Des nouvelles alarmantes sur la santé du Président Bouteflika continuent d’alimenter la rumeur. Pas un jour ne passe sans qu’on n’apprenne, par des sources toutes plus « sûres » les unes que les autres, que cet homme serait à l’agonie, qu’il aurait été évacué en urgence vers un hôpital français, une clinique suisse, qu’il serait déjà décédé, et que les barons du régime ont décidé de n’en rien dire avant qu’ils se soient mis d’accord sur la suite des évènements.
Info ou intox ?
Que penser donc de ces informations, de ces insinuations, de ces scoops à répétition ?
Info ou intox ? Ou les deux à la fois ? Oui, parce que la spéculation est fille de l’occultation. C’est parce que le régime algérien pratique le culte du secret pour tout ce qui concerne la santé du Président que ces annonces oiseuses naissent, et prospèrent. Il suffirait pourtant que le président fasse une simple apparition pour que toutes ces rumeurs éclatent, comme bulles de savon. Or, curieusement, c’est au moment justement où elles se répandent que le président se fait invisible, inaudible, totalement absent. Comme s’il cherchait lui-même à alimenter ce déchaînement d’annonces nécrologiques.
Que croire ? Chercherait-on à nous plonger dans l’incertitude des lendemains qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
A moins que ces informations qui fusent de partout ne soient fondées. Et que le pays soit réellement sur le point d’entrer dans une phase de vacance présidentielle. Ce serait alors une très sombre perspective malheureusement. Et c’est à ce moment que nous découvrirons, pour ceux d’entre-nous qui ne s’en doutaient pas, que les fondements de notre pays sont de sable. Alors que cette éventualité est censée être institutionnellement balisée, nous entrerions dans l’inconnu.
Voici ce que prévoit la Constitution :
« Article 88 – Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.
Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du Président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du Chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante cinq (45) jours, le Président du Conseil de la Nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 90 de la Constitution.
En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article.
En cas de démission ou de décès du Président de la République, le Conseil Constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la Présidence de la République.
Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit.
Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l’Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées.
Le Chef de l’Etat, ainsi désigné, ne peut être candidat à la Présidence de la République.
En cas de conjonction de la démission ou du décès du Président de la République et de la vacance de la Présidence du Conseil de la Nation, pour quelque cause que ce soit, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit et constate à l’unanimité la vacance définitive de la Présidence de la République et l’empêchement du Président du Conseil de la Nation. Dans ce cas, le Président du Conseil Constitutionnel assume la charge de Chef de l’Etat dans les conditions fixées aux alinéas précédents du présent article et à l’article 90 de la Constitution. Il ne peut être candidat à la Présidence de la République ».
Le seul clan homogène est celui des Boutef
Mais cela n’est qu’un mode transition de façade, dans une république en trompe-l’œil. Une banale procédure destinée à permettre aux « décideurs » de préparer la succession, et de choisir qui sera appelé à remplacer au pied levé le pater familias qui a fait défaut.
Mais le problème qui se posera vraiment, et pour la première fois en Algérie, est que les équilibres au sein de ces « décideurs » a été complètement bouleversé. Car, contrairement à ce qui a toujours prévalu dans ce malheureux pays, nous n’avons plus affaire à un seul cercle de décideurs, soudé et discipliné, avec les mêmes règles que dans n’importe quelle mafia, ce qui serait rassurant dans une certaine mesure. Non, ce n’est plus le cas. Dans son entreprise de reconquête du pouvoir, et grâce à la manne financière qui lui est tombé dans le giron, le président Bouteflika avait réussi à casser l’unanimité et la cohésion de la junte qui tenait le pays, au moment où elle l’avait elle-même installé à la tête du pays. Il avait réussi, à force d’attributions de rentes, de lignes de crédits, de prébendes en tout genre, de nominations de généraux-majors, de généraux, et d’officiers supérieurs de très haut rang, à se rallier la quasi-totalité des chefs du haut commandement militaire, y compris ceux du DRS. Il avait réussi, par ailleurs, à neutraliser ce dernier, en renforçant, à un niveau effarant, la DGSN, en lui permettant d’interférer dans des missions très délicates dévolues jusque là au seul DRS.
