Un grand nombre d’Algériens ne renieraient pas le slogan : « Avec la Palestine, qu’elle ait tort ou raison », lancé par l’ancien président Houari Boumédiène. Mais ils sont désormais sans voix, mal représentés par un pouvoir frileux qui ne pèse plus sur la scène internationale.
LAKHDAR BENCHIBA > 6 FÉVRIER 2024
https://orientxxi.info/magazine/
Le président palestinien Mahmoud Abbas (2e à gauche) rencontrant le président algérien Abdelmadjid Tebboune (2e à droite) et le chef du Hamas Ismail Haniyeh (à droite) lors du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 2022 à Alger.
Thaer Ghanaim/PPO/AFP
Alger, ville où l’Etat de Palestine a été proclamé le 15 novembre 1988. Alger la « Mecque des révolutionnaires », selon la formule du leader indépendantiste de Guinée-Bissao Amilcar Cabral rappelée régulièrement, non sans nostalgie. Mais la ville blanche est condamnée au silence depuis le début de la guerre génocidaire sur Gaza, et l’intensification de la colonisation et de la répression en Cisjordanie.
Dans « l’Algérie nouvelle », slogan du régime censé le différencier de l’ère Bouteflika (de 1999 à 2019), les autorités ont rétabli de fait l’interdiction absolue de manifester qui avait été décrétée par un simple communiqué du gouvernement de la présumée « vieille Algérie » en 2001, après qu’une manifestation dans la capitale ait tourné à l’émeute.
Déstabilisé par le caractère non-violent des manifestations du Hirak entamées le 19 février 2019 et ayant conduit à la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le régime a profité de la cessation des manifestations pour cause de Covid en mars 2020 pour se lancer dans une répression tous azimuts.
PAS DE MARCHE EN SOLIDARITÉ
Sans aucune gêne, les autorités ont mobilisé l’appareil judiciaire pour étouffer toutes les libertés, à commencer par le droit de manifester. « L’espace civique a été si sévèrement restreint par les autorités que même les quelques libertés acquises depuis les années 1990 ont été annihilées », souligne Ziad Abdel Tawab, vice-président de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, cité par Human Rights Watch.
Le 13 octobre 2023, alors que la guerre sur Gaza tourne déjà au grand carnage, des tentatives de marche de soutien aux Palestiniens sont réprimées sans ménagement, le pouvoir excipant de son soutien à la cause palestinienne pour laisser entendre qu’il n’y avait pas besoin de manifester. Mais la frustration et l’exaspération sont perceptibles sur les réseaux sociaux, où l’on ne se prive pas de relever qu’au Maroc, pays qui a normalisé ses relations avec Israël, d’imposantes manifestations ont pu avoir lieu.
Abderrezak Makri, ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) proche des Frères musulmans a pour sa part appelé à manifester mais s’est fait embarquer par les forces de l’ordre. Dans une vidéo, il s’insurge contre cette interdiction de manifester pour la Palestine qui va, selon ses mots, « à l’encontre des valeurs algériennes ». Il invite aussi le pouvoir à organiser lui-même les manifestations : « Sortez et on sera derrière vous ! On ne cherche pas le leadership sur le dos de la noble cause palestinienne ! » L’appel est entendu, et le 19 octobre 2023, des manifestations fermement encadrées mais néanmoins très suivies par des Algériens voulant marquer leur solidarité avec Gaza, sont organisées dans tout le pays. Mais il n’y en aura pas d’autres.
UN APPUI SANS CONSISTANCE
Neuf jours plus tard, Makri publie un message amer sur X (anciennement Twitter) :
Les peuples manifestent actuellement dans les différentes villes du monde en cette nuit terrible où les gens de Gaza sont exterminés, et où des héros se sacrifient pour leur pays et pour Al-Aqsa… Et voilà notre capitale silencieuse, soumise, le régime a réussi à apprivoiser tout le monde, félicitations !
