Hâtivement érigé en France en décrypteur de l’Algérie — quand ce n’est pas de tout le monde musulman —, l’écrivain Kamel Daoud croit expliquer « l’échec » du soulèvement populaire algérien dans un texte publié par Le Point du 9 janvier. En se faisant le chantre de l’ordre établi, au nord comme au sud, à Paris comme à Alger, l’écrivain montre l’étendue de son conformisme politique.
MÉDIAS > SOCIÉTÉS > POLITIQUES > ADLENE MOHAMMEDI > 7 FÉVRIER 2020
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En cette période de menace virale, on est invité à se méfier des postillons. Celui de Kamel Daoud dans le numéro du 9 janvier 2020 de l’hebdomadaire français Le Point, où il a une rubrique justement intitulée « Le Postillon », tient davantage du crachat. Un crachat adressé au Hirak (mouvement populaire) algérien, dont il décrète l’échec et dont il tente un bilan, certes provisoire, mais aussi sévère dans ses conclusions qu’approximatif dans sa méthodologie.
En quelques années, Kamel Daoud, auteur notamment du très camusien Meursault, contre-enquête, a émergé comme l’écrivain algérien incontournable, le chouchou des médias français et des événements littéraires. Ce niveau de respectabilité atteint par le romancier s’explique en partie par son talent, mais aussi par un discret positionnement politique.
CRITIQUE DES GILETS JAUNES
Nous ne nous focaliserons pas ici sur l’islam. Les biais politiques de Kamel Daoud, qui expliquent sa confortable installation dans la sphère médiatique de l’extrême centre, ne se limitent pas à la question musulmane. Certes, ses grosses lectures civilisationnelles concernant un monde arabe ou un monde musulman essentialisé fascinent les cerveaux paresseux en cette période d’obsession identitaire. Mais quand il saisit un objet politique, c’est son anti-populisme, sa méfiance à l’égard des peuples des deux côtés de la Méditerranée, son rejet de la « radicalité » (dont il ne semble connaître qu’une définition superficielle) qui semblent le mouvoir.
En janvier 2019, il critiquait le mouvement des Gilets jaunes en France. Improvisé défenseur du gouvernement français et gardien du bon usage des mots, l’écrivain algérien nous offrait une chronique étonnante dans laquelle il reprochait au mouvement social français de recourir à des notions jugées inappropriées. Un exemple savoureux : « violences policières ». Peut-on parler de violences policières en France ? Non, puisque d’après Kamel Daoud, « c’est l’usage que l’on fait de la police pour protéger un dictateur, ses proches, ses biens ».
Et le mot « répression », on peut ? Non plus. « Cela arrive de nuit. Vous êtes dans votre maison et on vous arrête — cagoule, menottes, cellule secrète, torture et PV à signer sous la menace de câbles électriques nus. » Cette manipulation saugrenue des mots n’honore pas l’écrivain. Pour discréditer un mouvement, il s’abrite peu subtilement derrière son expérience, son imaginaire, ses vagues représentations du monde. Il torture le sens d’une langue qu’il dit chérir, simplement pour minimiser des souffrances dont il ne sait pas grand-chose. Plus rien ne pouvait donc nous surprendre.
UN SERVITEUR INATTENDU DU POUVOIR
On retrouve cette posture dans son texte sur le Hirak en Algérie. Cette circonspection face à la radicalité. Tout sonne faux dans ce texte, même le titre : « Où en est le rêve algérien ? » Comme si la révolution algérienne, entamée il y a un an, relevait du rêve. Ce sont les écrivains, les journalistes, les intellectuels qui rêvaient d’un tel moment émancipateur. Le Hirak a réalisé ce rêve. Il a concrètement bousculé et dévoilé le pouvoir algérien. Entre les mots d’ordre des manifestants et les « analyses » de l’écrivain, le « rêve » est assurément du côté de ce dernier.
Ce qui frappe à la lecture du texte de Daoud, c’est sa perméabilité à la propagande des dirigeants algériens. Cette perméabilité qui confine à la complaisance s’explique peut-être par son manque de rigueur. Dévoyant son statut de romancier, il privilégie la formule qui choque à la justesse, voire à la cohérence. Ainsi, tout en rappelant la stratégie de la division « identitaire » (Arabes versus Kabyles ; musulmans versus laïques ; arabophones versus francophones) opérée par le régime algérien, il n’hésite pas lui-même à s’attaquer à Alger (cette capitale honnie par le régime que l’écrivain qualifie de myope et de nombriliste) et à déclarer, s’agissant de l’élection présidentielle contestée du 12 décembre, qu’« hors d’Alger, des Algériens ont voté dans le calme et sans scènes de violence ». Oui, des Algériens ont voté. Mais pourquoi ne pas rappeler le caractère massif de l’abstention dans tout le pays ?
