Youcef L’Asnami
Dans une Algérie en ebullition, le ministre des finances a présenté longuement, lundi dernier, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale le projet de loi des finances (PLF 2020) qui n’a, à ma connaissance, toujours pas été publié intégralement. Mais les chiffres exposés par le ministre interpellent sur la gravité de la situation économique.
Quelques extraits de son intervention :
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recul
des revenus du pétrole dû à la baisse des cours du pétrole à 66,1 dollars fin
juillet dernier par rapport à une moyenne de 73 dollars en 2018 avec un
recul des quantités des hydrocarbures exportés de 12% fin juillet contre
une baisse de 7,3 % en 2018
–
les
transferts sociaux s’élèveront à 8,4 % du PIB
–
les
dépenses des administrations publiques connaitront « une baisse »
grâce au recul du train de vie de l’Etat (sic)
–
le PLF
2020 a été élaboré sur la base d’un prix du baril de pétrole à 50 dollars
et un prix de marché du baril à 60 dollars, et ce pour la période allant
jusqu’à 2022 ainsi qu’un taux de change de 123 da/dollar pour
2020, 128 da/dollar pour 2021 et 133 da/dollar pour 2022.
–
les
réserves de change connaitront une contraction à 51,6
milliards USD fin 2020 ce qui représente 12,4 mois d’importations
sans facteurs de production.
–
le PLF
2020 prévoit un déficit du budget de -1.533,4 milliards DA (-7% du PIB) et
un déficit du trésor de -2.435,6 milliards DA (-11,4% du PIB).
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dans
l’objectif d’améliorer le climat de l’investissement, il a été suggéré la
suppression de la règle 51/49 pour les secteurs non stratégiques, le
recours « au besoin et de manière sélective » au
financement extérieur auprès des institutions financières internationales
pour le financement des projets économiques structurels et fructueux,
outre le renforcement des taxes sur la fortune et les biens.
J’ignore la fiabilité
de ces chiffres annoncés qui augurent d’un très proche avenir pour le moins
incertain quand on regarde de près certains indicateurs annoncés par le
ministre.
Cette dépendance des hydrocarbures reste un sujet majeur depuis des
décennies. Le ministre annonce à l’avance une dépréciation inéluctable du
dinar officiel par rapport au dollar américain prévoyant une baisse de l’ordre
de 8 % de notre monnaie sur les trois prochaines années.
La recherche coûte que coûte de la paix sociale reste apparemment une priorité
du gouvernement actuel comme de ceux qui l’ont précédé. Et pour cela, il
n’hésite pas, surtout en cette période électorale, de puiser dans les réserves
de change qui avoisinaient les 200 milliards de dollars avant la crise
pétrolière de 2014 pour atteindre une « contraction » à 51,6 milliers
de dollars soit une baisse de l’ordre de 74 % en moins de cinq ans !
D’autres économistes prévoient même la disparition de cette cagnotte à
l’horizon 2022. Autrement dit, le pouvoir n’aura plus aucune marge de manœuvre
pour assurer un semblant de paix sociale.
Et enfin, face à cette situation peu reluisante, le ministre prévoit la
suppression de la règle des 51/40 pour les secteurs non stratégiques sans
préciser lesquels et le recours à l’endettement extérieur. L’histoire qui se
répète !
Si les manifestations
des citoyens contre le pouvoir sont, pour le moment, pacifiques, il est
légitime de craindre le pire si la situation continue de se dégrader
économiquement en frappant de plein pied le pouvoir d’achat du citoyen.
Faut-il rappeler les raisons de la colère du peuple en octobre 1988,
l’embrasement du pays, la sanglante répression qui s’en est suivie et les
centaines de morts et les milliers de blessés ? Au vu des chiffres exposés par
le ministre, ce scénario catastrophe n’est pas à exclure. Les leçons n’ont pas
été tirées de cette tragédie et des années qui l’ont suivie.
L’organisation d’une élection présidentielle dans ce contexte tendu sur le plan économique et social, aggravé par cette répression aveugle qui n’épargne plus personne, par un pouvoir considéré comme illégitime et rejeté par une très large couche de la population est-elle réaliste ?
La profusion des candidats à cette « élection à la mangeoire » ne me semble pas de nature à apaiser, un tant soit peu, la situation. En absence d’un programme concret clairement affiché par ces candidats et qui dépasse le convenu et les généralités, il est difficile de se prononcer sur leurs intentions.
C’est ce qui explique peut-être ce rejet populaire massif d’une élection faussée par la non prise en compte des aspirations légitimes des citoyens qui savent ce qu’ils veulent.
Le pouvoir en place peut continuer à être sourd et aveugle. Il peut continuer
ses arrestations, sa violence psychologique contre la société civile, son
irresponsabilité totale quant à la gestion du pays.
Les citoyens continueront leur opposition pacifique jusqu’au jour où….