L’islamiste Abderrazak Makri, également secrétaire général du Kuala Lumpur Forum for Civilizational Thought1 et candidat putatif à la présidentielle algérienne de décembre 2024, est loin d’être un opposant radical. Il découvre néanmoins le 28 novembre 2023 qu’il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national (ISTN), la nouvelle arme utilisée, souvent en dehors des règles du droit, pour empêcher les opposants de quitter le pays.
Sur son site internet, il impute cette « agression officielle » à son soutien à la cause palestinienne. Ce n’est sans doute pas la seule raison, mais le sujet palestinien est sans aucun doute source de malaise pour le régime. Officiellement, l’Algérie ne transige pas : le Hamas est un mouvement palestinien de résistance nationale légitime face à l’occupation, et le pays rejette toute normalisation avec Israël. Mais dans les faits, au-delà des tentatives – vaines – de ressouder les liens entre le Fatah et le Hamas, et le paiement régulier d’une contribution financière à l’Autorité palestinienne, le soutien de l’Algérie est sans consistance.
UNE AURA PERDUE
Sur les réseaux sociaux, restés de fait le seul espace d’expression relativement libre, beaucoup d’Algériens ne sont pas surpris de voir que c’est l’Afrique du Sud et non leur pays qui saisit la Cour Internationale de justice (CIJ) en raison du génocide en cours à Gaza. Si les compétences pour mener une telle saisine ne manquent pas, l’Algérie a néanmoins perdu de son aura politique au niveau international. La « Mecque des révolutionnaires » a cessé d’être la grande référence du tiers-monde2.
Pour beaucoup d’Algériens, la cause est entendue : si l’Afrique du Sud « ose » porter la cause palestinienne devant la CIJ, cela tient fondamentalement au fait qu’elle est une démocratie incontestable, capable d’agir en conformité avec son histoire, sans tenir compte des réprobations américaines et occidentales.
Tout comme d’autres régimes dits « progressistes » du monde arabe, supplantés par les monarchies au sein de la Ligue arabe, Alger a raté une sortie par le haut du système autoritaire mis en place à l’indépendance. Le décalage entre les grandes ambitions de la révolution algérienne et la terne réalité d’un régime autoritaire était déjà béant avec les émeutes de la jeunesse d’octobre 1988 ; il est devenu abyssal avec la guerre civile des années 1990. Durant cette période de repli, l’action politique à l’extérieur s’est limitée à essayer de sauver l’image passablement dégradée du régime, tandis que la question du Sahara occidental devenait plus que jamais l’axe central de la diplomatie, supplantant de fait la cause palestinienne.
Choisi par les militaires en 1999, notamment pour redorer l’image de l’Algérie à l’étranger, Bouteflika voyage beaucoup, parle beaucoup. Mais l’effet retombe vite. À partir de 2012, le pays est devenu aphone avec un président malade, incapable de s’exprimer et maintenu au pouvoir contre le bon sens. Cette période de grande déprime accentue l’absence de l’Algérie au plan international. Le pays revient sur le devant de la scène en 2019 avec le Hirak, tranchant par son pacifisme avec une tradition de contestation violente. Cependant, l’opportunité d’opérer un changement réel est rejetée par les élites au pouvoir.
Même si les médias mis au pas brodent sur le « grand retour de l’Algérie » sur la scène internationale, les revers diplomatiques s’accumulent : candidature rejetée pour l’adhésion au groupe des BRICS3 malgré un périple du président Abdelmadjid Tebboune à Moscou et Pékin, échec du bras de fer engagé durant 19 mois avec Madrid après l’alignement de Pedro Sanchez sur le Maroc sur la question du Sahara Occidental, relations devenues difficiles avec les voisins du Sahel, le Mali et le Niger…
DERRIÈRE L’EMPHASE, LE PROFIL BAS
Le régime algérien navigue à vue entre la Russie, la Chine et les États-Unis sans qu’aucune vision n’émerge. La volonté de ne pas s’aliéner Washington est, au-delà des discours nationalistes à consommation interne, d’autant plus évidente que le lobby pro-israélien favorable au Maroc peut causer de sérieuses nuisances. Beaucoup s’étonnent aussi des balades dans le pays très médiatisées sur les réseaux sociaux de l’ambassadrice américaine alors que Gaza est sous les bombes.