Non content de railler la capitale algérienne qui, comme d’autres villes du pays, a joué un rôle moteur dans ce mouvement populaire, Daoud a cru devoir opposer une Algérie urbaine à une Algérie rurale. La seconde aurait été prise en main par le régime et aurait accepté son « élection » et sa « stabilité ». Mais à quelle réalité ce propos peut-il bien correspondre ? D’abord, la population algérienne est urbaine à plus de 70 %. Donc, oser dire que « le contrôle de la ruralité est la clé du pouvoir en Algérie » relève de l’anachronisme. Ensuite, rappelons que cette élection fut boycottée dans plusieurs régions rurales, notamment en Kabylie. Enfin, les taux de participation officiels (moins de 40 % à l’échelle nationale), eux-mêmes gonflés par un régime méthodiquement fraudeur, traduisent une forte abstention que son texte vient minimiser. En somme, le pouvoir s’assume comme minoritaire, mais Kamel Daoud l’imagine plus fort que jamais…
L’ART DE LA CONFUSION
Rien n’est épargné aux Algériens dans ce texte. Pour le chroniqueur du Point, l’Algérie mise en scène par le régime, dans le cadre des funérailles de l’ancien chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah par exemple, est nécessairement l’Algérie réelle. Chez Daoud, la propagande véhiculée par les médias aux ordres est la vérité. Il ne dit rien de la résistance (encore un mot dont il critique l’usage dans son texte sur les Gilets jaunes) des étudiants au deuil national que le pouvoir algérien a voulu imposer. Reprenant le mythe de l’union entre l’armée et le peuple, il ne dit rien des manifestations — qui demeurent massives — exigeant la fin du pouvoir militaire et l’instauration d’un régime civil. Comment prétendre faire un bilan du mouvement sans évoquer ce point central, au cœur des revendications des Algériens qui manifestent sans relâche depuis bientôt un an ?
Alors que des opposants croupissent en prison pour « atteinte au moral de l’armée », alors que le pouvoir a révélé sa nature militaire et autoritaire depuis la démission forcée du président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, alors que ce pouvoir a imposé aux Algériens une élection dont ils ne voulaient pas et qu’ils ont massivement boycottée pour échapper à toute transition sérieuse, Daoud n’a pas peur de nous expliquer que « la révolution n’a pas gagné, notamment à cause de ce “dégagisme” incapable de penser la négociation avec un régime qui tient encore l’essentiel des leviers ».
Le chroniqueur ne se contente pas de mobiliser la propagande du pouvoir contre le peuple qui manifeste. Dans un texte destiné essentiellement à un public français, il va jusqu’à attribuer les délires du régime algérien à toute la population algérienne, sans nuance. La grossière propagande anti-française pratiquée par les dirigeants algériens devient, sous la plume de Daoud, un phénomène général. C’est pourtant contre le Hirak que la rhétorique de la « main étrangère » a été pratiquée. Bourreaux et victimes sont ainsi renvoyés dos à dos.
En définitive, le seul échec dont il peut être question ici est celui de Kamel Daoud lui-même, et certainement pas du soulèvement populaire. Il a échoué à présenter une analyse rigoureuse et honnête de la situation en Algérie. Le Hirak, qui se justifie plus que jamais, se poursuit. Ce n’est pas un texte de Kamel Daoud qui l’a inspiré en février 2019 et ce n’est certainement pas un texte de Kamel Daoud qui marquera son arrêt en février 2020.
ADLENE MOHAMMEDIJournaliste, chercheur en géopolitique.
10 comments
Ô que non, il ne peut être fossoyeur d’un rêve qui se concrétise chaque jour un peu plus, et sur lequel il n’a aucune emprise, sa seule ‘Présence’ reste confinée sur les plateaux des TV française et des cercles de ceux qui en ont fait de lui, ce qu’il n’est pas réellement, et qui voudraient faire des grenouilles des bœufs intellectuels, donc, vous pouvez être tranquille, le peuple algérien n’est pas dupe de « l’aura » Taiwan, des Daoud, tout comme il n’en a été dupe de ses prédécesseurs, concoctés dans les mêmes officine, à l’Image des Sifaou, Sensal et autres A Zaoui
Bravo pour cette analyse
Au delà de son mépris pour le peuple,son sociologisme répété dit moins d’informations sur le Hirak que sur les représentations sociales de ce personnage mediatico-politique depuis qu’il s’est fourré dans le milieu d’une droite française rétrograde et revancharde. Daoud le bavard s’étonne qu’il appartenait à un peuple ignorant!
qu attendez vous de quelque un qui est en perpetual reniement ,et pour finir je vous dis ,et vous le savez tous,sans patte blanche du lobby sioniste tu n es qu un moins que rien ,faut savoir ,ou et comment lecher
merci
MONSIEUR kamel Daoud est un authentique algérien, un patriote algérien qui n’a jamais trahi son pays, mais qui a son propre regard d’intellectuel, sa propre vision sur son propre pays ! On n’est pas obligé de penser tous de la même manière, ou d’avoir tous la même analyse sur la situation de son pays !
