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Ce rêve que le feu ne brûlera pas…

by Redaction LQA

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Rachid Boudjelal, décédé après son immolation par le feu.

L’image est insoutenable ! Elle monte un jeune allongé à même le sol. Les citoyens ont couvert son corps brûlé par les flammes du désespoir. Rachid Boudjelal, un jeune oranais, marié et père de deux enfants, a tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu. Terrible !

Les faits ont eu lieu dans l’un des marchés populaires d’Oran qu’abrite habituellement la rue de La Bastille. Ce jeune vendeur voulait juste reprendre son activité, le gagne-pain de sa famille. Depuis le début du confinement, dû à la pandémie du coronavirus, Rachid n’avait plus de ressources. Il ne pouvait, donc, plus subvenir aux besoins de sa famille, ni nourrir ses enfants.

Victime de la hogra, il l’a été au point de vouloir se donner la mort par le feu, le matin du jour commémoratif de la répression sauvage de la marche du 14 juin 2001, à Alger, lors des tueries préparées dans les officines de la police politique et exécutées par les services de sécurité en Kabylie.

L’histoire récente du pays l’a suffisamment montré : quand elle ne tue pas par des balles réelles, quand elle ne fait pas couler des «fleuves de sang», la junte militaire brûle l’espoir. Elle en fait le brasier d’une jeunesse avide de vivre libre et heureuse, l’enfer des âmes égarées dans l’obscurité maculée de sang.

Au royaume de l’impunité, la hogra fait loi !

Rachid porte son pays dans son cœur. Il l’aime tellement qu’il s’est donné corps et âme depuis février de l’année précédente pour participer à son avènement au monde. C’est dans le printemps de cette naissance qu’il se voit et qu’il voit les siens naître à nouveau, fleurir et offrir à l’Algérie le meilleur de ce qu’ils sont pour qu’elle puisse être la fleur au parfums et aux couleurs infinis dans le jardin de «la terre-patrie».

Seulement, Rachid a été victime, comme ses semblables parmi les enfants du peuple, de l’injustice qui détruit jusqu’au désir de vivre.

C’est ce que le bureau d’Oran de La Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) a dénoncé dans un communiqué rendu public. Selon ce communiqué, Rachid subissait le comportement abusif d’un policier. Il a même été déposer plainte au niveau de la sûreté de wilaya. Ce n’est, malheureusement, pas pour autant que le harcèlement policier qu’il subissait a cessé.

Cet acharnement voulait expulser de lui le vivant et le jeter dans le purgatoire des blessures vivaces de nos mémoires collectives meurtries. Il voulait le punir, l’humilier en lui faisant subir son impunité pour, en suite, le pousser à commettre l’irréparable.

LA HOGRA : UN MAL PLANETAIRE

L’ultralibéralisme globalisé a rendu le monde malade. Il a perverti jusqu’aux éléments constitutifs du vivant, les liens qui les animent et leurs rapports à la vie. La propagation d’un virus a suffit pour imposer à des centaines de millions de personnes dans le monde les mesures d’un confinement drastique, inégalitaire, anxiogène, qui a mis sous une lumière crue la faillite d’un système dont le maintien est mortellement dangereux pour «la communauté de vie».

L’air devient de moins en moins respirable. Pire encore ! L’égalité du droit de respirer n’est plus garantie pour tous.

« Je ne peux pas respirer ! », criait George Floyd, à Minneapolis, la nuque écrasée sous le poids du genoux haineux d’un policier déshumanisé par la banalisation du racisme. Il venait de prononcer ses derniers mots avant que la vie ne le quitte.

Terrifiante, l’image de cette scène a fait le tour du monde. Elle a, également, provoqué un soulèvement populaire massif aux États-Unis. Ce mouvement n’est, en aucun cas, une réaction limitée dans le temps à l’inqualifiable exécution d’un homme pour la couleur de sa peau. Il émane d’une lame de fond qui traverse le monde.

