Home Droits de l’Homme Par devoir moral envers ceux qui sont morts sous la torture.

Par devoir moral envers ceux qui sont morts sous la torture.

by Redaction LQA

Ce témoignage poignant  est celui du Dr Hacène Kerkadi, chirurgien-dentiste, victime des affres de la torture, et qu’il m’avait adressé en décembre 2000 dans le cadre d’un travail sur la « Machine de mort » que j’avais réalisé avec mes ami(e)s d’Algeria-Watch, publié en octobre 2003. Le Dr Kerkadi est l’un de ceux qui ont déposé une plainte contre le sieur Nezzar.

Salah-Eddine SIDHOUM

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Chirurgien dentiste à Meftah. Né le 1er juin 1948, marié, 6 enfants. Ex-1er vice-président de la mairie de Meftah (Blida).
Il va de soi, qu’en ce qui concerne le grand crime dont je suis devenu le pire ennemi est la torture. C’est toujours pénible d’évoquer ces périodes difficiles de la vie, ce qu’on a vécu contre son gré et qui vous marquent à jamais, dans votre corps et dans votre esprit. La torture est la forme d’expression la plus abjecte de l’être humain, dans son état le plus inhumain. Je ne sais pas si c’est du français correct, mais c’est ainsi que je le ressens.
Si je témoigne, ce n’est pas par esprit de vengeance, car cette expérience, je ne la souhaite à personne, même pas à ceux qui m’ont torturé.
C’est surtout par devoir moral envers ceux qui sont morts sous la torture et qui ne sont plus là pour le faire, ainsi qu’envers ceux qui ne peuvent pas le faire car ils n’ont pas cette possibilité qui m’est offerte.

Je me dis que dans les deux cas, si ces personnes étaient à ma place, ils l’auraient sûrement fait. Aussi je le fais pour moi et surtout pour eux.
J’ai été élu en 1990 sur une liste FIS de la commune de Meftah où j’ai occupé le poste de 1er vice-président et rempli mon devoir d’élu jusqu’à la dissolution du FIS et de ses APC.
Vers la mi-janvier 1993, j’ai été inculpé ainsi qu’une dizaine de militants et de sympathisants du FIS sous prétexte de verser de l’argent à une association « terroriste », sur une prétendue dénonciation par trois jeunes collecteurs de fonds. Pour préciser, ces trois jeunes ont été sauvagement torturés jusqu’à ce qu’ils reconnaissent que les individus dont les personnes dont noms figuraient sur une liste présentée par la police, leur avaient versé de l’argent. Devant le juge, ils sont revenus sur leurs aveux extorqués sous la torture. Ils ont quand même été condamnés alors que les autres, dont moi-même, avons été acquittés.
Au mois d’avril de la même année (entre le 4 et le 11), les parachutistes sont venus chez moi, vers minuit trente. Après avoir fracassé la porte principale et perquisitionné dans mon cabinet dentaire puis dans les appartements de mon père et de mes deux oncles, ils ont sonné chez moi. Dès que j’ai ouvert la porte, j’ai été ébloui par la lumière d’une torche. Après vérification orale d’identité et perquisition succincte, je fus accompagné par deux parachutistes au commissariat de police. Les autres militaires ont pris une autre direction. Dans la cellule, j’ai trouvé le maire qui était déjà là ainsi qu’un voisin que je cite Hakim Sellami, que j’ai laissé vivant à ma sortie et qu’on a fait disparaître depuis. Son regard me hante jusqu’à aujourd’hui. On s’est échangé un salut discret avant la séparation. Les autres parachutistes sont allés chercher l’imam de la mosquée centrale. Il y avait aussi un ancien maquisard amené par « erreur » ainsi que son fils et qui ont été libérés le lendemain tôt, sûrement sur intervention. Je peux aussi témoigner aussi que c’est un brave homme authentique. Il s’appelle Ahmed Kessar.
Deux autres personnes ont également été arrêtées mais elles ont passé la nuit dans la caserne des parachutistes sur les hauteurs de Meftah. Ils ont dû passer une très mauvaise nuit car ils ont été emmenés au commissariat dans un piteux état.

Lorsqu’on a tous été réunis au commissariat, le lendemain donc, vers 14 heures, des militaires dépêchés d’Alger sont venus nous chercher. Dès notre sortie de la cellule, les coups ont commencé à pleuvoir, accompagnés d’insultes. Nous avons été cagoulés, ligotés et conduits dans un BTR (transport de troupe) vers leur caserne, à côté de celle de la sécurité militaire à Bouzaréah sur les auteurs d’Alger.
Dès notre arrivée à la caserne, une vingtaine de soldats se sont jetés sur nous, j’allais dire comme des chiens enragés, mais je n’ose pas faire la comparaison, je manquerais de respect au meilleur ami de l’homme. Alors que nous étions encore menottés et cagoulés, ils se sont acharnés sur nous par des coups de poings, de pieds, des manches de pioche et même la gégène (courant électrique). On entendait des cris de partout, des hurlements. Pendant ce temps, qui ne voulait pas se terminer et qui m’a semblé une éternité, ces militaires se sont « défoulés » sur nos corps presque inertes et « auto-anesthésiés » pour ne pas sentir la douleur. Je m’en suis sorti avec une première perforation du tympan gauche et des bleus sur tout le corps.

Dans la même journée nous avons été transférés à la caserne voisine, celle de la sécurité militaire et qui était en fait notre vraie destination. Les militaires qui nous ont transportés, se sont fait « payer » le prix du transport par leur monnaie propre qu’est la torture.
Au niveau de la sécurité militaire, quelques-uns de nous seulement ont été torturés : un jeune avec lequel je partageais la cellule. Une fois, il a reçu tellement de décharges électriques, tout en étant menotté que les menottes ont pénétré dans sa chair au niveau des poignets. Il n’a pas été soigné. Une deuxième fois, on m’a descendu dans la salle de torture, ligoté et cagoulé, en compagnie de Djamel ABBAD. On m’a fait asseoir sur une chaise alors que lui a commencé à être torturé. Il a poussé un cri et je me suis évanoui. Plus tard, j’ai su qu’il avait été brûlé au chalumeau. Les cris des autres suppliciés font plus mal que les coups qu’on reçoit, surtout qu’ils ne disparaissent pas de la mémoire. La torture morale est peut-être plus destructrice que la torture physique.

