19/08/2019 Huffpost Algérie.
Nacer Djabi

J’ai suivi personnellement depuis des années la question du changement de l’intérieur du régime et j’ai beaucoup écrit sur le sujet. Pour aboutir en définitive à la conclusion que le changement politique est difficile, voire impossible, de l’intérieur de ce régime et de ses institutions.
Les élections, comme mécanisme de réforme du régime politique, ont été un échec. Les élections organisées de manière régulière et périodique dans le pays pendant plus d’un demi-siècle se sont transformées, en pratique, en une simple reproduction des défauts du régime, sans qu’aucun changement ne soit apporté. Le résultat est une abstention des citoyens à participer à ce mécanisme qui a eu, ailleurs, un impact positif dans le sens du changement dans de nombreuses situations nationales.
Cette perception vaut également pour les nombreuses et diverses institutions du régime sur lesquelles on ne peut compter pour réformer le système de l’intérieur. Ni les partis politiques n’ont un rôle réformateur, ni le parlement, ni les autres institutions. Toutes ces institutions cessent de fonctionner et sont incapables de jouer un quelconque rôle quand la situation exige d’elles de se transformer en des lieux d’élaboration et de prise de décision, comme c’est le cas aujourd’hui, pour aider le régime à dépasser ses failles fatales.
Ce constat établi depuis des décennies a amené beaucoup de gens, observateurs et même ceux qui sont à l’intérieur des institutions du régime, à cette conclusion pessimiste: le régime n’est pas réformable de l’intérieur, il faut essayer de le changer de l’extérieur.
La pression extérieure sans impact
On entend par cela, les facteurs internationaux d’une part, et la pression que peut exercer le mouvement social d’autre part; tous les mouvements sociaux qui nécessitent une mobilisation des citoyens pour exercer une pression de l’extérieur sur le régime, comme cela a eu lieu dans plusieurs moments historiques, comme octobre 1988 par exemple.
Un constat direct amène à cette conviction à laquelle sont parvenus, sans doute, de nombreux hommes politiques algériens qui n’envisagent pas, pour eux-mêmes, un quelconque rôle en dehors des périodes des hautes turbulences vécues par le régime. Ce qui d’ailleurs suscite de la suspicion à leur égard de la part du régime politique où ils ont évolué.
Les faits historiques nous enseignent que la pression extérieure n’a jamais réussi, en aucun cas, à influer dans le sens d’une réforme du système politique algérien, comme cela est arrivé dans d’autres cas dans le monde.
Les causes en sont multiples, notamment la nature rentière du régime et sa capacité à résister et à corrompre les parties étrangères, à travers des contrats et des transactions lucratives, les amenant ainsi à ne pas soucier de demander des changements.
Ces parties étrangères se sont adaptées au fil du temps à ce régime et elles le considèrent comme un état de fait. Aussi, en dépit de récriminations sur son absence d’ouverture et la difficulté à comprendre ce qui se passe en son sein, ces forces externes préfèrent en définitive s’accommoder de la situation.
Un statu quo qu’elles préfèrent à l’aventure d’un changement aux conséquences imprévisibles dans un pays très sensible du fait sa position géostratégique, de la présence d’une émigration algérienne dans le tissu social européen lui-même et précisément français.
Une émigration qui pourrait comporter un risque de troubles dans ces pays en cas de non maîtrise du changement dans le pays d’origine, comme cela s’est vu dans les années 90 et comme cela arrive à chaque fois qu’il y a une rencontre de football avec l’Algérie.
Un moment historique incompris par les dirigeants
Ce tableau est resté valable dans ses détails et caractéristiques jusqu’au 22 février 2019, début d’une révolution populaire pacifique sans précédent en Algérie pour exiger une rupture avec ce régime non réformable.
La situation va-t-elle perdurer comme auparavant? Les choses vont-elles changer cette fois-ci permettant aux Algériens un changement politique qu’ils n’ont pu arracher par le passé à travers la protestation sociale, le boycott des élections et d’autres types d’actions politiques pacifiques qu’ils ont testés durant des décennies?
Historiquement, les mouvements de protestation en Algérie se concentrent sur les domaines économiques et sociaux pour formuler des revendications nombreuses et diverses. Y compris des revendications politiques voilées derrière la focalisation sur l’aspect économique et social où il y avait – et il y a toujours – une grande marge de négociation avec ce régime rentier, redistributeur.
Je demeure fermement convaincu que le plus grand obstacle au changement, cette fois-ci, est l’incapacité des institutions du régime et de ses hommes en particulier, à prendre la mesure du caractère spécial du moment historique qualitatif que vit l’Algérie depuis le 22 février 2019.
