Tahar Khalfoune
Comme si la répression tous azimuts ne suffisait pas, le régime militaire à habillage civile renoue avec les manœuvres de division tantôt sournoises et tantôt ouvertes qu’il affectionne depuis 1962, particulièrement dans des moments de crises qui l’ont régulièrement secoué, visant à diviser les Algériens rassemblés plus que jamais par le hirak dans l’unité de l’action et le respect des différences. La jeune nation algérienne a connu deux moments historiquement fondateurs.
Le premier est de toute évidence la guerre d’indépendance préparée d’abord par plus d’une quarantaine d’insurrections depuis 1830 jusqu’aux dernières révoltes du désespoir, celle du village de Tizi Ouchir ex-Margueritte en 1902 dans la région de Ain Defla et celle de Belezma dans les Aurès en 1916, précurseurs du grand soulèvement du 8 mai 1945 et la guerre d’indépendance. Puis le mouvement nationaliste algérien résolument politique, en rupture avec la stratégie insurrectionnelle violente d’avant, né au milieu des années 1920 dans la diversité de ses courants politiques et idéologiques, notamment son aile radicale (ENA, PPA, MTLD, OS, CRUA, FLN).
Dans la douleur et après de lourds sacrifices, la guerre d’Algérie a cimenté l’unité du peuple et lui a permis de recouvrer son indépendance. Le second moment politique fort, consolidant cette construction, est incontestablement le hirak qui a réussi à fédérer les Algériens dans leur grande diversité en revivifiant singulièrement le lien national. La recherche effrénée de l’homogénéité au point d’effacer toute différence est une approche qui renvoie à l’expérience française et à la conception de l’abbé Grégoire de construction de la nation, imitée jusqu’à la caricature par les dirigeants nationalistes arabes qui ont imposé aux peuples qu’ils dirigent une assimilation radicale à la norme sacro-culturaliste.
L’homogénéisation forcée par des politiques normatives d’uniformisation est une idée dangereuse parce que les différences politiques, cultuelles culturelles et linguistiques… sont consubstantielles à toute vie en société. La diversité est le sel et le sucre de la communauté des hommes. Depuis son déclenchement en février 2019 tout converge et tout concourt dans toutes les actions, banderoles, pancartes, mots d’ordre… pour faire nation, en ce sens que le hirak construit des ponts là où le régime a édifié des murs afin de diviser les Algériens pour mieux les dominer. Il n’a cessé d’œuvrer à la fragilisation du lien national, alors que le mouvement citoyen agit au contraire au rapprochement, à la solidarité, et la longévité du hirak a permis à la société de dialoguer, de retisser et de resserrer ses liens. Les manœuvres de division, de provocation et de récupération du hirak n’ont pas manqué tout au long de ce soulèvement, mais elles ont fait long feu grâce à la vigilance des Algériens.
Les dirigeants d’hier et d’aujourd’hui n’ont jamais perdu de vue que le régime autoritaire est né des divisions de l’armée des maquis suscitées par les chefs de l’armée des casernes dès avant 1962 et de la faiblesse de la société algérienne sortie exsangue d’une guerre sanglante de près de huit années de luttes. Il s’est ossifié et a prospéré depuis par la propagande, la répression et les divisions artificielles qu’il attise dès qu’il est contesté et se sent menacé. Aujourd’hui encore force est de constater qu’il entend s’imposer, au mépris de la volonté des Algériens, par la répression, la propagande et les divisions qu’il tente de susciter.
Ainsi la jeune nation algérienne en évolution constante se conjugue aux trois temps : le passé récent et lointain empreint de luttes pour l’émancipation des Algériens sur leur terre, le présent marqué par le consentement actuel et les luttes pacifiques pour un changement de mode de gouvernance, et le futur puisque les Algériens plébiscitent tous les jours le désir de vivre ensemble, selon le mot d’Ernest Renan, autour non pas de projets et encore moins de programmes politiques communs, mais d’un socle commun de valeurs qui assoit et consolide l’unité dans la diversité. Par conséquent, la nation exprime ici l’idée de continuité entre ces trois temps complémentaires qui ont d’abord donné naissance au sentiment national au début du XXe siècle, puis l’ont cimenté au fil du temps et que le hirak consolide enfin chaque jour un peu plus.
Tahar Khalfoune
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