Une semaine après, nous avons signé nos P.V., sans pouvoir les lire. Nous avons été relâchés dans la nature, qui sur l’autoroute, qui dans un quartier de la périphérie d’Alger, sans inculpation et sans jugement.
Je pensais toujours que c’était une erreur comme la première fois. Personnellement je n’avais absolument rien à me reprocher car je n’ai rien fait de répréhensible au regard de la loi. J’ai repris donc mon travail dans mon cabinet dentaire.
Vers la dernière semaine de novembre 1993, un policier en civil s’est présenté poliment à la consultation et m’a annoncé qu’ils venaient m’arrêter. Sur mon insistance, il m’a exhibé un ordre de mission.
De la même façon, nous avons été conduits un par un, le maire, l’imam et moi dans une camionnette stationnée près du commissariat de police de Meftah. Une fois à l’intérieur, nous avons été menottés et cagoulés. Cette fois-ci., nous avons atterri à la caserne de police de Blida. Dès notre arrivée, nous avons été accueillis par des coups et des gifles.
Il y avait deux sortes de torture :
1. La torture systématique collective pratiquée par les gardiens, soit au moment des repas matin, midi et soir comme des médicaments soit à n’importe quelle occasion d’ouverture de la cellule ; pour faire les besoins, pour l’appel, on avait droit à des coups de poings, des gifles, des coups de manches de pioches.
2. la torture individuelle, ciblée et programmée. L’endroit réservé à cette infâme besogne se situait en fait au bout du couloir séparant les cellules et donnant accès aux toilettes. Là était installé tout le nécessaire : table, dynamos, manches de pioche et tous les autres accessoires.
On pouvait voir ce matériel au moment où on allait aux toilettes. Pendant la torture, on portait un bandeau sur les yeux.

Quand notre tour est arrivé, ils ont commencé par appeler le maire.
Après quelques minutes de silence, nous l’entendions crier de toutes ses forces, les cris étaient amplifiés par l’espace vide. À un certain moment, il les suppliait de le tuer.
Ils lui ont attaché les parties génitales avec une ficelle, ont tiré latéralement et avec une planche lui tapaient dessus.
Au bout d’un moment qui m’a semblé une éternité, la porte de notre cellule s’est ouverte et il s’est laissé tomber par terre. Il avait ses vêtements tout mouillés.
Ce fut ensuite mon tour. On a ouvert la porte de la cellule et balancé un bandeau taillé dans une chambre à air de vélo, que je devais mettre autour des yeux.
J’ai été conduit à l’endroit de la torture. On m’a demandé de me déshabiller complètement puis j’ai été attaché sur la table (très froide, en marbre, je crois) au niveau des poignets et des chevilles de part et d’autre du corps.

J’ai tout de suite senti comme une brûlure sur le bas ventre, que j’ai pu localiser une fois à la maison. Je pense que c’est quelqu’un qui a dû éteindre sa cigarette. Ils ont commencé par me poser des questions : quel grade j’avais et quels sont les noms des personnes de mon groupe ? Devant mon étonnement, les coups et les insultes ont commencé.
Je recevais des coups de pieds partout, même sur le visage, qui m’ont provoqué la deuxième perforation du tympan gauche. D’autres frappaient avec des bâtons sur les bras et les cuisses.
Ensuite, ils sont passés à la torture du chiffon. Tout en étant maintenu ligoté, l’un d’eux m’a couvert les voies respiratoires (nez et bouche) avec un tissu, un autre me tenait la tête tandis qu’on ouvrait le robinet et dirigeait le tuyau sur mon visage. Ils m’avaient dit auparavant que si j’avais quelque chose à dire, je n’ai qu’à secouer la tête pour qu’ils arrêtent.
Au début, bien sûr je commençais à boire, en pensant que j’allais vaincre le débit de l’eau, mais très vite j’ai été submergé. Je me retrouvais dans la situation du noyé : si je fermais la bouche, je suffoquais, si je l’ouvrais, l’eau entrait.

Une fois le ventre plein à éclater et sentant que j’allais perdre connaissance, j’ai secoué la tête. Ils ont arrêté. Pour gagner du temps, j’ai toussé plusieurs fois, mais dès que je leur ai dit que je ne savais rien, ils ont repris de plus belle : coups, insultes et puis de nouveau l’eau et le chiffon.
Au bout de la troisième fois, je leur ai dit, pourquoi vous me torturez ? Dites-moi ce que vous voulez que je vous avoue et je le dirai. L’un d’eux m’a répondu : « Non, nous on te frappe et toi tu parles, sans qu’on te dise ce que tu as à dire. »

Ensuite, ils m’ont demandé, toujours sous la torture, à qui je versais de l’argent. À demi évanoui, je me suis rappelé le nom de TIGHARSI Amar qu’on venait de tuer dans une embuscade. Sur le détail de la somme, j’ai donné un chiffre rond 1 000 DA. Là, je crois qu’ils avaient compris que je ne détenais aucun secret. Ils ont ensuite dirigé l’eau glacée sur tout mon corps, pour me « nettoyer », m’ont défait les liens et m’ont ordonné de me rhabiller.
À ce moment, j’avais tellement froid que je n’arrivais plus à contenir mes petits besoins.
Le tour de l’imam a été rapide. Il a été torturé aussi, mais on n’a pas entendu ses cris car d’après lui, sa bouche s’ouvrait mais il n’avait plus la force d’émettre le moindre son. Il était déjà tellement maigre aussi, qu’une fois déshabillé, peut-être qu’ils n’ont pas osé… bien qu’ils n’aient pas d’état d’âme.

Après, nous n’avons subi que la torture systématique, quotidienne des gardiens, jusqu’à notre libération, une semaine plus tard, sur une petite route, derrière l’hôpital psychiatrique Frantz Fanon de Blida. Avant notre libération, nous avons signé des procès-verbaux dont nous ignorions le contenu. Leur dernière phrase a été une menace : « vous n’avez pas intérêt à ce qu’on vous ramène ici ».
Devant l’entrée de l’hôpital, les gens pensaient que nous étions des pensionnaires de cet établissement, vu notre état lamentable.
Certaines nuits, dans les cellules, on ne pouvait pas dormir à cause des cris indescriptibles des suppliciés qu’on voulait faire avouer le plus vite possible et par tous les moyens.
Au regard de ce qu’ont subi les autres, je me dis que je m’en suis sorti à bon compte.
N’était-ce le devoir de témoigner pour ceux qui ne peuvent pas le faire et pour ceux qui sont morts sous la torture, la décence m’aurait recommandé de me taire.
Suite à ces événements, la peur aidant et le manque de courage, j’ai pris la décision de quitter l’Algérie.

Kerkadi Ahcène
Décembre 2000

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10 comments

Rédaction LQA 23 octobre 2011 - 12h18

Compte rendu de l’audition des plaignants
«J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable des tortures que j’ai subies»
El Watan, 23 octobre 2011

On m’a enlevé mes vêtements, mis un bandeau sur les yeux et menotté. On m’a allongé sur un banc et on m’a frappé avec une barre de fer sur les orteils, sur les parties génitales et sur le torse.

