Gueule d’ange, débit saccadé d’un verbe brûlant, regard à peine voilé d’une lumière infinie, issu d’une famille de martyrs de la guerre de libération nationale, Mohamed Tadjadit est né au cœur de la révolution de février 19 et il en est aujourd’hui une des plus fidèles et des plus belles incarnations.
A 26 ans à peine, Mohamed a déjà connu tout ce qui a été offert à sa génération : la pauvreté, l’échec scolaire, le chômage, le mépris, l’absence d’espoir, le rêve de l’exil et la harga. Mais ainsi qu’elle l’a révélé à la surprise du monde, la génération de Mohamed, marginalisée, abrutie par l’école et les médias du régime, réduite à trouver la nourriture de sa survie dans les interstices d’un quotidien misérable, cette génération s’avère être celle de la révolte la plus intelligente qui soit, celle de la créativité la plus féconde, celle du rêve concret de la vision politique contre la violence, celle de la fidélité aux racines essentielles de l’identité de ce peuple, celle de la force révolutionnaire qui emmène toute une société à la conquête de nouveaux territoires, entrevus, à portée de main, les territoires merveilleux de la liberté.
Mohamed, parmi les millions d’Algériennes et d’Algériens qui se sont soulevés en un mouvement sismique, imprévu, gorgé du bonheur possible d’un autre destin pour un peuple si longtemps méprisé, a dit son mot, a donné son point de vue, a usé de sa liberté de penser, de parler, d’écrire, de dire ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce à quoi il aspire. Et sans faillir il n’a jamais cessé de proclamer sa volonté, sa conviction, que la révolution n’est et ne sera jamais que pacifique, ponctuant mille fois ses prises de parole par : Silmiya, Silmiya, Silmiya. Car si la colère des Algériens contre le régime et ce à quoi il a réduit ce grand pays, est immense, les révolutionnaires de février savent que la violence ne mène à rien.
Cette révolution est la révolution pacifique du peuple algérien en lutte pour la fin du régime en place depuis 1962 et son remplacement par un régime démocratique engagé sans équivoque dans l’édification d’un Etat de droit. Le défi qu’elle s’impose est d’y parvenir pacifiquement en prenant le temps qu’il faudra, et en maintenant les Algériens, quelles que puissent être leurs différences, unis autour de l’objectif de la construction d’un Etat digne de leur histoire et de leur aspiration naturelle à la liberté, à la justice, à la dignité.
En jetant en prison Mohamed Tadjadit, comme il l’a fait pour le journaliste Khaled Drareni et des dizaines d’autres citoyens ayant exprimé leur opinion pacifiquement dans les réseaux sociaux ou dans la rue, le régime commet un non-sens. Car on n’emprisonne pas la fulgurance de la poésie, la lumière, l’air, le soleil. On n’enchaîne pas les hommes libres au fer, à l’isolement, comme de dangereux criminels. On ne contient pas l’incendie d’une plaine sèche qui n’est plus qu’assoiffée de feu et de son ivresse. On n’enferme pas le souffle le plus pur et le plus profond d’un peuple qui a forgé sa singulière identité dans l’épreuve cruelle des siècles, un peuple qui a su résister à l’oppression, à l’humiliation, à l’aliénation, qui a su trouver aux heures les plus sombres, aux tréfonds de son être, les ressources spirituelles, morales, politiques et intellectuelles de sa résistance à l’adversité et de sa renaissance au milieu du malheur et des décombres.
Le peuple algérien en révolution connaît le prix de la liberté, mais aussi sa valeur. Il sait d’expérience que l’aspiration à la liberté est la marque la plus humaine de notre humanité. Il aime son poète, Mohamed Tadjadit, et il ne l’abandonnera pas.
Amin Khan
Le 29 août 2020