Les projections néocolonialistes tendent à favoriser les représentations binaires de l’être humain en surhomme détenteur de richesses, de puissance, de la souveraineté sur le droit d’avoir des droits à accorder aux autres, et en sous-homme , cet exclu de l’histoire auquel le droit de vivre ne peut, désormais, être accordé que sous la condition d’un asservissement intégré sous sa peau comme substitution à sa nature.

Le monde de l’après covid-19 ne s’annonce pas du tout clément. En tout cas, du côté de l’oligarchie mondiale, la preuve est faite que l’ultralibéralisme est inapte à toute réforme. Son maintien finira par faire sombrer l’humanité dans une folie destructrice de toute possibilité de vivre sur terre.

La tentation de réduire les États du monde dit « libre » à des sous-systèmes totalitaires est, de plus en plus, forte.

L’exemple de ce qui se passe en France en est l’une des tristes illustrations.

Lors de la récente manifestation du personnel soignant à Paris, Farida, une infirmière de 50 ans qui, à l’instar de ses semblables, était en première ligne du combat contre le coronavirus, n’a pas été épargnée par la police antiémeute. L’ un de ces policiers a même poussé l’ignominie jusqu’à la tirer par les cheveux. Asthmatique, elle était exposée aux difficultés respiratoires dûes à l’utilisation des gaz lacrymogènes. Le front saignant, elle criait au milieu de ces agents des forces de l’ordre : «Je veux ma ventoline ! Je veux ma ventoline !».

Le droit à la respiration est ainsi bafoué au nom du maintien de de l’ordre.

Se sentir libre comme l’air, vivre sa citoyenneté dans le respect garanti de ses droits, ces conditions sont-elles incompatibles avec l’exercice du pouvoir de l’État ? Actuellement, tout porte à croire que dans les pays occidentaux, l’État n’est plus le centre de la représentation et de l’exercice de la souveraineté. Pire encore, sa neutralité est son rôle d’arbitrage sont réduits au point où ses représentations institutionnelles servent d’instruments de domination aux sphères oligarchiques de l’économie financiarisée.

Le système ultralibéral globalisé étouffe la vie ! Il empêche le vivant de respirer. Il tue !!

«C’est en raison de la permanence de ces mécanismes d’étranglement, de suffocation et d’asphyxie que, de presque partout, monte aujourd’hui le même cri, unanime : “ I can ’ t breathe”, la réclamation ici et maintenant d’un droit universel à la respiration, et par conséquent au libre mouvement. » écrit le philosophe camerounais, Achille Mbembe, dans une contribution intitulée « Sur la « permanence des mécanismes d’étranglement », parue dans L’Humanité du 16 Juin, 2020.

S’immoler par le feu à cause d’un harcèlement policier, suffoquer sous la répression aveugle ou mourir écrasé par le poids d’un flic qui pèse l’infinité de sa bêtise, en Algérie, aux États-Unis ou en France, dans le fond, le drame est le même. C’est que la sacralité de la vie n’est plus de ce monde !

La hogra ne concerne pas seulement l’Algérien maintenu dans sa condition d’indigène par un régime porteur du syndrome du colonisé. Elle est, également, liée à ce que le penseur camerounais, Achille Mbembe, appelle «l’universalisation tendancielle de la condition nègre».

Parmi les tendances lourdes qui traversent le monde actuellement figure celle d’une oligarchie mondiale agitée par l’obsession du gagner plus, quitte à favoriser la création de sous-systèmes tendant vers un totalitarisme light, aux pays où le fétichisme politique a fini par rendre anecdotique la représentation démocratique.

L’autre tendance est celle qui traduit une aspiration profonde, porteuse d’un nouveau souffle, celui qui réhabilite la capacité de construire de nouveaux rêves pour aller vers la création d’une Ordre Mondial Des Peuples.