Pendant que quelqu’un versait de l’eau sur ma bouche couverte par un chiffon. Lorsque j’ai perdu conscience, ils m’ont brûlé avec un chalumeau pour me réveiller.» C’est là un extrait du rapport détaillé de l’audition qui s’est tenue vendredi à l’hôtel de police de Genève dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre du général à la retraite, Khaled Nezzar, pour un soupçon de crimes de guerre.
Le récit est celui de Daadi Seddik, un des deux plaignants, qui raconte avec précision, lors de cette audition et en présence de l’accusé, les pires moments de la torture subie pendant son arrestation à Alger le 17 février 1993 à 2h du matin.

«Après cette première séance de torture, ils m’ont laissé une journée dans un couloir puis ils m’ont placé dans une cellule pour 11 à 12 jours et chaque jour je subissais la même séance de torture qui durait 3 à 4 heures, le dernier jour ils m’ont torturé près de 5 heures puis ils m’ont violé (…)», est-il précisé dans le document dont El Watan a pu se procurer une copie. Pourquoi cette plainte est déposée contre l’ancien membre du Haut Comité d’Etat (HCE) et ministre de la Défense de 1991 à 1993, Khaled Nezzar ? «C’est lui qui dirigeait l’Algérie à cette époque. J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable de la torture que j’ai subie en Algérie. S’il dit qu’il n’a pas donné d’ordre, pourquoi n’a-t-il pas jugé ces gens ?» répond Daadi Seddik en présence des avocats, du procureur fédéral assistant et du procureur fédéral suppléant. Ancien employé de daïra, militant au sein de l’ex-FIS, Daadi Seddik, qui était recherché lors des événements d’Octobre 1988, a été emprisonné durant une année après ce fameux 17 février 1993. Après quoi, il a pu quitter le territoire pour fuir le harcèlement policier qui lui a été imposé, raconte-t-il, allant d’arrestation en arrestation après sa libération.
Rentré de Suisse en 1995, il subira une énième arrestation qui finira encore une fois en séance de torture de 43 jours. Il a quitté définitivement le pays quand il a été relâché pour se réfugier une seconde fois en Suisse.

Supplice du chiffon mouillé

«En 1993, j’ai été arrêté trois fois par la police pour des interrogatoires jusqu’au soir où des parachutistes sont arrivés chez moi et fouillé partout. Une dizaine de personnes portant des cagoules m’ont embarqué. (…) On m’a demandé de me déshabiller, on m’a ligoté les pieds et les bras, on m’a mis un morceau de tissu sur le visage et on y a versé de l’eau pour m’obliger à dire que je soutenais des groupes armés. J’ai inventé des réponses fausses pour échapper au supplice après dix jours de torture», raconte pour sa part Ahcène Kerkadi, chirurgien dentiste anciennement installé à Meftah, également sympathisant du FIS et ancien maire adjoint.
Ce deuxième plaignant lors de la même audition, mettant en cause le général à la retraite, Khaled Nezzar, a lui aussi pu quitter l’Algérie après avoir été libéré pour se réfugier en Suisse.

Cette déposition est donc une première étape dans la procédure faisant suite au dépôt de plainte de ce 20 octobre par Daadi Seddik et Ahcène Kerkadi, en qualité de partie plaignante dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre de Khaled Nezzar par le ministère public de la Confédération, en date du 19 octobre, «pour soupçon de crimes de guerre commis en Algérie durant le conflit armé interne de 1992 à 1999».
L’ancien homme fort du régime a été interpellé suite à une demande du parquet jeudi matin, alors qu’il était en visite dans la capitale helvétique pour des soins.
Il a été auditionné par le procureur après que ces deux plaignants eurent déposé leur plainte. Il a été libéré vendredi soir après avoir garanti qu’il resterait à la disposition de la justice suisse à partir d’Alger. Mais les deux plaignants ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. «Je dispose d’éléments contre le général Khaled Nezzar, mais je ne peux pas les dire en sa présence. Il y a des militaires dissidents qui ont beaucoup de choses à dire, si la procédure se poursuit», a précisé Ahcène Kerkadi lors de cette audition.
Fella Bouredji

Reply
BRAHIM 23 octobre 2011 - 12h58

Je compatie avec le docteur Kerkadi Ahcène pour ce qu’il a enduré et tout individu défenseur des droits de l’homme doit condamner sans réserves ces méthodes abjectes.
TOUT le monde doit condamner la torture car c’est un acte ignoble envers l’intégrité humaine.
Dans la foulée et en même temps, il faut aussi condamner avec une force les crimes et asssassinats commis par des écervelés au nom de qui on sait ! TOUT le monde sait qu’il existe des inogobles individus qui égorgent des êtres humain au sabre, à la scie ou au couteau de boucher. C’est aussi ignoble que la torture. Oui je dis bien égorgé des êtres humains comme des moutons.
Il faut condamner aussi les gens qui s’explosent au TNT en entrainant avec eux la mort d’être humains innocents. Combien de familles ont perdu des proches au cours de ce type d’attentat sans que les victimes ou leurs proches ne soient concernés ni de près ni de loin par les luttes politiques ou la situation politique de pays.

Reply
Rédaction LQA 23 octobre 2011 - 13h31

Témoignage du 2e plaignant, recueilli par ALGERIA-WATCH
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Une fois dans le collimateur de la police
Témoignage de Seddik Daadi recueilli par Algeria-Watch, janvier 2008

Première arrestation.

Le 17 février 1993, deux voitures blanches de type 505 se sont arrêtées rue Mohamed Naïli, exactement devant le bâtiment n°3-5 à Sidi M’hamed (Alger) où était situé mon domicile. Il était 3h du matin. Huit hommes cagoulés, portant des uniformes bleus, armés de kalachnikovs et baretta, munis de talkies-walkies, sont montés au 6 e étage, ont d’abord sonné puis frappé violemment la porte des poings et des pieds. Une fois que la porte a été ouverte, ils se sont engouffrés á l’intérieur de l’appartement et ont demandé : « où est Seddik Daadi ? ». Ils n’avaient pas de mandat d’arrêt. Je m’étais caché derrière la porte de ma chambre. Un des policiers s’y est introduit et m’a ordonné de sortir. Il s’appelait « al-Far ». Je me suis habillé. Mon beau-frère leur posait des questions sur les raisons de cette arrestation mais n’a récolté qu’insultes et l’ordre de se taire. Ils ont voulu l’arrêter aussi mais ma belle-mère est intervenue. Ils étaient tous cagoulés, on ne voyait qu leurs yeux et la bouche. Moi, je ne sentais rien, j’appréhendais la mort.