Et, la manne pétrolière aidant, il avait créé une immense clientèle de nouveaux riches, immensément riches. Il avait réussi, non seulement à désintégrer le noyau de généraux qui avait les commandes du pays, mais aussi, et surtout, à créer une infinité de cercles concentriques autour de son propre clan, ceux là mêmes qui ont la main aujourd’hui sur toute l’économie, sur tous les rouages de l’Etat, sur les relais sociaux et politiques du pays.
Sa santé défaillante ne lui permettant pas d’être sur tous les fronts, un homme de son entourage, celui qui lui est le plus proche, son frère Saïd, allait y pourvoir. Et ainsi, au fil des années, de façon très discrète, mais de plus en plus envahissante, Saïd Bouteflika allait devenir plus que l’alter ego du Président, celui qui le remplaçait, qui l’aidait, mais aussi celui qui avait la haute main sur toutes les affaires importantes de l’Etat, et de la « famille » qui s’était agglomérée autour du Clan. Rien, ou presque ne se décidait en dehors de lui. On dit même qu’il lui arrivait de quitter son bureau personnel, de Conseiller du Président, pour occuper celui de son frère, d’y recevoir, et même de signer des documents de première importance à la place du président en titre.
Une clientèle bâtie sur de l’argent, rien que de l’argent…
A un certain moment, il fut même question de lui aménager la possibilité d’hériter des fonctions de son frère.
Mais la puissance de cet homme semble extrêmement volatile. Si le Président Bouteflika venait à disparaître, il ne pèserait plus rien en très peu de temps. La gratitude de ceux qui l’entourent, et qui lui doivent tout, est une monnaie qui n’a cours qu’avec les puissants. Peut-être même seront-ils les premiers à lui porter des coups dans le dos. De toute la laborieuse construction qu’il a érigée à coups de milliards de dollars, il ne restera rien, sinon un vivier de ceux qui seront les plus acharnés à l’accabler. C’est ainsi que va la vie, dans ces marécages de la boulitique.
Quels scénarios alors ? Que pourrait-il se passer si le président Bouteflika venait à disparaître subitement ?
En l’absence d’un seul cercle, homogène et soucieux de désigner l’homme-vitrine qui préservera le mieux les intérêts du groupe, le régime, en tant que tout, sera certainement contraint de se recomposer, autour d’un consensus, et d’un groupe de décideurs. Les militaires n’y seront plus les seuls, comme cela a toujours été le cas. Ils devront composer avec les nouvelles puissances d’argent, mais aussi avec la France et les USA, pour obtenir une sorte de bénédiction, et continuer à gérer ce Comptoir de négoce qu’est devenue l’Algérie.
Et lorsqu’ils se seront mis d’accord, s’ils y parviennent, sans faire trop de dégâts, au sein des populations interposées qu’ils feront avancer dans les cases de règlements de leurs comptes, ils n’auront pas d’autre choix, en la circonstance, que de tenir compte d’un facteur particulièrement important. Celui du courant islamiste. Pour passer la phase cruciale de recouvrement de tous les mécanismes de décision, sur la politique et sur la rente, ils auront besoin de stabilité sociale. Or, la seule mouvance politique qui dispose, en ce moment, d’une vraie capacité de mobilisation des populations, est celle des islamistes. Mais il faut dire que c’est aussi la mouvance qui est la plus infiltrée par le DRS. Et c’est pour cela que certains patrons du DRS, en perte de vitesse depuis que le Président Bouteflika a rogné leurs principales capacités, vont pouvoir reprendre du poil de la bête. Surtout ceux qui étaient des officiers opérationnels pendant la décennie rouge, et qui sont aujourd’hui Généraux-majors. Dans cette perspective, ils reviendraient sur le devant de la scène, puisqu’ils sont les seuls, ou quasiment les seuls, à pouvoir manipuler à leur guise les mouvances islamistes. Et il ne faut pas douter qu’ils leur donneront du grain à moudre. Et qu’ils leur concèderont de larges concessions, comme celles qui consisteront à accélérer des mesures d’amnistie, à fermer des débits de boissons alcoolisées, peut-être aussi à les autoriser à activer politiquement, sous l’égide d’un parti islamiste agréé.