L’Algérie est directement concernée par l’une est l’autre de ces deux tendances.

LA SILMIYA EST LA VOIE A SUIVRE…

L’air, l’eau, la terre et le feu. Ces quatre éléments sont au cœur de «la communauté du vivant». Ils remplissent amplement leurs rôles respectifs au centre des rapports de l’être vivant à la vie. Pervertir ces rapports relève d’une mise à mort des écosystèmes en détruisant l’environnement et les espèces qui le peuplent. C’est aussi la destruction de tout ce qui fait corps individuellement et de toute possibilité de faire société qui passe par l’effacement de l’histoire, le sacrifice de la mémoire sur l’autel de l’oubli et l’anéantissement de l’être culturel.

A Tin Zaouatine, une commune située à 550 km au sud-ouest de Tamanrasset et frontalière avec le Mali et le Niger, la question du droit à la vie est entièrement posée.

Pour tuer leur être social, on détruit jusqu’à la conception d’un chez-soi chez les habitants de cette région, on occupe leurs foyers avec du remblais, on les prive de leurs terres, on les empêche de se mouvoir librement, on tue en eux cet amour de la liberté qui caractérise les Touareg, on les arrache du récit ancestral que l’on détruit sauvagement et on les exclut de l’histoire.

Assoiffés du droit d’avoir des droits, on les prive de l’eau !

Quand un jeune manifestant porte dans son cri la détresse de cet partie du corps algérien, on tire sur lui, on le tue !

La crise que vit Tin Zaouatine ne peut pas être réduite à un mouvement de revendications sociales qui, du reste, sont légitimes. Il ne peut pas, non plus, être assimilé à des tentatives de déstabilisation menées par des officines étrangères, comme tente de le faire croire la propagande du régime militaire algérien.

Tin Zaouatine est une région qui refuse de mourir. Elle refuse, aussi, que son sacrifice permette au régime d’accélérer le processus de réduction de l’armée à une milice de supplétifs engagée, par procuration, dans des conflits qui agitent des régions aussi convoitées que le Sahel, par les forces néocolonialistes de l’ultralibéralisme.

Porteur du syndrome du colonisé, le régime est complètement soumis à la géopolitique. Soumettre l’armée aux ordres des États-majors néocolonialistes lui a été imposé du fait qu’il perdu toute souveraineté.

Il peut bomber le torse, préparer un brouillon de constitution, multiplier les arrestations et les condamnations des militants de la Silmiya, mobiliser ses différents relais de propagande, porter atteinte à la parole publique par le mensonge, l’insulte, l’injure, le discours de haine et de division…il ne pourra pas assurer son rôle d’instrument géopolitique d’anéantissement du pays.

Il peut, aussi, s’accrocher à l’illusion d’imposer son calendrier électoraliste, faire en sorte de donner un second souffle au coup d’État contre la démocratie du 19 juin 1965. Cependant, cette fois-ci, il ne pourra pas mettre le feu au nouveau rêve algérien, celui d’un nouveau projet historique permettant l’avènement d’une Algérie libre, profondément humaine, plurielle et diverse, intelligente, accueillante, heureuse de participer à la construction de la citoyenneté en Afrique du Nord et dans l’espace méditerranéen.

La Silmiya ne concerne pas uniquement le combat du peuple algérien pour se libérer du joug d’un régime militaire illégitime, criminel et mafieux. Elle est au cœur de la construction d’un nouveau monde, garant du droit du vivant à la vie et protecteur des écosystèmes.

Les perspectives historiques qu’elle offre s’ouvrent sur la réhabilitation du possible. C’est-à-dire, la capacité de rêver humain et la possibilité de réaliser ce rêve par la construction de « la terre-patrie »

A Oran, à Minneapolis, à Paris, à Tin Zaouatine ou dans d’autres régions de la planète, le combat pour le printemps de la vie dans un monde de paix concerne tous les peuples.
Hacène LOUCIF.

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