On sait que nous les algériens, nous avons été nourris depuis 1962 ay biberon de la pensée unique du FLN de 62, mais ce n’est pas une raison pour que dès qu’un citoyen ne pense pas comme tout le monde, il devient suspect !
https://www.france.tv/france-5/la-case-du-siecle/1230961-l-algerie-de-kamel-daoud.html
Quant on est un disciple de Finkenkrauft, et protégé du CRIF, et justifier, la violence génocidaire sioniste contre les palestiniens sous occupation, je ne vois vraiment pas où est son patriotisme, et je ne penses pas que cela soit un ‘Different’ d’idées
Finkenkrauft et le CRIF etc.. etc.. c’est ce qu’on vous a bourré dans la tête ! A propos de la Palestine, voici ce que je vous réponds!
Vous vous souvenez qu’il avait dit à ce propos à peu près cela : « je ne veux pas soutenir la Palestine parce qu’il s’agit de musulmans, je ne veux pas soutenir la Palestine parce qu’il s’agit d’un peuple arabe » . En affirmant cela, il voulait simplement sous entendre qu’il n’est pas question pour lui de soutenir la cause palestinienne au motif qu’il s’agit de musulmans ou d’arabes mais qu’il s’agit là qu’un problème colonial, d’un problème de colonialisme et non d’un problème de guerre de religion ou de guerre ethnique. Pour lui, il est plus question du problème d’un peuple spolié injustement et sauvagement de sa terre par un colonialiste prédateur, destructeur. Il est vrai que les Israéliens de leur côté utilisent à fond la caisse la question religieuse dans ce conflit, mais n’est pas Israël qui veut ! Donc implicitement K.D voulait sous entendre que la Palestine gagnerait à se donner plus de chance d’avoir de son côté la solidarité de la communauté internationale en ne jouant pas trop sur l’islam, sur la religion comme le fait le parti Hezbollah à Gaza !Il a le droit d’avoir cet avis.
C’est sa manière à lui de voir les choses, il a l’habitude de faire des réflexions acerbes et je ne vois pas en quoi il est condamnable ! Dommage que vous n’avez pas vu l’émission qui lui ai consacré France TV dont je vous ai proposé le lien. çà va vous changer complètement l’image qu’on a voulu donné de lui ! Kamed Daoud est un vrai patriote , il aime son pays mais il s’exprime comme on a pas l’habitude d’entendre ou de lire des intellectuels algériens, point barre!
Et son verdict ‘des agressions de Cologne’ qu’il a imputé tout de Go, à ces ‘va nu pied’ d’arabes(obnubilés par le sexe selon notre convertit en Psy par un Deus Ex machina), accusation en lâcher de ballon sans ménagement, et que même après leur disculpation par les autorités allemandes, s’est muré dans un silence fort révélateur et excellé dans son plat dédain vis à vis de ceux qu’il a accusé à tord, juste parce qu’ils sont arabes, donc coupable, par délit de faciès et d’origine, refusant de faire au moins amende honorable et reconnaître son tord dans son Verdict digne des tribunaux d’inquisition, Alors, ici également « on nous a bourré la tète »?! ou bien, votre idolâtrie de sa personne hypertrophiée par les média qui savent ‘récompenser’ leur ‘nègre arabes’, cette idolâtrie vous donne tellement le tournis que vous n’arrivez pas à voir sa haine pour tout ce qui est arabe et musulamn, est ce d’ailleurs un hasard qu’il écume les plateaux des France TV (où l’autre expression est platement bannie, et où on ne reçoit que les Sifaoui, sensal et autres chelgoumi, ceux qui savent servir la bonne ‘image’ de….service)
Je n’ai d’idolâtrie envers personne, y compris envers les prophètes quels qu’ils soient! Là , je vous dis ce qu’il en est des propos de K.D concernant la question Palestinienne ! Quand j’aurai le temps, j’évoquera ce que j’ai compris moi sur la question des « agressions de Cologne » qui vous intéresse beaucoup apparemment! Mais j’y viendrais !
Quand on est en plein révolution contre un pouvoir honni de voyoucratie si,il faut avoir le même regard et la même force pour déboulonner le système mafieux,et tout détracteur à ce principe est considéré comme un ennemi qui a trahi la cause nationale.