Ghania Mouffok
Ces images d’embouteillages monstres aux frontières de la capitale, Alger, sont tout simplement grotesques en dépit de leur violence symbolique. Grotesques et contre productives alors qu’elles veulent cacher le nombre de personnes en insurrection pour la citoyenneté elles l’élargissent sur des kilomètres d’autoroute. Désormais il leur faudra pour nous compter additionner les marches à pied aux marches en voitures et même en bateaux.
Alger est une ville aux frontières impossibles comme le centre de gravité de la terre, ils l’ont voulu capitale symbolique du pouvoir sans partage abandonnant les indigènes à leur dissidence sur les terres de la périphérie et l’image se retourne contre cette assignation à résidence : ce ne sont plus les indigènes qui sont en prison mais la citadelle du pouvoir qui est assiégée de l’autoroute ouest à l’autoroute est.
Chaque fois qu’ils espèrent élargir les frontières de l’interdit, comme s’ils étaient seuls au monde, ils élargissent le champ du possible et rendent visibles les autres, tous les autres algériens et algériennes depuis de vielles généalogies qui empruntent à l’histoire les ramifications des identités multiples sur cette terre infinie qu’aucun barbelé ne saurait dessiner parce qu’un pays n’est pas un territoire de guerre, mais un territoire de corps, de têtes, de pieds et de mémoire, de gestes quotidiens comme prendre sa voiture un vendredi pour descendre sur la capitale vaquer à ses affaires depuis l’aube jusqu’à la fin du jour. Ces routes coupées ont une histoire, elles sont vivantes et ce sont elles qui ont permis un pays que ses habitants et habitantes ont voulu Algérie.
Ils ont dit : on accompagne le peuple. Merci, messieurs les généraux, de cette leçon magistrale, en ce vendredi 31ième du nom, à tous ceux qui seraient tentés de vous reconnaître le rôle de bergers de nos pas désordonnés, votre accompagnement s’incarne dans cette image parfaite : des kilomètres d’autoroutes – battant tous les records de la corruption et de l’incompétence- bloqués, statiques interdisant le mouvement.
Une inertie mortelle à l’image de l’avenir que vous nous proposez : d’un côté vous, continuant à gouverner depuis une citadelle assiégée et de l’autre côté nous cloués au sol à la manière de peaux de moutons séchant au soleil. C’est là la seule frontière que savez dessiner. Même le berger le plus simplet sait que pour que le suivent les moutons il doit les guider sur les chemins des pâturages de la vie. Merci de nous rappeler – combien vous êtes, par-delà la politique, du cours du pétrole, de vos batailles fratricides, de vos stratégies et de vos prouesses militaires sur les corps de vos compatriotes sans arme, de la géopolitique, de vos alliés et de vos ennemis – combien vous êtes ennemis du mouvement et que vos promesses de bergers, perdus dans un pays hostile tels des étrangers à ses chemins, ne sont que des instruments de la mort. Un arrêt sur image dans le silence d’autoroutes bloquées. Nous ne sommes pas des moutons et nous n’avons pas des mains pour marcher sur quatre pieds, c’est la vie et c’est debout que nous marchons.