ضريح الشيخ أحمد بن يوسف، كما كان يعرفها من جيرانه وأصدقاء والده ومن العائلات المليانية التي تربطها علاقات مصاهرة بالعائلات القبائلية التي هجرت مليانة بعد ثورة الشيخ الحداد، أو التي جاءت من منطقة واسيف والمتشكلة من التجار المتجولين بالأساس. جمال ينبض حياة ويعيش في حياء، وهو كثير الحركة من مليانة إلى العاصمة، ومن مليانة إلى الشلف ووهران وبجاية وتيزي وزو وغيرها من المناطق… جمال شاب يحب الفن والشعر والطبيعة بتنوعها، أراد ممارسة مواطنته بعيدا عن هيمنة المجتمع على الفرد.
جمال كان يحرم نفسه من عدة أشياء عند الشعور بحاجة الآخرين إليها، فصديقه الفنان شمس الدين في حديثي له عصر اليوم، قال لي « جمال بن سماعين كان يخدم الآخرين وينسى نفسه »…الصديق لطفي خواتمي من مليانة وهو طبيب أسنان يعرف الراحل، في شهادته عنه قال لي صباح اليوم « جيمي متشبع بالقيم الإنسانية، ويمكنه العيش بأي مكان في العالم، هو شاب لا يتوقف عن العمل »، لا يعرف اليأس طريقا إلى قلب جمال، فقد كان يحمل مشروع المواطنة، ولهذا كان في الحراك الشعبي منذ بدايته، ولذلك كان يأمل أن ينتهي الحراك الشعبي ببناء دولة المواطنين والمواطنات. غرس الثقافة والفن لدفن الجهل والكراهية » »فن من الصباح لليل » هذا كان آخر مشروع سعى جمال بن سماعين لتجسيده مع جمعية أصدقاء مليانة للثقافة والفن، مشروع كان الهدف منه غرس الثقافة والفن في الشارع، لأن جمال كان له يقين أن رمي الثقافة في الشارع سيحتضنها الشعب لمواجهة الجهل والكراهية، كما احتضن الشعب ثورة التحرير من الاستعمار وثورة رفض الفساد و الاستبداد.
آخر لوحة فنية أنجزها جمال كانت إعادة رسم آخر لوحة لفانغوخ قبل انتحاره، وهي لوحة « جذور »، التي كانت رسالة وداع الفنان العالمي، كما أن آخر قصيدة شعرية كتبها كانت عن الموت بعنوان « دار الاستقرار »، وكأن جمال أراد توديع الدنيا من بوابة الثقافة والفن بعيدا عن الوحشية التي قتل بها، وهي وحشية تختصر غياب الدولة والقانون، الدولة التي يعتبر حماية الأشخاص والممتلكات هي غاية وسر وجودها. فهل يتحقق حلم جمال بن سماعين في بناء دولة المواطنين؟ وهل يمكن البناء دون فرض الحقيقة والعدالة؟ الحقيقة حول كل الجرائم التي عرفتها الجزائر، الحقيقة في الاغتيال الوحشي الذي عرفه جمال، اغتيال واجهه والده بحكمة العظماء والأنبياء.حكمة لا يفقهها تجار الهويات القاتلة.
جمال بن سماعين مات وهو يسعى لإخماد الحرائق في تيزي وزو وهو أصيل مليانة، لأن جمال يعشق جمال الجبال والطبيعة ولأن جمال يشعر أن الجزائر كل الجزائر هي بلده تماما مثلما يشعر بذلك كل الجزائريين والجزائريات الذين هبوا من كل مكان في الجزائر في حملة تضامن غير مسبوقة لمد يد المساعدة للمنكوبين جراء هذه الحرائق، وهي الرسالة التي تبين أن جمال رمز المواطنة المصادرة، المواطنة التي لا يمكن ان يبدأ مشروع تحقيقها دون تحرر الفرد من هيمنة ووصاية القبيلة والعشيرة والسلطة والمشيخة و العصبية وأية سلطة كانت، ولذلك على الجميع من لاربعاء ناث ايراثن إلى مليانة العمل اليد في اليد من أجل فرض الحقيقة والعدالة لروح جمال، لأن جمال الذي غدر سيبقى حيا، لأن جمال هو المستقبل، هو المشروع والمشروع هو تحقيق المواطنة المصادرة…
رضوان بوجمعة
الجزائر 13 أوت 2021
Hakim Allouche
Avant toute réflexion à des fins de compréhension concernant la situation pénible que vit l’Algérie, il y a un principe de base qui s’impose comme une évidence considérant que les tenants du pouvoir en Algérie sont les premiers responsables de la santé du peuple.