Cette incompréhension pourrait les amener à tenter de briser le mouvement plutôt que d’essayer de construire autour de lui. Cette incapacité à assimiler le moment historique peut s’expliquer, en partie, par la formation politique des élites dirigeantes civiles et militaires, peu habituées à écouter le peuple et à dialoguer avec lui et cela malgré les origines populaires de certaines de ces élites avant les transformations qui ont fait évoluer leur statut social.
La corruption généralisée est autre facteur devenu, avec le temps, un frein majeur à tout changement politique sérieux en dépit des dossiers lourds soumis à la justice ces derniers temps et qui ont touché des personnalités politiques et une partie importante de la nouvelle oligarchie. Mais on se retrouve devant une lutte contre certaines figures de la corruption et non dans la lutte contre la corruption elle-même en tant que pratique généralisée réclamée par les citoyens.
Des élites qui n’écoutent pas
C’est l’un des points du malentendu historique entre les élites dirigeantes et une population insurgée qui accentue le fossé entre les deux parties.
L’éducation politique des élites dirigeantes qui s’exprime à partir d’institutions centrales s’éloigne, au niveau psychologique, du citoyen. Celui-ci répond à cet éloignement par de l’hostilité et par une contestation de sa légitimité. Cela est exprimé en partie par le Hirak, lors des marches populaires, à travers des slogans et des chants populaires ciblant de nombreuses personnalités. Cela ne laisse aucune place au doute sur la perception populaire négative à l’égard de ces élites dirigeantes officielles. Et cela même si celles-ci tentent de présenter, en tant que façade, d’anciennes personnalités comme “neuves”, tel que cela se passe ces derniers jours à l’occasion du “dialogue politique” auxquels elles ont appelé.
Malentendu historique
Une démarche qui donne naissance à un second malentendu historique, lequel pourrait évoluer vers une rupture totale entre les Algériens et leurs institutions politiques et leurs élites.
Le problème tient au fait que ces élites n’ont pas compris que les revendications des Algériens sont qualitativement différentes cette fois-ci: ils veulent changer le système politique dans son ensemble, et non pas certains visages du système, comme le proposent des élites dirigeantes qui ne sont pas habituées à écouter les citoyens. Or, ces citoyens dont l’éducation et l’ouverture au monde sont plus grandes ont élevé le plafond des revendications.
Ce malentendu historique pourrait se cristalliser davantage avec la prochaine rentrée sociale et le retour du Hirak, après la période estivale et les congés, aux grands niveaux de mobilisation de mars et avril. Avec cette fois-ci une différence fondamentale: les Algériens sont convaincus qu’ils n’ont pas encore obtenu ce qu’ils revendiquent depuis six mois face à des élites et des institutions qui persistent à ne pas les écouter. Et qui continuent de prendre leurs exigences à la légère en leur proposant des vieilles pseudo-solutions qui ne font qu’aggraver le malentendu historique entre le peuple et ses dirigeants.
Traduit par le Huffpost Algérie. Le titre et les intertitres sont de la rédaction. Article original paru dans Al Quds Al Arabi
2 comments
Monsieur Djabi
Il est impossible que la junte cede le pouvoir au peuple juste pour etre gentille et comprehensive .
C’est une guerre a mort entre les deux protagonistes et seule la loi du plus fort triomphera !
Une nouvelle phase decisive aura lieu dans les prochaines semaines .La greve generale totale est l’arme ultime .
Sans cet instrument ; il est illusoire de penser que la junte va ceder .
GREVE GENERALE , GREVE GENERALE !!!!!!!!!!!!
Je pense que le problème de fond de l’Algérie, c’est le choix d’un système rentier basé sur des ressources en hydrocarbures non renouvelables. Avec une rente, un régime dictatorial qui n’œuvre pas à construire un développement durable peut s’offrir n’importe quel délire économique et social.
Les dictateurs ont tout essayé. Ils sont passés d’un socialisme infructueux à un capitalisme débridé pour construire une économie informelle bâtie sur la faiblesse voulue des institutions.
Sous l’ère de Bouteflika, ce fut l’import-import pour les équipements et les services qui acheva de détruire le peu de tissu industriel. Le régime fit appel aux subventions et au financement de la voyoucratie par la corruption. Le peuple nourri au biberon accepta tout même la planche à billets.