Il s’agit de ne pas faire de vagues vis-à-vis des États-Unis, surtout que l’allié russe présumé n’a pas évité à l’Algérie la déconvenue du rejet de sa demande d’adhésion aux BRICS. L’échec a été d’autant plus ressenti par le pouvoir que l’adhésion, considérée comme acquise, a été présentée par les médias du régime comme la « confirmation » du grand retour de l’Algérie sur la scène internationale. « L’allié » russe maintient au demeurant de bonnes relations – notamment commerciales – avec le Maroc. Il apporte également un appui concret, via le groupe Wagner, à la junte militaire au Mali, dont les rapports se sont grandement dégradés avec l’Algérie4.
Le géographe Ali Bensaad souligne dans un billet de blog5 le rôle des Émirats arabes unis dans les difficultés que connaît l’Algérie avec ses voisins du Sahel. Selon lui, Abou Dhabi alimente un « nouveau front militaire » au Sahel où l’influence algérienne est en « net recul », le but étant « d’ouvrir la voie à une reconfiguration des alliances notamment au profit du Maroc et d’Israël ».
Il n’est pas surprenant dès lors que, sur la question palestinienne, c’est le profil bas qui domine. Khaled Satour, juriste au regard critique, relevait sur son blog que l’Algérie s’est abstenue au Conseil de sécurité sur la résolution soumise le 10 janvier 2024 par les États-Unis pour légitimer les attaques contre les houthis, dont l’action à haut risque s’avère être le soutien le plus concret aux Palestiniens à Gaza. Il souligne :
L’intervention [du représentant de l’Algérie] a été d’une inconsistance remarquable, usant de circonlocutions « diplomatiques » à peine compréhensibles pour exprimer sa désapprobation de la coalition militaire montée avec dix autres pays par les États-Unis contre le mouvement yéménite, en évitant soigneusement d’évoquer la situation à Gaza ; et qui s’est contentée d’une abstention alors qu’un vote négatif, s’il n’empêchait pas l’adoption de la résolution, aurait du moins signifié une opposition politiquement significative.
Le journaliste Nadjib Belhimer note aussi sur sa page Facebook qu’un vote négatif de l’Algérie n’aurait pas eu d’incidences mais « qu’il a un coût politique que les autorités algériennes ne sont pas prêtes ou capables d’assumer ». Le vrai problème, souligne-t-il, est le fossé entre un discours officiel à consommation interne qui met la barre haut et la réalité : « Pour la millième fois : arrêtez la propagande qui ne sert à rien et retrouvez la vertu de vos anciens qui agissaient beaucoup et parlaient peu ».
Au lendemain des brillantes plaidoiries sud-africaines à la CIJ, l’écrivain Amin Khan a écrit sur sa page Facebook :
Hier, l’Algérie combattante a été décisive dans la libération de l’Afrique sous domination coloniale. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud est décisive dans la libération du peuple palestinien et des autres peuples de la Région sous domination coloniale ou néocoloniale.
En résumé, Alger fut, Pretoria est.
1 comment
oh ces arabes! si ils prennent seulement l exemple des pays occidentaux comme ils soutiennent l ukraine! en fait on est des batards pas des arabes, quand il s agit d un pays arabe en difficulté ils disent il doit arracher sa liberté mais comme il s agit d un pays occidental t as tous les loups qu ils l aident, bref j ai honte d appartenir a cette nation qui accepten que son pauple soit massacré.