Malheureusement, les malfrats illégitimes ont dirigé le pays droit vers l’abîme en mettant des moyens colossaux essentiellement dans le but de réprimer continuellement les enfants dignes du peuple en les montrant du doigt comme de véritables ennemis. Leur objectif est l’atteinte à la liberté d’opinion en touchant un seuil inhumain sans précédent grâce à des pratiques tyranniques bien assumées.
L’état désastreux des hôpitaux n’est qu’un résultat de politique irresponsable. C’est un indicateur d’incompétence et de démission totale et confirmée des hautes autorités qui ne se soucient point du bien être physique, mentale et sociale. Toute l’énergie du régime autoritaire fut consacrée à planifier sans cesse des méthodes maléfiques au point de mettre en place un modèle répressif typiquement algérien d’une version affreuse qui peut être citer en référence des systèmes dictatoriaux usant parmi les outils, l’instrumentalisation vicieuse de la justice étouffant pendant des mois et des mois toute voix discordante des militant-e-s et activistes politiques de la révolution pacifique à l’échelle nationale. Visiblement, rien ne peut arrêter la machine répressive haineuse même au temps de la détresse pandémique actuelle enregistrant un record très inquiétant en nombre des contaminés de la Covid-19 qui pousse dramatiquement vers le haut le taux de mortalité. Le régime est sans aucune gêne de réprimer toute opinion dénonciatrice de l’incurie des hôpitaux et la faillite du système sanitaire algérien. Désormais, toute voix récalcitrante contraire à celles des hautes autorités est passible de prison.
Avec une cartographie (Source: CHA https://www.facebook.com/107296698203875/posts/140198004913744/) qui reste la même publiée en date du 21 juillet 2021, la liste des détenu-e-s mise à jour en date du 28 juillet 2021 par le CNLD (Comité national pour la libération des détenu-e-s) compte 197 détenu-e-s d’opinion mais qui atteint cette fois-ci une durée cumulée de détention intolérable de 46 ans.
En action d’extrême indignation face à l’injustice insupportable, il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme des 8 détenus qui sont en danger de mort observant la grève de la faim, classés par ordre descendant du nombre de jour de la faim : Chafik Medjahed (58) qui est transféré en urgence à l’hôpital Mustapha à 12h30 dimanche 1 août 2021, Brahim agraniou (36), Laalami chems eddine dit Brahim(29) ,Walid mezeghiche (29), Nourddine abdelaziz(18),Walid Ougour (15) , Mohamed selmane (6) et Sadek louil(6).
Tout notre soutien à tous les esprits dignes privés de la liberté et également toute notre solidarité à leurs familles. Nos pensées de paix à tous les êtres chers disparus dans ce contexte de crise sanitaire catastrophique. Enfin, les autorités en place sont mises devant le fait accompli d’assumer entièrement leur responsabilité d’une situation sanitaire chaotique où le peuple est vraiment livré à lui-même.
Ces pilotes inconscients du haut commandement ne peuvent prouver le contraire d’avoir laisser les détenu-e-s d’opinion et politiques dans des conditions d’une prolifération et propagation mortifère du virus Covid-19, avec la promiscuité, l’insalubrité et l’absence de toute vaccination.
La répression n’a pour effet que d’affermir la volonté de lutte de ceux contre qui elle s’exerce et de cimenter leur solidarité… John Steinbeck
La force est l’arme de ceux qui ont tort. Bouddha
La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée. Mahatma Gandhi
On assiste ces dernières semaines, à une répression féroce et à de véritables rafles (rappelant un passé pas si lointain) de la part du pouvoir contre des algériens qui manifestent pacifiquement pour plus de dignité, de liberté, et une vraie république démocratique.