Ils m’ont embarqué au bas de l’immeuble. Ils étaient huit. Dans la rue, devant l’un de leurs véhicules, ils ont pointé leurs armes dans ma direction et m’ont ordonné de courir. Je craignais qu’ils veuillent me liquider. Finalement ils m’ont mis un sac sur la tête et introduit dans la malle de la voiture tout en blasphémant et criant : « nous sommes des paras, pas des policiers. Nous allons tuer ton Dieu. Tu vas mourir aujourd’hui ». J’ai entendu la voix de ma belle-sour : « Ya Seddik, Dieu est avec toi ! » Et ma femme s’est effondrée sur le sol. Elle s’était évanouie. J’avais deux enfants : Soheib et Mossâab, nés en 1991 et 1992.

Nous avons quitté les lieux. La voiture s’est dirigée vers la banlieue où elle a tourné en rond. Je ne savais pas où j’étais. A un moment, nous étions à un endroit situé dans le quartier du Ruisseau. Ils se sont arrêtés. Ils étaient à la recherche d’une autre personne qu’ils n’ont pas trouvée. L’un des policiers m’a interpellé :

– Qu’as tu fait ?

– Rien.

– Fais sortir le pistolet ?

-Quel pistolet ?

– Aujourd’hui, on va te tuer.

– La mort est unique.

– C’est ainsi qu’on parle avec la police ?

Il s’est tu. Un autre homme cagoulé est arrivé et m’a dit :

– Ya Rabb, baisse ta tête, sinon je fais ceci et cela (insultes à l’encontre de la religion que je ne peux pas répéter)

Nous avons roulé de nouveau, jusqu’à l’arrivée au commissariat de Cavaignac, le centre de police spécialisé dans la torture, situé au centre d’Alger. Ils m’ont emmené au sous-sol. Après m’avoir déshabillé, ils m’ont allongé sur un banc de la longueur d’un homme et attaché avec des sangles et des menottes. Puis, celui qui semblait être leur chef les a appelés et leur a dit : « celui-là, il va parler sans tortures. ». Ils m’ont détaché et nous sommes montés au premier étage, dans le bureau du chef, un officier qu’ils appelaient Charles Bronson. Il portait un blouson spécial de la police et un pantalon de velours jaune. Je l’appelais « le Kabyle » parce qu’il avait un accent typique. Il était installé à son bureau, il a pris un stylo et une feuille et commencé à m’interroger :

– Allez, raconte !

– Quoi ?

– Je te brûle la tête (insulte algéroise), parle !

– Je te raconte ma vie ?

Il m’a insulté et aordonné à ses hommes de me faire descendre au sous-sol, dans la salle de torture, sans vêtement. Ils m’ont attaché à nouveau sur le banc. Ils m’ont placé un bandeau noir ou bleu sur les yeux. Les tortionnaires étaient au nombre de 10, cagoulés et portaient des uniformes de police appelés ninja.

La salle dans laquelle je me trouvais était grande, elle faisait environ 55-60m 2 , sans lumière et sans carrelages. Le sol était couvert de sable. Il y avait une échelle, un robinet d’eau, un grand seau et des serpillières. La peinture dégoulinait des mur, la pièce était froide et humide.

. Premières tortures

J’étais nu, ligoté avec un câble sur ce banc. Le premier mot que le chef m’adressa fut : « Dis à ton Dieu de venir te sauver », et à partir de ce moment là, la torture a commencé. Ils m’ont placé les serpillières sur le visage et aspergé d’eau qu’ils m’ingurgitaient de force dans la gorge. J’ai cru voir la mort. Ils me donnaient des coups de barre sur les plantes des pieds (fallaqa). Quelqu’un s’est assis sur mes genoux et m’a frappé avec un bâton sur le pénis. Un autre frappait avec un fouet sur la poitrine jusqu’à ce que je perde conscience. A chaque évanouissement, ils me réveillaient et reprenaient leurs tortures. Quand je n’étais pas évanoui, je hurlais de douleur. Plus je hurlais et plus ils s’acharnaient sur moi, comme des monstres. Ils m’avaient dit que si je voulais parler, je devais lever le doigt. Quand ils s’arrêtaient, ils fumaient et éteignaient leurs cigarettes sur ma poitrine. Pendant cette torture, j’ai honte de le dire, je ne peux pas dire ce qu’ils ont fait avec moi, mais je dois le dire. pour l’histoire. J’ai été violé : Ils m’ont introduit un bâton dans l’anus. La pénétration a provoqué un saignement dans l’anus, il a fallu une intervention en 2005 pour me soigner. D’autres frères ont subi le même procédé avec des bouteilles au goulot cassé.

Parmi les tortionnaires, certains étaient saouls, j’ai senti l’odeur d’alcool. J’entendais encore plus de blasphèmes et plus d’insultes.

A force d’être torturé, la fièvre est montée et j’ai été jeté par terre et aspergé d’eau froide. Je jure par Dieu que je n’ai jamais eu autant froid de ma vie.

Puis j’ai été attaché avec des menottes sur une porte en fer dans un couloir. Il y avait d’autres portes du même type. Le geôlier qui faisait le va-et-vient dans le couloir me frappait avec ses pieds et une barre de fer. A chaque fois que je levais les yeux, il m’ordonnait de baisser la tête en m’insultant. Il ne voulait pas que je le voie. Il m’était interdit d’aller aux toilettes, je ne pouvais faire mes besoins que sur moi-même.

Peu de temps après, j’ai été ramené à la salle de torture. Attaché au banc comme la fois précédente, j’étais persuadé que j’allais y passer. J’ai récité la chahada (la profession de foi) en levant mon index droit en dessous du banc. L’un des tortionnaires l’a remarqué. Il m’a insulté de « fils de pute » et a voulu briser mon doigt. Et moi, malgré la torture, une envie terrible de rire m’a prit devant cette idiotie. Je me dis : « si c’est ça l’Etat et ceux qui représentent l’Etat ! » Et j’ai eu la certitude que l’Etat était policier et un tel Etat n’a pas d’avenir et finira nécessairement aux oubliettes.

Les tortionnaires étaient de la capitale. Il y avait un médecin parmi eux, ou du moins était-ce quelqu’un qui m’examinait régulièrement pour voir si je tenais encore le coup et si mes tortionnaires ne dépassaient pas une limite. Il m’a dit : « Ils t’ont détruit, est ce que tu résistes à la torture »

En m’évanouissant une autre fois, ils m’ont brûlé la plante des pieds au chalumeau. A chaque fois que je tentais de bouger mes jambes , ils me torturaient.

