Hommage à un juste : Hadj Ahmed Fellague Ariouat l’Asnami
(par Youcef l'Asnami)
« Allah yerhmou. Il vivait à Wickliffe, Ohio, USA. Je l’ai rencontré là-bas quand j’étais étudiant. Dès qu’il a su, par l’intermédiaire d’un ami, que j’étais d’El asnam, il n’a pas cessé de m’inviter chez lui à chaque occasion qui se présentait. C’était un homme très gentil, humble serviable. Il aimait beaucoup les gens. Il tenait beaucoup à ses obligations religieuses ».
C’est un des multiples témoignages de ceux qui ont connu mon oncle maternel Hadj Ahmed Fellague, fils de Hadj Mansour, décédé le 20 septembre dernier dans un hôpital américain à la suite d’une longue maladie à l’âge de 93 ans.
Hadj Ahmed était un homme pieux, discret et d’une grande culture. Polyglotte, il parlait couramment au moins quatre langues.
Il a quitté El-Asnam à la fin de la seconde guerre mondiale en faisant la connaissance d’un GI’S débarqué dans cette ville suite à l’opération Torch de novembre 1942.
Arrivé aux USA âgé d’une vingtaine d’années, il s’est rapidement adapté à son nouvel environnement et s’est investi principalement dans l’enseignement de l’histoire et du français. Il a alors connu sa femme Janet avec qui il a eu deux enfants (Leif et Kheira). Il a perdu sa femme subitement le 10 novembre 2012 et s’est retrouvé veuf à l’âge de 85 ans. Elle avait alors 78 ans. L’affection qu’il avait pour cette femme était sans limite. Il m’en parlait des heures au téléphone me rappelant son humanisme, sa générosité, son bénévolat au Lake West Medical Center pendant des années, sa modestie et les valeurs auxquelles elle croyait. Et très souvent la conversation se finissait par une grande émotion quand les souvenirs remontaient à la surface.
Très récemment, Gretchen Harnick, une stratège commerciale mondiale spécialisée dans la mode, la beauté et le bien-être rendit hommage à mon oncle qui lui a appris la langue française dont elle avait besoin pour ses activités professionnelles.
On s’appelait souvent au téléphone. On y restait des heures. Lorsque c’est moi qui l’appelais, il me demandait de suite de raccrocher et qu’il me rappelle pour m’éviter les frais de la communication. Il aimait avoir des nouvelles de la famille, du pays et des amis qu’il a connus. Comme il aimait me raconter la vie aux USA, l’immensité de leur territoire, la liberté d’expression, le respect des cultes religieux, leur puissance mondiale… Il faisait partie du staff chargé de la gestion d’une des mosquées de Cleveland dans l’Ohio et participait activement aux débats de l’Islamic Center of Cleveland en publiant notamment dans le journal local Plain Dealer.
Je me souviens de la joie qu’il a manifestée lorsque je lui ai raconté qu’un arrêt de bus a été baptisé au nom de mon grand-père Hadj Mansour juste en face de sa boutique. Il avait une admiration extraordinaire pour son père en particulier pour sa sagesse et sa piété.
En novembre 2016, lorsque Trump a remporté les élections présidentielles aux USA, je lui ai fait part de ma surprise et mon écœurement qu’une aussi grande puissance puisse élire un tel guignol. Sa réponse fut brève : « Les élections aux USA sont d’abord une histoire d’argent et de lobbys ».
Dans nos échanges sur différents sujets, il me citait souvent Montesquieu et lui attribuait cette citation quand il visitait un pays et demandait à ses citoyens « Ne me dites pas si vous avez des lois. Dites-moi si elles sont appliquées » phrase dont je n’ai jamais pu vérifier l’authenticité.
Il me rappelait également souvent la fameuse citation d’Abraham Lincoln « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »
Sa connaissance de l’histoire de l’Islam et son expansion au Maghreb était époustouflante. J’ai regretté de ne pas l’avoir enregistré lorsqu’il m’a raconté en menu détail les circonstances de la mort de Okba Ibn Naffaâ dans les environs de Biskra.
Il y a une dizaine d’années je lui proposais d’ouvrir un compte facebook pour suivre l’actualité du pays et en particulier d’El-Asnam. Je me souviens qu’il avait rigoler aux éclats.
Jusqu’à la fin des années 70, Hadj Ahmed avait comme habitude de venir en moyenne tous les quatre ans nous rendre visite à El-Asnam avec plein de cadeaux américains. Je me rappelle d’un jour où il avait emprunté une voiture qui a crevé. Himala mon oncle Ahmed était fou de rage car il n’y avait pas de vulcanisateur à proximité. Je me souviens qu’il m’avait grondé car, très jeune (j’avais 10 ans ??) je souriais en le voyant en colère. Il était dans tous ses états.
Il en profitait pour ces visites pour se rendre en Espagne afin d’écrire des articles sur la civilisation arabo islamique.
Parmi les amis qu’il voyait à El-Asnam figuraient les patriarches Cheikh Djazouli et Cheikh El-Mehdi, deux amis inséparables, monuments historiques de la ville d’El-Asnam, formés à l’école normale de Bouzaréah, ils ont participé à l’éducation de générations entières d’Asnamis comme instituteurs et comme directeur d’école.
En juillet 1991, mon oncle Ahmed invita ma mère à venir passer quelques jours chez lui.
Illettrée – elle fait partie de celles qui n’ont pas profité de « l’œuvre civilisatrice de la France »- , ne parlant ni français ni anglais, et prenant l’avion pour la première fois de sa courte vie, mon oncle lui a établi un aide-mémoire en anglais sur une page où il explique dans le menu détail ce que voudrait faire ma mère avec leurs coordonnées respectives. Je me rappelle que cette page a été soigneusement mise dans une pochette plastique que l’on a attachée autour de son cou avec une ficelle en insistant bien sur le fait qu’elle doit la présenter chaque fois qu’on lui pose une question au niveau des services douaniers. Elle devait transiter par la Suisse. Et ça a marché !!
Après un séjour d’un mois aux USA, elle est revenue avec plein de cadeaux pour ses enfants et petits-enfants.
– Alors Emma, que pense tu des USA ?
– Enka ya Wlidi, Enka ! Enka wa Enidham « la propreté mon fils, la propreté et l’organisation de leur société »
– Pourtant c’est un pays impérialiste !
– ……..
Ma mère était, comme beaucoup de mères, apolitique. Quand on est veuve à 42 ans avec 10 enfants à élever dans des conditions difficiles, on a autre chose à faire que d’analyser ce qui se passe dans le monde.
Elle est revenue aussi avec un album photo d’une soixantaine de prises que j’ai le privilège de garder. Mon oncle lui a fait découvrir les grands lacs, les grandes villes américaines, des mosquées…
Un voyage qui est resté gravé dans l’esprit de ses enfants et ses petits-enfants.
El Hadj Ahmed nous a quittés laissant derrière lui une Amérique tourmentée et une Algérie qui sombre dans l’incertitude quant à son avenir. Allah Yerhmou ou yerham tous nos proches. C’est à Dieu que nous sommes et c’est à Lui que nous retournons.