C’est que le Hirak puisant sa force dans sa non-violence a réussi à rassembler les algériens toutes tendances confondues, devenant ainsi, aux yeux des « parrains » de l’Algérie, une réelle menace.
Il provoqua une onde de choc si forte qu’elle fit tomber bien des préjugés et tabous sciemment entretenus par le « pouvoir » depuis 1962 !
Et pour la première fois, et dans les rues, les algériens brisèrent le plafond de verre et clamèrent haut et fort ce que tout le monde pensait tout bas !
L’Algérie est bel et bien une cryptocratie. Le vrai pouvoir se trouve entre les mains des généraux et le « Président » qu’une simple potiche !!! Tout le reste n’est que sophisme grossier.
Le Hirak , a ainsi jeté les bases d’un vrai débat citoyen en déclarant d’emblée « état civil et non militaire » !
Conscient du danger que cela représente pour sa survie une telle prise de conscience, le pouvoir fit semblant au début, de jouer le jeu de « l’ouverture », de laisser faire, en n’envoyant pas ses barbouzes charger les manifestants. Il a tablé sur un éventuel essoufflement du mouvement dans le temps et s’en sortir ainsi à bon compte comme d’habitude.
Mais c’est le contraire qui se produisit : le Hirak ne se laissa pas démobiliser malgré la pandémie et tous les empêchements par les services de sécurité (blocage des routes, menaces, chantages etc.). Il est même sorti renforcé.
Constatant l’échec de sa démarche, le pouvoir succomba à ses habitudes ataviques ; et réagit comme à l’accoutumée par une répression brutale et des dépassements inouïs pour étouffer définitivement ce soulèvement populaire.
Pour faire diversion et créer un climat de peur, Il va jusqu’ à créer de toutes pièces des menaces fictives : dangers extérieurs, intérieurs, attentats terroristes imminents, etc.
Et comme si cela ne suffisait pas, et pour terroriser davantage les algériens, il va jusqu’à user dans un pamphlet paru dans la dernière revue militaire ElDjeich (juin 2021) d’un vocabulaire outrancier, où est difficile de démêler le vrai de l’imaginaire. Une fantasmagorie qui laisse pour le moins perplexe ou s’entremêle pêlemêle : Dracula, vampire, diable, Satan, suceur de sang du peuple etc., digne des romans d’horreur d’un Bram Stoker ou de Mary Shelley ! Cela donne un aperçu sur la vraie nature schizophrénique du pouvoir.
Tous ces algériens qui sortent dans la rue depuis plus de 2 ans, revendiquent pacifiquement les choses les plus élémentaires et légitimes : liberté, justice, transparence dans la gestion des affaires de l’état, élections libres et transparente ! Ils veulent être des citoyens et non des « objets ».
Un constat patent et pas une simple vue de l’esprit ou partisane : des millions d’algériens manifestent contre ce pouvoir et pas seulement quelques milliers comme essaie de le faire passer le premier mandataire du système.
Mais ce pouvoir, se murant dans un autisme politique, ne veut rien entendre. Il est convaincu que le seul moyen de contrer tout débat sain et pacifique remettant en cause sa mainmise totale sur l’Algérie : c’est la répression.
Et ce ne sont surtout pas des élections législatives qui changeront quoi que ce soit !
Une étude allant dans ce sens, très intéressante a été faite par Erica Chenoweth(1)avec Maria Stephan(2) spécialistes américaines de politique internationale. Elles sont connues pour leurs recherches sur les mouvements de résistance civile non-violents1et publiée dans leur livre « Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict».
Elles ont étudié les principales campagnes, violentes et non violentes, pour des changements gouvernementaux dans le monde au XXe siècle (entre 1900 et 2006).
Elles ont analysé plus de 200 révolutions violentes et plus de 100 campagnes non-violentes.
Selon les données de recherche qu’elles ont réunies, elles sont arrivées au résultat qu’aucun gouvernement ne peut survivre si seulement 3.5% de la population se dresse pacifiquement contre lui.