Ils me posaient toujours les mêmes questions : « où sont les armes ? », « où est parti Abdelkader Fikayar ? », « chez qui est-il ? », « où sont tes amis ? »

Abdelkader Fikayar faisait partie de la garde rapprochée de Abbassi Madani. Je le connaissais bien parce qu’étant karatéka, il me contactait pour participer à la protection rapprochée des Chouyoukh lors les manifestations du FIS. Abdelkader a été arrêté quatre mois avant moi. Quand j’ai appris son arrestation, je me suis caché sachant que mon tour viendrait. En fait j’étais recherché depuis septembre 1992. J’avais été inspecteur d’hygiène et d’assainissement à la daïra de Sidi M’hamed, contrôlée par le FISavant l’interruption des élections en janvier 1992. J’étais aussi responsable du SIT (Syndicat islamique du travail) au niveau de la même daïra. C’est dire que les autorités me connaissaient. Je m’étais donc, dès l’arrestation de Fikayar réfugié dans la clandestinité. Je changeais régulièrement de logement mais je n’avais nulle intention de prendre le maquis. J’étais pour un combat politique et non pas armé. Plus tard en prison, j’ai été approché par des personnes qui voulaient me convaincre de prendre le maquis, mais je refusais toujours car j’étais convaincu que ce n’était pas la bonne voie.

Quand mes tortionnaires se rendirent compte que je n possédais pas d’armes, ils reprirent la torture, 3-4-5 fois, puis posaient les mêmes questions : « qui a des armes ? », « quelqu’un a-t-il des armes ? », « connais tu un groupe armé ?

Quand ils se sont aperçus que je ne connaissais personne, ils recommencèrent : « connais tu quelqu’un qui les connait ? », « qui parle à leur sujet et qui les apprécie ? », « connais tu quelqu’un qui distribue des tracts ? »

Lorsque je n’ai rien à dire, ils augmentaient l’intensité de la torture. Je voulais absolument dormir, j’ai passé trois jours sans dormir. Au quatrième jour, je me demandais si je rêvais ou si j’étais devenu fou. J’entendais les cris des autres suppliciés, ce qui me rendait encore plus fou.

Au quatrième jour, ils m’ont enfermé dans la cellule n°1. Elle ne dépassait pas 6m 2 . 13 personnes de la rue Nacera Nounou à Belcourt y étaient entassées. Ils m’ont enlevé mes vêtements mouillés pour les sécher et m’ont habillé des leurs. Ces gens se trouvaient à Cavaignac parce qu’ils avaient protesté contre la nomination par le ministère des affaires religieuses d’un imam à la mosquée de la rue Nacera Nounou. Un soir, après la prière (‘icha) la police a débarqué et a arrêté quelques jeunes : Abdelkader, l’imam de la cellule, Abdelhaq, un gros appelé « Bouchi » parce qu’il vendait de la viande, Hamid et un autre homme surnommé Bou Sabâa Arouah (père des sept âmes). Pourquoi le nommait on ainsi ? Il a enlevé sa chemise et m’a montré sa poitrine. Au niveau de son cour, les impacts de quatre balles datant des évènements d’octobre 1988 étaient encore visibles. Aucune balle ne l’avait tué. Et puis il y avait Samir. Il était très peureux. Dès qu’il entendait une voix s’approcher de la porte de la cellule, il pissait dans son pantalon. Il était gravement traumatisé car il avait subi d’affreuses tortures.

Dans la cellule il y avait des toilettes sans séparation. Quand l’un devait s’y rendre, les autres détournaient la tête. Juste au dessus du trou des toilettes se trouvait un tuyau de fer d’où coulait l’eau que nous buvions. On avait que 15mn d’eau par jour. Il y avait une lampe dans cette cellule, mais sa lumière était si faible qu’elle faisait peur. Elle n’était qu’allumée que de temps en temps. Ils nous donnaient un morceau de pain par jour à partager entre 14 personnes. Un jour nous avons reçu un bonbon, nous l’avons partagé en 14 parts.

Pour enfin échapper aux supplices.

J’ai passé 12 jours dans cette cellule, 12 jours de torture, c’est à dire 4 jours de torture sans interruption et ensuite quotidiennement avec des pauses de quelques heures entre les séances. Des policiers me surnommaient Larbi Ben Mhidi parce que je disais que je ne savais rien. A force d’être torturé et d’entendre leurs insultes, je songeais à leur donner un nom. Je finis par en inventer un, Lahsan, et leur indiquer une adresse fictive. Et puis, je devais les y guider. J’avais dit sous la torture que la personne habitait au 2 e étage, porte à droite. En réalité, je ne savais même pas comment étaient disposées les portes.

Ils m’ont emmené, accompagné de deux voitures blanche de type 505, j’étais torse nu et sans souliers. Ils étaient neuf hommes cagoulés, armés jusqu’aux dents et le chef « Le Kabyle » les escortait. Nous sommes montés au second étage de l’immeuble que j’avais indiqué. Je priais pour ne pas tomber sur l’appartement d’un frère. Arrivé en haut je leur dit : « c’est ici qu’on organisait nos réunions et qu’on cachait nos armes ». Ils ont cogné à la porte avec leurs bottes : « ouvrez, c’est la police ! ». Ils sont entrés à quatre ou cinq. Lorsque j’ai entendu les cris de la femme, ils faisaient sortir un homme, à genou. Ils ont braqué leur lampe sur son visage et un policier m’a demandé si c’était la personne indiquée, j’ai répondu affirmativement. Ils ont demandé son nom, il a répondu Hocine.

Ils nous ramenés au centre de torture. Ils l’ont frappé. Lors de notre confrontation, ils m’ont demandé de lui parler. Je lui ai dit : « Ya Hocine, il faut que tu dises la vérité, ils vont te massacrer »

Les policiers lui ont dit que son nom était Lahsan et non pas Hocine. L’homme pleurait : « Je vous jure que je m’appelle Hocine ». A force de le frapper, il a fini par dire qu’il s’appelait Lahsan. Lorsqu’il a été arrêté à son domicile, il buvait de l’alcool. Les policiers doutaient donc de l’histoire.

Nous avons été emmenés à Bab Djedid, au commissariat du 2 e arrondissement et nous avons été placés chacun dans une cellule. Il m’a fait pitié. Je jure que je ne le connaissais pas. Je lui avais dit « mon frère ». Il ne m’a pas répondu. « Ya Hocine, dis leur ce qu’ils veulent entendre et arrivé devant le juge d’instruction, tu dis la vérité » Il n’a toujours pas répondu. Au matin, ils nous ont ramenés à Cavaignac. Ils l’ont torturé devant moi. Ils me disaient : « Daadi, on va tuer Hocine, débrouille toi, tu es responsable de son sort. » J’ai dit : « c’est lui, tuez le ». Hocine a pleuré. Il leur a avoué ce que j’avais dit. Mais c’est moi qui me suis enfin rétracté en avouant ne pas le connaître. Ils l’ont relâché. J’aurais aimé le retrouver après ma sortie pour m’excuser mais il avait menacé de me tuer s’il me voyait. J’ai donc préféré ne pas lui rendre visite.

