Il est des évènements, dans la pratique politique algérienne, qui peuvent sembler périphériques, mais qui permettent pourtant, en ces temps de black-out intégral, de faire des lectures intéressantes.
Ainsi, et alors qu’elle avait été interdite, non seulement par la direction du FLN, mais aussi par l’administration, la conférence des « Redresseurs » du FLN fut autorisée, soudainement et sans crier gare, par le ministre de l’intérieur lui-même.
Branle-bas de combat au sein de ce parti. Belkhadem, son « patron », refusa de s’y plier, et, dit-on, remua ciel et terre pour faire annuler cette décision. Peine perdue. Toutes les lignes étaient occupées.
L’autorisation fut maintenue, et les « Redresseurs » purent se réunir, à Draria. Ils furent plus de 500 délégués, venus de tout le pays, à s’y rendre. Entre autres nombreuses personnalités qui pèsent, la présence du Général à la retraite Abdelmadjid Chérif a été signalée. Elle signifie, à elle seule, que le rapport des forces a réellement basculé. Bien côté auprès de ses pairs, beau-frère du président Zeroual, homme d’affaires avisé et fin tacticien, cet homme a toujours joué gagnant-gagnant. Il est un thermomètre à lui seul, pour ne s’être jamais allié à qui n’a pas 100% de chance de remporter la mise. A 99,99%, il ne s’engage pas ouvertement. C’est dire.
Belkhadem tenta désespérément de faire capoter la rencontre, en appelant personnellement des redresseurs parmi les plus influents, pour essayer de les diviser, et peut-être même pour les débaucher, en leur proposant des alternatives individuelles. Rien n’y fit, et la réunion put se tenir, sous la protection inusitée d’un impressionnant cordon de sécurité, dépêché sur ordre du …ministre de l’intérieur. Retournement cocasse de l’histoire, en décembre 2003, c’était Belkhadem qui était le chef des « Redresseurs » du FLN, contre le secrétaire général de l’époque, un certain Ali Benflis.
Et ainsi donc, jeudi passé, le 13 décembre 2001, n’ayant pu rallier à lui l’encadrement de sa propre formation, où une lecture appropriée de l’autorisation avait été faite, bien sûr, Belkhadem opta pour un recours désespéré, de quelqu’un qui ne sait pas nager et qui se noie, et qui s’accroche à n’importe quoi. Il fit appel à ses propres baltaguias, dans le plus pur style des conflits tribaux des hautes plaines, en usant d’un discours où le régionalisme le plus excessif le disputait à une hystérie échevelée. Il a fait circuler l’information que c’était là un coup de force des gens de l’Est algérien contre l’Ouest. Et de fait, les hommes de main qu’il envoya à Draria, pour saboter la réunion des « Redresseurs » étaient venus de plusieurs mouhafadhates de l’Ouest du pays, et seulement d’une partie de l’Ouest, avec à leur tête deux de ses fils, et nombreux de ses neveux, cousins et autres parents. Hallucinant ! La police, comme de bien entendu, interpella un de ses fils, et s’arrangea pour que l’information parvienne aux médias. Bien sûr !
Au sein du FLN, les poids lourds du parti, à qui on ne la conte pas, qui avaient bien compris le message subliminal contenu dans cette autorisation, et qui ont pour principe de ne jamais se compromettre avec celui qui est lâché par les vrais décideurs, commencèrent à montrer les signes d’une vraie sédition, voire d’une proche curée. Voici un extrait d’un excellent article du journal Le Soir d’Algérie : « un groupe de personnalités du parti, conduit par l’ancien président de l’APN, Amar Saïdani, signeront une pétition dans ce sens adressée à Belkhadem où ils l’exhortent à éviter la confrontation, la rencontre étant de toutes les façons autorisée par les pouvoirs publics. Vainement. Le patron de l’ex-parti unique aurait même déchiré ce document ! «Celui qui ne se rendra pas demain à Draria est contre moi», aurait également répliqué le ministre d’Etat à d’autres interlocuteurs dans la journée de mercredi. » Belkhadem a réllement tout fait pour que tous les cadres du FLN, sans exception, se rendent à Draria pour empêcher physiquement la tenue d’une réusion autorisée par le régime. On aura tout vu! Belkhadem contre Bouteflika et les les chefs du Haut Commandement militaire réunis. Un Ché en kamis.
Et de fait, le noeuf gordien de toute cette affaire se trouve exactement là ! Si la rencontre a été autorisée par « les pouvoirs publics », elle n’est certainement pas une initiative du ministre de l’intérieur. Le précautionneux Ould Kablia, rompu à la pratique politicienne du régime, et qui en connait toutes les règles non dites, ne s’aventurerait jamais, en aucun cas, à mettre le doigt dans un tel engrenage s’il n’en avait pas reçu, au préalable, la consigne, voire l’injonction, de l’autorité idoine. Celle du Président Bouteflika.
En clair, cela signifie qu’il a été décidé de remettre en selle celui dont tout le monde pensait qu’il était mort politiquement, et dont l’ombre discrète plane sur les « redresseurs », Ali Benflis en l’occurrence. Il est difficile, en l’état, de faire une lecture approfondie de cet évènement, de savoir si un consensus s’est fait autour de lui, comme prochaine alternative présidentielle, mais il semble très probable en tout cas, que l’ostracisme a été levé. Et cela ne se fera pas sans bouleversements de toute nature, à commencer par une recomposition au sein du FLN. Et c’est précisément cela qui a mis Belkhadem dans tous ses états. Lui aussi n’est pas tombé de la dernière pluie, et il sait parfaitement que l’autorisation délivrée aux « Redresseurs » par le Ministre de l’Intérieur n’est pas une initiative de celui-ci, mais qu’elle vient du plus haut sommet de la pyramide, et même qu’elle a été le fruit d’un consensus au sein du régime. Et si malgré cela il a réagi de cette façon, aussi irraisonnée qu’intempestive, lui qui connait si bien les possibilités de ceux qu’il a défiés, c’est parce qu’il s’est su condamné à l’irrémédiable disgrâce. C’est cela qui l’a poussé dans ses derniers retranchements. Un Belkhadem n’est ni en mesure de contrecarrer une volonté des décideurs de réaménager le FLN, ni encore moins de s’opposer à des perspectives de succession présidentielle, en ces temps d’intenses tractations. Il est bien placé pour le savoir, lui qui a été parachuté aux responsabilités qu’il exerce aujourd’hui, par ceux-là mêmes qui ont décidé de renverser la vapeur.
D.Benchenouf