Leur conclusion est sans appel : quels que soient leurs objectifs et le type de pouvoir qu’elles affrontent, les insurrections non violentes parviennent à leurs fins trois fois sur quatre, contre une fois seulement pour les violentes. En outre, les mouvements de résistance civile offrent une bien meilleure garantie d’un avenir démocratique.
C’est-à-dire dans le cas de l’Algérie moins de 1.5 millions de manifestants !!! Ce qui est très en dessous de ce qu’arrive à mobiliser le Hirak !
Comme toute dictature, la chute de ce pouvoir est inéluctable. Mais reste le facteur temps, qui varie d’un pays à l’autre, et dépend aussi d’autres éléments : situation géostratégique, socioculturelle, religieuse, ethnique etc. qui pourront accélérer ou ralentir (mais jamais empêcher) le processus de l’effondrement de pareilles dictatures.
Le boycott des élections législatives du 12 juin 2021 vient de confirmer le rejet total et sans appel de ce pouvoir (militaire) par la majorité écrasante des algériens (plus de 80%). Comme disait Abraham Lincoln « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps »
- Erica Chenoweth : Ph.D. is the Frank Stanton Professor of the First Amendment at Harvard Kennedy School and a Susan S. and Kenneth L. Wallach Professor at the Radcliffe Institute for Advanced Study. Foreign Policy magazine ranked Chenoweth among the Top 100 Global Thinkers in 2013 for their efforts to promote the empirical study of nonviolent resistance.
- Maria Stephan : is an American political scientist. She is the former Director of the program on nonviolent action at the United States Institute of Peace. She studies authoritarianism, protest, and the effectiveness of violent and nonviolent types of civil resistance.
B. Rachid
Ses critiques du régime et son soutien au mouvement populaire du Hirak auront coûté sa place au jeune magistrat, radié par ses pairs fin mai.
Par Safia Ayache(Alger, correspondance)Publié le 15 juin 2021
https://www.lemonde.fr/afrique/article
Deux semaines après sa radiation, Sadedine Merzoug n’a rien perdu de son mordant. Le désormais ex-juge se savait dans le viseur du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) algérien depuis un moment. La sanction prononcée par ses pairs le 30 mai à l’issue d’une audience de plusieurs heures ne l’a pas surpris, confie-t-il. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que le trentenaire aux cheveux de jais, porte-parole du Club des magistrats libres, une organisation indépendante créée trois ans avant le Hirak, le mouvement populaire du 22 février 2019, passait devant le conseil de discipline.
Ces derniers mois, ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer un acharnement contre ce magistrat qui a fait l’objet de cinq affaires disciplinaires depuis le début du Hirak et risque des poursuites pénales. Derrière ces tracasseries se cache la main du garde des sceaux, Belkacem Zeghmati, estiment ses avocats.
« C’est clair, l’action disciplinaire appartient au ministre de la justice. C’est lui qui ordonne l’ouverture d’enquête, le renvoi et qui fait les réquisitions devant le Conseil supérieur de la magistrature », explique Me Abdelhak Mellah, l’un des quatre conseils de Sadedine Merzoug.
« Pour les dernières affaires, l’accusation principale concerne une quarantaine de publications sur Facebook et déclarations à la presse. Donc ce sont des affaires liées au droit d’expression en général », précise cet ancien procureur. Liberté de tonA sa tutelle qui lui reproche « un manquement à l’obligation de réserve », le juge Merzoug répond qu’elle n’a jamais été synonyme d’« obligation de se taire ». Il faut dire que sa liberté de ton tranche avec le silence observé par cette corporation qui a toujours pâti d’une mauvaise image au sein de l’opinion.
« C’est la première fois dans l’histoire de la justice algérienne qu’un juge est acclamé dans la rue », relève Me Mellah. En Algérie et à l’étranger, les protestataires ont maintes fois revendiqué l’indépendance de la justice en arborant les portraits du magistrat à la veille de ses différentes présentations devant le CSM et allant même jusqu’à placarder sa photo devant le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, à Genève, le 29 mai.
