ÉDITORIAL
Le Monde
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Editorial. Si le oui l’emporté lors du référendum constitutionnel, le boycott massif des électeurs est un camouflet pour le régime et peut redonner un souffle au mouvement de protestation spontané et pacifique contre le système.
Publié aujourd’hui à 11h20, mis à jour à 13h39
Editorial du « Monde ». Fiasco électoral mais potentielle bonne nouvelle pour la démocratie. Le bilan du référendum constitutionnel organisé dimanche 1er novembre en Algérie tient dans ce paradoxe. Pour un régime à bout de souffle qui espérait se relégitimer, le boycott massif des électeurs constitue un camouflet.
Mais, pour les militants du Hirak, ce mouvement de protestation spontané et pacifique contre le système, qui appelaient à déserter les bureaux de vote, le fait que seuls 23 % des Algériens soient allés voter – le taux de participation le plus faible depuis l’indépendance, en 1962 – apparaît comme une revanche aussi silencieuse qu’éclatante. Certes, le oui l’a emporté à 66,8 %, mais le refus des trois quarts des Algériens de participer au référendum dit l’ampleur du rejet populaire dont fait l’objet l’initiative du président Abdelmadjid Tebboune.Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Algérie, le référendum constitutionnel approuvé, mais boycotté par la population
La simple reconnaissance par les autorités du taux de participation calamiteux ressemble à un tournant, dans un pays où les statistiques électorales semblent souvent provenir davantage de conclaves de généraux que des urnes. Cette transparence inhabituelle constitue une première victoire pour le Hirak. Le pouvoir, qui pensait contourner l’obstacle de la contestation de rue, déjà mise en veilleuse pour cause de Covid-19, sort en réalité fragilisé du référendum et contraint d’admettre son propre déficit de légitimité. Les vidéos des bureaux de vote déserts, diffusées sur les réseaux sociaux, ne lui laissent pas le choix.
Un immense défi
Le scrutin sonne comme un retour aux fondamentaux du Hirak, d’autant que le président Tebboune, hospitalisé en Allemagne probablement pour avoir contracté le Covid-19, n’était même pas présent en Algérie le jour du vote, ce 1er novembre hautement symbolique marquant l’anniversaire de l’insurrection de 1954 contre la colonisation française. Jamais, depuis l’indépendance, le système algérien, où les militaires tirent dans l’ombre les ficelles du pouvoir, ne s’est autant trouvé sur la défensive.Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Algérie, le pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune traversé de contradictions
Derrière l’apparente impasse politique, l’opposition démocratique se trouve face à un immense défi. Les animateurs du Hirak, tétanisés par les cuisantes expériences du passé où le pouvoir avait réussi à réduire au silence ou à phagocyter les leaders des mouvements de contestation, refusent jusqu’à présent toute structuration verticale et s’interdisent de désigner des représentants. Or ils viennent de mettre le pouvoir devant la nécessité de négocier avec eux, ce qui suppose une forme de délégation.
Un risque de pourrissement
Pareille ouverture constituerait un progrès décisif dans un pays aux potentialités immenses, mais bloqué depuis des décennies par une oligarchie arc-boutée sur la rente pétrolière. Si le régime prolongeait au contraire l’impasse, le risque de pourrissement serait grand, notamment en Kabylie, où peu d’électeurs se sont présentés dimanche dans certains bureaux de vote. Quant aux islamistes, ils ont certes perdu une partie de leur influence, mais ils ont joué, eux, le jeu du référendum et restent en embuscade dans l’espoir d’être associés un jour au pouvoir.
Dans ce contexte incertain, la réflexion engagée dans la mouvance du Hirak sur les moyens de dépasser le « rejet du système » pour parvenir à « une transition démocratique réelle » apparaît pleine d’espoir. Le fiasco du référendum du 1er novembre donne aux leaders de la contestation la lourde responsabilité de trouver les modes d’organisation les plus à même de pousser leurs revendications démocratiques. Au régime, il impose d’abandonner toute fuite dans la répression pour engager d’urgence le dialogue.