Abbes Hamadene
La période 1936-1945 est déterminante dans l’histoire de la décolonisation de notre pays. C’est une période qui a élargi le fossé entre l’administration coloniale et la société algérienne. De façon obstinée, la France coloniale rejetait toute proposition de réforme susceptible de mettre en cause la suprématie de la communauté européenne sur les Algériens, suprématie consacrée et institutionnalisée par le code de l’indigénat du 28 juin 1881.
Ce rejet catégorique, l’administration française l’avait montré en 1936 en faisant échouer le projet Blum-Violette avec ses propositions pourtant très timides.
LE 8 MAI 1945 : LA RUPTURE
Alors qu’ils subissent de plein fouet la famine, la misère, les épidémies, les Algériens sont mobilisés par dizaines de milliers pour libérer la France de l’occupation nazie. Ils ressentent d’autant plus l’injustice criarde dont ils sont victimes.
C’est dans ce contexte que les manifestations du 8 mai 1945 furent organisées par le PPA (Parti du peuple algérien) et les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) pour rappeler à la France coloniale et les alliés anglo-saxons, encore présents sur le sol algérien, les revendications du peuple.
Grâce à la formidable capacité de mobilisation du PPA, des manifestations massives eurent lieu dans toute l’Algérie, sans aboutir à la répression sanglante vécue à Sétif, Guelma et Kherrata. En guise d’indignation, un mouvement insurrectionnel de grande envergure gagna toute l’Algérie dans les jours qui suivent ce jour du 8 mai 1945. Une insurrection écrasée, dans le sang et sans état d’âme, par l’armée et des milices déchaînées constituées de civils européens.
Le bilan de ces massacres est difficile à établir avec précision du côté algérien, les récentes recherches parlent de 40 000 victimes. En définitive, ce bilan désastreux sur tous les plans, marque la rupture définitive entre la France coloniale et la société algérienne.
Le 8 mai 1945 créa les conditions objectives d’une poussée spectaculaire du nationalisme et une accélération de la politisation des masses. Dans ce climat d’effervescence révolutionnaire, de jeunes militants du PPA montent au créneau, ils réclament de leur direction jugée trop attentiste, la création d’une Organisation Spéciale pour préparer la lutte armée. Ce sont eux qu’on retrouvera à l’initiative du déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre 1954.
AUJOURD’HUI, L’HISTOIRE CONTINUE
Il y’a un lien fondamental entre les diverses luttes menées et les sacrifices consentis pour l’ensemble de notre histoire. Des luttes, au nom desquelles a été projeté l’idéal d’une Algérie libre, démocratique et sociale. Cet idéal a été trahi dès l’indépendance par le clan de Oujda (Boumediene, Ben Bella et Bouteflika) qui a pris le pouvoir par la force en s’appuyant sur la puissante armée des frontières et en en menant la guerre contre les maquisards de l’intérieur et les structures issues de de la révolution.
Qu’il est triste de constater que 58 ans après l’indépendance, on retrouve dans une certaine mesure les grandes lignes de la structure politique du colonialisme : les citoyens algériens continuent d’être exclus de la décision politique, humiliés, délaissés, opprimés et privés de leur liberté et de leur dignité. La violence d’Etat continue de fonctionner comme une incurable pathologie concrétisée par le mépris, le mensonge et l’oppression physique et psychologique.
Dans cette perspective, on peut dire que le Hirak s’inscrit dans la continuité du temps historique. Il poursuit le combat inachevé pour libérer le pays et le peuple en essayant de se réapproprier, en les revitalisant, les valeurs de fraternité, de solidarité, de justice et de liberté.
Le Hirak est porteur de la même espérance lumineuse pour laquelle se sont sacrifiés les dizaines de milliers de martyrs du 8 mai 1945 et de la guerre de libération.
Face à la répression actuelle, et en scrutant l’histoire, on sait qu’un peuple uni ne sera jamais vaincu.