Originaire de Bousaâda, une ville aux portes du désert, à 250 kilomètres au sud-est de la capitale, Sadedine Merzoug a intégré l’Ecole supérieure de la magistrature d’Alger en 2006 en étant « le plus jeune élève magistrat de la promo », précise-t-il. Après un début de carrière au pôle judiciaire d’Ouargla en 2009, dans le sud algérien, il exerce ensuite dans la région d’Al-M’Ghair, officiellement devenue une wilaya (préfecture) en 2021, à la faveur d’un nouveau découpage administratif. Une mutation vécue comme une « sanction non déclarée » et qui fait suite, dit-il, à son soutien aux magistrats du tribunal d’Aïn Salah, dans l’extrême-sud du pays.
On est alors en janvier 2013 quand quatre d’entre eux décident de débuter une grève de la faim pour dénoncer, entre autres revendications, les instructions verbales et les pressions exercées sur les juges.« A l’époque, j’avais participé à la médiatisation de leur action. Le ministre de la justice d’alors, Mohamed Charfi [actuel président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), créée en 2019] avait reçu les grévistes et fait des promesses pour l’amélioration des conditions socioprofessionnelles », se rappelle Sadedine Merzoug.
En 2016, il fait partie de ceux qui créent le Club des magistrats libres, qui rassemble un millier de juges, et dont l’objectif est d’établir un pluralisme syndical. Mais l’ancien ministre de la justice, Tayeb Louh, qui a dirigé le département de 2013 à la chute de l’ex-président Bouteflika, le 2 avril 2019, voit d’un mauvais œil ce concurrent au Syndicat national des magistrats, seule organisation autorisée.
Après cette période de « clandestinité syndicale », comme il l’appelle, Sadedine Merzoug tente de se faire élire en 2018 au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Là encore, c’est l’ancien ministre de la justice, actuellement en détention pour des affaires de corruption et d’abus de fonction, qui fait barrière à sa candidature. « Il avait peur que ce soit une infiltration de la part du Club des magistrats et il avait vu juste », confie en riant Sadedine Merzoug.
Salaire réduit de moitié
En 2019, aux premiers mois du mouvement anti-régime, ses prises de position publiques donnent une nouvelle envergure au jeune juge. Il multiplie les déclarations appelant ses pairs à aller dans le sens des revendications populaires pour une justice libérée de l’exécutif et organise de nombreux rassemblements devant les tribunaux du pays afin de soutenir des magistrats mis sous pression par l’explosion des procès menés contre des manifestants. Sa tutelle le tient responsable du boycottage de l’encadrement des présidentielles avortées d’avril et de juillet 2019. Les magistrats, chargés notamment de superviser le fichier électoral et transcrire les résultats le jour du scrutin, jouent un rôle central dans l’organisation de l’opération de vote. « On m’a reproché cette position que j’ai prise au nom du Club. Pourtant, je n’étais pas le seul », rappelle le juge radié.
Quand, à l’été 2019, Belkacem Zeghmati prend la tête du département judiciaire, Sadedine Merzoug dénonce une nomination anticonstitutionnelle de la part d’Abdelkader Bensalah, chef d’Etat par intérim, à qui la Constitution interdit de procéder à un remaniement ministériel. Les tensions se multiplient dans le secteur judiciaire. Et, à l’approche de la présidentielle du 12 décembre 2019, il lui est reproché un arrêt de travail de complaisance. « Il a justifié son absence et a été acquitté », répond son avocat. Mais, poursuivi dans plusieurs affaires, Sadedine Merzoug est suspendu de ses fonctions.
En janvier 2021, il est de nouveau écarté et son salaire réduit de moitié pour une durée de six mois, jusqu’à sa radiation prononcée le 30 mai.« Il y a une vie après la magistrature », estime son avocat. Si certains le voient rebondir en tant qu’avocat, d’autres lui prédisent un avenir en politique ou à la tête d’une organisation de défense des droits humains. Sadedine Merzoug, qui ne regrette rien, se dit « soulagé mais fatigué » par plus d’un an de procédure. Il a annoncé ne pas faire appel de la décision du CSM. Un droit que se réservent néanmoins ses avocats : « Par principe et pour corriger la situation, car les magistrats ont le droit de s’exprimer librement, rappelle Me Mellah, d’avoir leur syndicat et de créer des associations autonomes. »
( Safia Ayache à Alger, correspondance pour Le Monde )