Utiliser les islamistes, et les occuper avec du vent…
Ces concessions, pour pouvoir mieux contrôler la mouvance islamiste, et gagner du temps pour renforcer sa reprise en main de tous les leviers de commande, ne coûteront rien au régime. Une islamisation outrancière de la société, qui s’embourbera dans des détails vestimentaires et dans une moralisation forcenée de la vie sociale n’en sera qu’un brouillard de plus, pour masquer les vraies problèmes du pays. Et une formidable opportunité pour les experts en grenouillage politique.
Pour le reste de la transition, et de la reprise en main de tout le pouvoir, le régime est très bien rôdé. Les candidats à la Présidence, trois ou quatre, que nous connaissons tous, et qui sont fins prêts pour jouer le rôle de figurants qui leur sera accordé, devront se livrer à une sorte de parade nuptiale à rebours. A qui persuadera les « décideurs » qu’il sera leur meilleur valet, le plus sûr garant de leurs intérêts, le plus habile menteur devant les populations, celui en qui ils pourront avoir une confiance totale. Ils ne voudront plus d’une mauvaise surprise comme celle que leur a réservée Bouteflika. Encore que ce dernier ne les a pas dépouillés de leurs droits de cuissage sur le peuple algérien, pour rendre à celui-ci toute sa dignité, mais juste pour reprendre à son compte, à ceux de sa clientèle et de sa parentèle, les clés de l’entreprise Algérie.
Vaines spéculations, serait-on tenté de me répondre. Oui, en effet, mais avons-nous le choix, en l’absence d’un véritable Etat, qui rende compte au Peuple de ce qui le concerne, et de ce qui est vital pour sa nation, que de spéculer, voire même de divaguer ?
Notre pays ne tient pas à un cheveu, mais à un souffle de vie. Il suffirait que le Président décède pour que s’ouvre sous nos pieds un précipice béant. Un sombre inconnu. Parce que ceux qui président à nos destinées ne se soucient pas de ce qui pourrait advenir à leur malheureux pays. Ils sont dans une telle noirceur d’âme qu’ils ne pensent même pas à leurs propres familles, croyant les avoir mises à l’abri du besoin parce qu’ils leur ont engrangé des fortunes volées au peuple.
Rêve éveillé…
Au fond de moi néanmoins, une voix que je croyais éteinte à jamais, une conscience sincère jusqu’à la niaiserie, que je croyais morte, m’a fait une réponse étonnante, même si elle est d’une grande naïveté :
« Et si le Président Bouteflika, à un moment où il se retrouve devant l’inéluctable issue, se rendait compte que ce n’est pas en dépensant 1000 milliards de dollars en dix ans, pour de piètres réalisations, qu’il avait fait le bonheur de son pays. Et s’il se décidait, avant de répondre à la convocation de son créateur, de se munir d’un certificat de reconnaissance délivré par tout un peuple. Et s’il décidait de consacrer ce qui lui reste de jours à vivre pour lancer les fondements d’un véritable Etat de Droit, à chasser les mouches bleues qui bourdonnent autour de lui, à s’entourer d’abeilles laborieuses, à faire en sorte que la démocratie, la justice, le labeur et la solidarité deviennent les piliers en granit de notre nation ? Imagine mon frère, imagine ! Tu verrais les vrais hommes se lever, pour aller à la rencontre du soleil qui se lève, des exilés qui reviendraient par millions, des villes que l’on reconstruirait, des arbres que l’on planterait, tout un pays qu’on laverait à grand-eau, des enseignants qu’on formerait, des citoyens qu’on instruirait de leurs droits et devoirs, une culture qui refleurirait, la joie qui renaîtrait, des frères et des sœurs d’infortune qu’on consolerait, des maisons claires et riantes pour tous, des cours de justice où siègeraient des juges probes, des universités qui attireraient des étudiants du monde entier, des plages de rêve, des forets giboyeuses, des plaines blondes de blé, des gens qui se respectent les uns les autres, un général qui fait la chaîne devant une salle de cinéma, des mosquées qui bruissent de prières sincères, des terrasses de café bordées de tilleul, des usines bourdonnantes d’activité, des bus propres, des gens vêtus d’habits traditionnels, des députés honorables, des maires intègres, des policiers scrupuleux des lois, des instituteurs que tout le monde salue dans la rue, des fillettes qui jouent à la poupée, des garçonnets qui tutoient le vent de demain, et des retraités débonnaires qui flânent en admirant des hirondelles qui font des voltiges artistiques… »
Ah ! Si …
D.Benchenouf