Les jeunes étudiants algériens et leurs parents ont compris, depuis la baisse des prix du pétrole en 2015, que la volonté des décideurs est de conduire le pays à une crise sociale en programmant l’épuisement rapide des réserves de change à l’horizon 2022 (alors que tout le monde s’attendait à des réformes salvatrices). Preuve en est, la nomination d’un lieutenant de Chakib Khelil condamné pour haute trahison à la tête de Sonatrach. Ce personnage qui, en deux ans, a dilapidé des milliards de dollars est en liberté alors qu’on met des jeunes en prison pour délits d’opinion en toute illégalité.
Le Hirak sait que la feuille de route (le complot du gaz de schiste) n’a jamais changé même après la mise à l’écart du clan de Bouteflika. Il sait qu’il n’y aura pas de réformes et qu’on continuera à ignorer le tsunami de la crise financière annoncé pour 2022-2025. Le panel, les élites inconscientes clament haut et fort qu’il nous faut élire un président. Mais pourquoi faire ?
Que fera un Président élu démocratiquement ? Est-ce que c’est son rôle de dénoncer le complot contre l’Algérie ? Que pourra–t-il faire en deux ans pour éviter la crise économique ?
Pour répondre à toutes ces questions légitimes, il faut analyser la politique énergétique initiée par Chakib Khalil. Cette politique qui s’appuie sur la caporalisation du secteur de l’énergie commence à porter ses fruits avec une baisse des revenus d’exportation des hydrocarbures qui va s’aggraver dans moins de cinq ans. On arrive rapidement à un tournant, celui de la fin « durable » de l’état rentier qui va remettre en cause le régime dictatorial et nous faire basculer dans une situation de perte de souveraineté nationale ou dans un chaos inextricable à l’image de plusieurs pays ciblés (Lybie, Syrie Irak..) . Entendons-nous, cette situation est voulue par les décideurs qui n’ont jamais cherché à se tirer une balle dans le pied. C’est à mon avis une stratégie de défense même si elle est vouée à l’échec.
Cela fait longtemps que les puissances occidentales s’intéressent aux réserves gigantesques de gaz schiste (3eme réserve mondiale) de l’Algérie. Or, ces gisements difficiles à exploiter (sans oublier la pollution des eaux non renouvelables souterraines) n’offrent aucune rente à l’Etat. Le développement du gaz de schiste n’attirera les investisseurs que si l’Etat algérien renonce à un impôt pétrolier conséquent. Vous avez tout compris : le complot contre l’Algérie consiste à réunir les conditions de dénuement et de misère en mesure de pousser les algériens à accepter d’ici deux ans une nouvelle loi sur les hydrocarbures rédigée à Washington. Les décideurs sont près du but puisque le projet de loi est finalisé et prêt à être soumis à l’APN. D’où cette urgence à placer un Président et une APN aux ordres.
Voila tout simplement la réponse aux questions que se posent des millions d’algériens : cette urgence à élire un président à la carte et une APN maffieuse qui va adopter cette nouvelle loi sur les hydrocarbures. Il existe donc une continuité au niveau du régime consacrée par l’exécution d’une feuille de route rédigée à Washington.
Les décideurs, en refusant les réformes en 2015, ont opté pour l’endettement externe qu’ils pensent obtenir en échange de l’octroi de gisements gaziers. C’est, pour eux, une assurance pour leur maintien au pouvoir.
Or, il n’est pas évident que l’objectif de la feuille de route américaine soit uniquement d’essence économique. Comme en Irak, en Egypte ou au Qatar, les investisseurs américains exigeront des mesures d’accompagnement telles que des bases militaires pour garantir la sécurité de leur personnel et la pérennité de leurs investissements.
Avant d’être assassiné, les dernières paroles de Boudiaf furent : « «En quoi donc les pays développés nous dépassent-ils ? Ils nous dépassent d’une chose, la science ».
Quelle a été la réaction des décideurs à l’apparition du mouvement du Hirak ? Remplacer le français par l’anglais. Tout est dit. Alors que les universités algériennes ne sont même pas classées à l’échelle africaine, Tahar Hadjar, ministre de l’Enseignement … supérieur et de la Recherche scientifique déclare : «En quoi ça m’avance moi, si on a un prix Nobel issu de l’Université d’Alger ? »
Ma conclusion : Ces vingt dernières années ont paradoxalement apporté une certaine visibilité sur la stratégie à long terme de nos décideurs militaires qui pour se maintenir au pouvoir ont appliqué une devise simple : « restons solidaires et cachés pour être riches et jouons à satisfaire l’Est et l’Ouest. »
Cette stratégie ne semble plus marcher car on exige d’eux qu’ils choisissent entre l’Est et l’Ouest.