En vain

Et la torture reprit : « où sont les armes ? » J’ai fini par dire qu’elles étaient dans la mosquée du Plateau . Ils y sont allés. Ils ont tout cassé mais ils n’ont rien trouvé. La torture est montée d’un cran. L’un d’entre eux a fini par dire : « Laissez le, il dit n’importe quoi » Ils m’ont laissé dans la cellule quelques jours puis m’ont monté au premier étage pour m’interroger. J’ai été entendu par un policier noir que je n’oublierai pas. Il a sorti son arme, il l’a plaquée sur mes tempes et a dit : « si on ne trouve pas les armes, je vais te tuer ! » Il a prétendu qu’ils avaient tué mon père, mon frère. Il m’a frappé sur le torse. Pendant deux ans j’ai gardé une douleur à cet endroit.

J’ai été redescendu au sous-sol. Il a répété : « je vais te tuer aujourd’hui. Enlève tes vêtements ». Zoubir el-Far est intervenu pour qu’il arrête. Ils m’ont remonté au premier étage pour continuer l’interrogatoire. Ila rédigé son rapport : nom, prénom, adresse, situation familiale, travail, etc. et je devais signer.

Douze jours plus tard ils m’ont transféré à un autre poste. Je ne sais pas où. J’avais les yeux bandés, j’ai été frappé sur la tête et au visage et jeté dans les escaliers. C’est en ce lieu que j’ai subi le plus de coups. J’ai été placé dans une cellule. Lorsque j’ai demandé où j’étais, on m’a dit au Central. Les cellules étaient grandes, bien éclairées mais très froides. J’étais mieux nourri qu’à Cavaignac. Un autre homme a été placé dans ma cellule Il racontait qu’il avait été au sous-sol . Il racontait. « Il y avait des hommes blessés par balle, on les entend souffrir, ils ne mangent pas, ils ne boivent pas » Il avait été arrêté à Jijel au maquis. Je l’ai revu plus tard á la prison d’El-Harrach.

Je suis resté 8 jours au central. Au 9 e jour, on m’a bandé les yeux et emmené je ne sais où. J’avais peur, il faisait froid, c’était le ramadhan. On m’a donné l’ordre de baisser la tête. J’avais l’impression de marcher dans un long couloir, j’entendais une machine faire tac-tac. J’ai été introduit dans un bureau. Je devais garder le bandeau sur le yeux, les menottes aux poignets, et pour la nième fois me sont posées les mêmes questions: nom ? prénom ? qui est ton père, qui sont tes frères, tes sours, sont elles mariées, noms des maris, où travaillent ces maris, leurs adresses, nom de ta femme, de ses frères et de ses sours, sont elles mariées, où habitent ces familles, etc. Combien de fois es tu sorti d’Algérie ? pour aller où, avec qui ? Quelles études as tu faites, où ? primaires ? secondaires, quel est ton travail ? quel est ton sport préféré, dans quel parti es tu organisé, fais tu la prière ? Combien d’oncles as tu, quels sont leurs noms ?, leur profession ? leurs adresses ? Combien de cousines as tu ? Quels sont leurs noms ? leurs adresses ? etc. Ces mêmes questions, toujours et toujours, sans fin.

Enfin, ils m’ont enlevé le bandeau mais interdit de lever la tête. J’ai vu que je me trouvais dans un bureau. Ils m’ont fait signer six ou sept papiers. Puis ils m’ont demandé si je connaissais la personne sur la photo qui se trouvait aux côtés de Abbassi Madani et Ali Benhadj. Oui, ai-je répondu, « c’est Abdelkader Fikayar ? C’est un homme qui m’a accusé de lui avoir falsifié un passeport. Or j’étais innocent. » En fait, Fikayar avait fait changer la photo de son passeport afin de ne plus être représenté avec la barbe, source de harcèlements quotidiens. Mais je n’étais pas impliqué dans cette falsification de documents.

On m’a posé des questions au sujet de Boualem Allioui que je ne connaissais pas. Puis à propos de Issa Akdif que je savais être en prison.

Ils m’ont ramené au sous-sol. J’ai été photographié de face et de profil, ils ont pris mes empreintes digitales, mesuré mes mains, mes pieds, mes oreilles et enfermé dans une cellule.

Au 10 e jour, j’ai été appelé, sorti de la cellule et mis dans des chaînes par deux personnes. Nous sommes sortis du bâtiment. Il pleuvait et il y avait du brouillard. Ils m’ont introduit dans un camion fermé, très sombre à l’intérieur. Il n’y avait que des policiers et moi. Le camion s’est rendu au tribunal Zighout Youcef. Une fois de plus j’ai été enfermé dans une cellule, j’étais sans chaussures, mes pieds et ma poitrine étaient brûlés, j’avais une barbe hirsute, ma chemise était déchirée, je sentais mauvais. On m’a monté au 5 e étage par des escaliers en bois, le passage était étroit, sombre et j’ai de nouveau été enfermé dans une cellule, menotté.

Enfin j’ai été présenté devant le juge d’instruction, dans la chambre n° 10, sans menottes. Le juge était un homme maigre, jaunâtre, portant des lunettes. Je lui ai tout de suite dit que j’avais été torturé. Il me répondit : « oui, oui ». Il a lu le rapport rédigé par la police. J’ai dit que je n’avais pas fait ces déclarations sur les accusations qu’il contenait (falsification de documents, appartenance à une organisation terroriste, etc.), je n’avais jamais été interrogé sur ces déclarations, j’avais seulement signé des feuilles de papier qui m’avaient été présentées.

– « oui, oui »

J’ai demandé á être examiné par un médecin.

– « après, après »

Il m’a demandé d’attendre dehors. Tout de suite, on m’a mis les menottes et fait entré dans un bureau où se trouvaient deux personnes. L’un avait mon age, l’autre 20 ans. Nous attendions et une ou deux heures plus tard, vers 16 h nous avons tous les trois été embarqués dans le même camion vers un endroit inconnu.

C’était le 7 mars 1993 à 17h30, un jour de ramadhan. Le camion s’est arrêté. J’ai demandé où on se trouvait et on m’a répondu la prison d’Alger (El-Harrach). On m’a sorti, enlevé les menottes, conduit dans un bureau. Tout m’a été enlevé sauf mon porte-feuille avec ma carte d’identité. Ils ont pris mon nom, mes empreintes et remis un billet d’écrou : Numéro 2262. J’ai été conduit par un gardien en uniforme bleu et muni d’un bâton vers une salle où j’ai été rasé puis, dans une autre grande salle où on m’a donné une couverture et une paillasse. On est passés par une grande porte, puis une seconde, puis une troisième. J’ai du marcher 700m, puis encore une porte, en fer, et enfin je suis arrivé dans une salle appelée al-Ghorba (l’exil), la salle n°4. Elle faisait environ 50x10m. Nous étions environ 150 personnes. Il y avait des lits superposés, les fenêtres n’avaient pas de vitre, il faisait donc très froid. Il y avait 4 toilettes et 7 robinets. Chaque salle avait sa cour de 30m 2 environ. Le soir, la porte était fermée et n’était plus ouverte jusqu’au matin quelque soit le problème rencontré par les prisonniers. Parmi nous il y avait aussi des prisonniers de droit commun. Les politiques étaient frappés par les gardiens et nous nous méfions des « droits communs » car parmi eux il y avait des mouchards. Nous avions droit a une douche tous les 15 jours et pour une durée de 3 à 4 minutes.

Libéré mais libre pour 10 mois à peine.

J’ai été libéré le 23 août 1993, le jour de mon jugement. En fait j’aurai du être libéré bien avant puisque j’avais été condamné à un an de sursis mais comme un deuxième mandat de dépôt était pendant, il a fallu que j’attende le second jugement au mois d’août pour bénéficier d’un non lieu et être mis en liberté. Fikayar a été libéré le jour suivant. Il a été exécuté sommairement en 1995 alors qu’il s’était réfugié chez sa famille à Meftah. Parce qu’en réalité, même si nous avions été libérés, les harcèlement et les poursuites continuaient. Je m’étais pour ma part réfugié dans un premier temps à Oued Chayah mais je n’y suis pas resté. Je me déplaçais entre différents domiciles familiaux. Je continuais à être considéré comme un « élément dangereux » et j’étais fiché dans les commissariats. J’étais sans arrêt arrêté, à chaque vérification de papiers dans la rue, on m’embarquait et je passais à chaque fois quelques heurs ou quelques jours en détention. En 1993 j’ai fait un voyage de deux mois en Suisse. A mon retour, j’ai été arrêté et emprisonné pendant 8 jours. De nouveau j’ai été torturé. Les policiers prétendaient que j’avais été en Allemagne pour rencontrer Rabah Kebir.

Le 13 juin 1994, alors que je me trouvais en voiture avec deux amis à Oued Chayah, des policiers des forces spéciales (ninja) nous ont arrêtés. J’ai reconnu quelques uns d’entre eux. L’un était de mon quartier. Il s’agit de Omar Miloudi qui au moment de mon départ d’Algérie en 2003 était brigadier chef au commissariat de Bab Ezzouar. Le second, Derraji, était en 2003 inspecteur de police au commissariat du 9 e et le troisième, Azzedine, était brigadier affecté au commissariat du 14 e . A l’endroit même de l’arrestation, deux policiers avaient été tués peu de temps avant. Ils m’ont fait descendre de la voiture. Ils ont prétendu que j’avais été au maquis. J’ai vraiment cru sur le moment qu’ils allaient me tuer. Quelques uns des policiers se sont rendus au magasin de Kamel Chiraf qui se trouvait tout près. Ils ont volé la caisse et ont démoli le local. Quant à moi, ils m’ont embarqué dans une 505 avec la caisse et m’ont emmené au commissariat de 25 e arrondissement (Badjarah). Les policiers m’ont enlevé la carte d’identité qu’ils ne m’ont jamais restituée.

J’ai d’abord attendu dans une salle, ma tête était recouverte, puis, ils m’ont de nouveau embarqué dans une voiture. Ils se sont arrêtés, ils m’ont fait entrer dans un bâtiment sous les coups et les insultes, j’entendais les échos dans le couloir, j’ai été jeté dans les escaliers, mon visage était toujours recouvert d’un chiffon et finalement ils m’ont attaché sur une table en me traitant de terroriste et de tueur. Ils m’ont détaché et emmené dans des toilettes pour m’y menotter. Le geôlier qui me surveillait me dit que si je me comportais calmement, j’allais être placé dans une cellule. C’est ce qui s’est passé. J’ai été jeté dans une cellule qui contenait déjà beaucoup de monde. C’est là que j’ai appris que j’étais à Hussein Dey. Nous avions tous des bandeaux que nous devions placer sur les yeux dès que la porte de la cellule s’ouvrait. C’est là que j’ai vu Youcef Djaafar qui est un ami. J’ai fait comme si je ne le connaissais pas parce que je craignais qu’il y ait des mouchards et que le fait de nous connaître puisse avoir des répercussions sur nous. Lui, s’est adressé à moi en me disant, »mais on se connaît », Je n’ai pas réagi. Quelques 30 minutes plus tard, les deux policiers, Omar Miloudi et Derradji l’ont fait sortir de la cellule et on ne l’a plus jamais revu. Il compte depuis parmi les disparus.

J’ai passé 43 jours à Hussein Dey et j’ai perdu 14 kg. Les conditions dans la cellule étaient déplorables, inhumaines. Nous avons tous été torturés. Le commissariat avait une salle de torture. J’ai de nouveau subi le supplice au chiffon, la falaqa, les brûlures au chalumeau et bien sûr les coups de bâtons. Heureusement que j’y ai rencontré quelqu’un de mon quartier qui allait être libéré et je l’ai prié de prévenir ma famille de l’endroit où je me trouvais. Ils ne savaient rien sur mon sort et je n’avais pas été enregistré sur le registre du commissariat, c’est à dire qu’il n’y avait aucune preuve formelle que je me trouvais à cet endroit. Finalement j’ai été libéré le 25 juillet 1994 après 43 jours de détention au secret. J’ai eu une chance inouïe qu’il y ait eu un changement de commissaire.

Harcèlements continus

Me voilà donc de nouveau en « liberté ». Je décidais d’aller en Syrie pour fuir ce harcèlement permanent. J’y ai passé 3 ans. Mais à mon retour en Algérie, j’ai de nouveau été arrêté dès mon arrivée à l’aéroport et été embarqué au Central. Là, une fois de plus, j’ai été torturé et cuisiné sur mes contacts et mes activités en Syrie. De là j’ai été emmené dans un coffre de voiture à Ben Aknoun, dans une vieille villa où j’ai été placé dans une cellule propre comportant un lit. J’ai été très bien traité. Pendant trois jours j’ai passé des entretiens avec des officiers qui étaient corrects. Ils voulaient savoir ce que je pensais, discuter de la situation dans le pays et dans le monde. Au bout de ces trois jours, j’ai de nouveau été enfermé dans ce coffre et transporté au Central pour être libéré peu après.

Mais mes problèmes ne devaient pas s’arrêter pour autant. Régulièrement j’étais convoqué à différents commissariats et gendarmeries. Quand une bombe explosait, il était possible que la police ou la gendarmerie me fasse venir pour me garder quelques heures et me questionner à propos des auteurs de cet attentat. Les forces de sécurité continuaient à me considérer comme un suspect. A chaque interrogatoire, on m’accusait d’avoir été au maquis ce qui était absurde puisqu’ils savaient toujours où je me trouvais. Ce n’est que grâce à l’aide d’amis que j’ai pu travailler et subvenir aux besoins de ma famille parce que je ne pouvais plus trouver d’emploi dans la fonction publique et même dans le privé, dès que mon passé était connu, on me congédiait. Je réussis à ouvrir une agence immobilière au nom de ma femme, mais tout de suite j’ai été convoqué et questionné au sujet de la provenance des fonds. Je ne pouvais pas mener une vie normale, on ne m’en laissait pas la possibilité.

Et quand en 2003, peu avant la libération de Ali Benhadj, des agents du DRS se sont présentés à mon domicile sans me trouver, des amis m’ont conseillé de quitter l’Algérie. Tant que les harcèlements provenaient de la police, il y avait moyen de me sortir de leurs griffes mais à partir du moment où il s’agissait du DRS, nous étions impuissants. En réalité j’aurai voulu retourner en Syrie mais la guerre contre l’Irak avait commencé et je craignais que cela puisse avoir des répercussions sur ma situation. J’ai donc décidé de fuir vers la Suisse. J’y suis depuis 2003. Il a fallu que je suive un traitement pour me soigner des séquelles des tortures tant sur le plan psychologique que physique. Je continuais de souffrir de douleurs et de saignements conséquences de la sodomisation que j’avais subie en 1993. Une intervention chirurgicale a été nécessaire en 2005.

Je commence à peine à émerger, à ne plus faire quotidiennement des cauchemars. Mais j’espère avec l’aide de Dieu que ce régime de tortionnaires s’écroulera bientôt. Ils prétendent vouloir instaurer le pardon avec leur loi sur la réconciliation nationale mais que pouvons pardonner ? Ils ont brisé ma vie et celle de mon épouse, ils ont perturbé celle de ma famille et de mes enfants, ils ont enlevé mon oncle, Mouloud Daadi, en 1995 et qui depuis a disparu. Il faut d’abord qu’ils reconnaissent les violences qu’ils nous ont faites subir, ils faut que les responsables soient jugés et ensuite, peut-être, pourrons nous pardonner.

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guerriere de la lumière 23 octobre 2011 - 14h51

Je remercie vivement Monsieur Seddik Daadi et Monsieur Kerkadi Ahcène pour ces témoignages pénibles et poignants.
C’est un devoir de mémoires pour tous ceux qui nous ont quitté.
Que dire? C’est triste, c’est horrible, inhumain … tous les mots ne pourront exprimés les vraix maux que ces innocents ont subit, juste parcesqu’ils ont un jour voté FIS!

Je suis convaincue que les commanditaires des années noires ne s’en sortiront pas indemnes, car JAMAIS UN CRIME N’EST PARFAIS! ET JAMAIS UN CRIME NE RESTE IMPUNIS.

Le jour finira par se lever, car le cri strident d’une mère dont le fils a été tué ou torturé a déchiré les cieux et à briser à tout jamais la nuit!

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Meziane Ivichvich 23 octobre 2011 - 15h13

Il y a qu’un seul terroriste c’est l’Etat-DRS avec ses hordes sanguinaires qui ont massacré des centaines de milliers d’algériens!
Crimes imprescriptibles et impardonnables!

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brahmi16 23 octobre 2011 - 23h42

Mais tous ces bourreaux ,aujourd hui, que sont ils devenus? Pourquoi n’ ont ils pas des remords?pourquoi ne parlent ils pas pour soulager leur conscience, Sont il a ce point devenus des betes sauvages? N’ont ils pas une famille ?des enfants? des epouses? des peres ?des mères?Preferent ils que toutes leurs nuits soient hantées par leur victime?Preferent ils garder toute leur vie un comportement paranoiaque et schizophrene? Peuvent ils donner a leurs enfants de l amour et une bonne education?

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omar 24 octobre 2011 - 13h45

Ilest vrai que les services ont commis l’innomable sur d’honnetes citoyens que la torture a été pratiquée àv grande echelle. Sur ça tout le monde est d’accord. Les responsables des actes de tortures ainsi que tous leur superieurs hierarchiques doivent repondre de leurs actes ignobles.
Il faut aussi parler et denoncer les responsables de l’autres bord à savoir les islamistes armés qui ont supplicié , violé , eventré et torturé de la façon la plus inhumaine de simples apelés du contingent ou de flic arretés dans un faux barrage.
Ce n’est peut etre pas le propos ici , mais il faut le dire eux aussi ont commis l’ignoble et l’innomable .
Fasse Dieu que tout ça ne se reproduise plus en cette terre tant arrosée du sang des inocents

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BRAHIM 24 octobre 2011 - 15h41

OH, @omar mon fils, je m’excuse mai tu as dis ….une connerie monumentale. Tu as tout faux car il n’y a QUE l’armée et le Drs qui ont assassiné, torturé ou exécuté. Non,Monsieur @omar les islamistes du FIS ne tuent pas, ne torturent pas et n’égorgent pas Mouhale oua abaddene ! D’ailleurs tu veux que je te donne une preuve irréfutable : ils sont croyants musulmans et un croyant musulman a peur de Dieu (ikhafou mine Allah itahalla)

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Omar 24 octobre 2011 - 18h17

Non Mr brahim , je ne sais pas si je peux etre votre fils , j’ai depassé la cinquantaine et des islamistes violents et sanguibaires j’en ai vu de mes propres yeux.
J’etais présent lorsqu’ils ont assassiné Kamel Amzal à la cité universitaire de Benaknoun en 82
Je ne rentrerais pas dans un debats philosophique
car il est biaisé dés le depart. Que les islamistes qui tuent soient du FIS ou d’un tout autre parti il est par contre incontestable qu’il tuentet par conviction .Convaincus qu’ils font actes de salubrité publique en tuant des mecreant qui les empechent d’instaurer tout de suite ce qu’ils croient etre la republique ideale.
Les islamistes tuent.Sinon comment expliquez vous que 7000 d’entre eux ont deposé les armes . croyez vous qu’ils etaient en villegiature dans les maquis?
Maintenant si vous dites que Mezrag , Benaicha et consorts ne sont pas des islamistes c’est a eux qui’il faut dire qu’ils sont dans le faux .
WA SALAM

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Aomar 24 octobre 2011 - 18h43

Je voudrais faire un appel a la redaction de LQA d’inviter toute personne ayant ete directement torture de s’exprimer sur ces colonnes.Nous sommes des milliers de survivants de la torture en Algerie qui pourraient activement entrainer le jugement international de tout les generaux algeriens sans exception.Nous devons trouver les moyens mediatiques susceptibles de relayer nos temoignages.
Concernant l’intervenant OMAR,je dirais qu’accuser des islamistes de cette torture a grande echelle n’est que ridicule.Revoyez vos prejugements car il est temps pour chacun de montrer consideration et honnetete,si vraiment nous aspirons a une unite nationale.

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