par Kamel Lakhdar Chaouche
L’Algérie a célébré, le 19 juin dernier, l’ascension du colonel Houari Boumediene au pouvoir grâce à un coup d’Etat militaire baptisé « redressement révolutionnaire ». C’est le deuxième coup d’Etat dans l’histoire de l’Algérie indépendante ! 55 ans après, on dirait que c’est le même scénario qui se répète, toujours à coup de force : « à bas l’ancienne bande, vive la nouvelle ! », semble-t-on nous dire.
By Arnaud Longatte On Juin 23, 2020
Décidément, c’est le même refrain qui revient : « l’Algérie est menacée de l’extérieur, unissons-nous et arrêtons la contestation ! Ecoutez votre nouveau président que nous avons désigné pour vous». « Des lobbys connus depuis le berceau, par leurs ramifications et leurs instruments et auxquels nous ferons face », a déclaré le président algérien et chef suprême des armées, M. Abdelmadjid Tebboune dans une allocution au siège du ministère de la Défense nationale, le 2 juin dernier.
La main étrangère constitue l’apanage du discours officiel et populiste du système. Pourtant, le nombre de hauts responsables des institutions militaires et sécuritaires arrêtés sous la pression du mouvement populaire, dans le cadre de la corruption massive, ramifications avec des réseaux financiers nationaux et internationaux, bradage du foncier et de l’immobilier national, renseigne plutôt sur la cruauté et la monstruosité de « La Main intérieure ».
La déclaration de Tebboune intervient dans un tournant crucial : honni par le Mouvement populaire qui prépare son retour après le déconfinement, avec les mêmes revendications : « Libération des détenus, système dégage, non au recyclage et au replâtrage, une transition démocratique… ». Autant de slogans dignes de traduire la volonté du peuple en projet de société. Mais, comme le dit l’adage : « le cri du peuple n’est que rarement entendu même s’il est assourdissant ». Au même moment, sur la scène politique et médiatique nationale, les cartes sont redistribuées et les rôles établis.
Bientôt, on nous dira qu’il y a eu des réunions à… Tel-Aviv !
La « Révolution du sourire » du peuple algérien est désignée tel un nid de vipère par des chargés de missions, toutes catégories confondues. Pourtant, elle a suscité l’admiration même des va-t’en guerre qui iront jusqu’à proposer le peuple algérien pour le prix Nobel de la paix.
Une faune d’intellos, de journalistes, d’universitaires, d’experts, de charlatans aux ambitions démesurées qui végètent dans un espace politique et culturel propice aux charognards de tout bord, excelle dans l’art de la propagande, la désinformation et l’intox visant le Hirak. Nous y voilà ! Ahmed Bensaada s’interroge dans son livre: « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? ». Un livre-enquête, assure l’Agence nationale de presse (APS), consacré au Hirak, Mouvement populaire de contestation, à ses leaders « autoproclamés » et à l’implication d’organisations étrangères dans la vie politique et associative en Algérie.
Les valets du système se lancent alors dans des « débats » qui sont en fait des accusations portées contre les détenus ou les acteurs qui se battent pourtant sur le terrain pour l’Algérie de demain. Ainsi Lakhdar Bouregaa, Fodil Boumala, Khaled Drareni, Karim Tabbou, Hakim Addad, Me Zoubida Assoul, Me Mustapha Bouchachi, Me Nabila Smail, les enfants de « la Révolution du Sourire », sont accusés de haute trahison nationale. Ce ne sont pas les griefs qui manquent : atteinte à l’unité nationale, au moral de l’armée, divulgation de secret d’État, intelligence avec l’ennemi, réunions à Paris, au Qatar, à Londres, aux USA… Bientôt, on nous dira qu’il y a eu des réunions à… Tel-Aviv ! Hélas, Dans ce contexte, la justice ne trouve aucune peine à condamner et à sévir.
Les tribunaux, les médias, la police politique et les larbins de tout bord travaillent à plein régime. Les procès sont expéditifs et les accusés nombreux ! C’est à peine croyable ! Scandaleux ! Des mains étrangères agiraient donc en Algérie et seraient même à l’origine de la naissance de certaines figures du Mouvement populaire, le Hirak ! Pourtant, même les ennemis imaginaires de l’Algérie s’imposent le silence, y compris le leader de l’Indépendance de la Kabylie, Farhat Mehenni.
C’est dans ce cadre que le système algérien tente de reprendre du poil de la bête et mater le Hirak qui a secoué ses fondements sans l’ébranler. Ainsi, des intellectuels et autres théoriciens du système sont actionnés pour entretenir et faire fleurir le syndrome de « la main étrangère » dans le discours populaire, en politique, à l’école comme à la mosquée, les hôpitaux, les marchés populaires pour ternir l’image d’un Hirak qu’on disait pourtant « béni » !
On joue sur la fibre patriotique de l’Algérien connu pour être allergique à tout ce qui est étranger. Une séquelle coloniale, certes, mais aussi un peu par excès de chauvinisme. L’Algérien est victime d’un endoctrinement idéologique accompli par le système, depuis 60 ans. C’est un mécanisme colonial tout prêt à être activé, reconduit par l’establishment algérien, depuis 1962.
« Exit l’état-major, vous avez un nouveau président ! »
Le Haut commandement de l’état-major de l’armée incarné par le général-major, vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah face à un soulèvement populaire, le Hirak, se retire de la scène nationale et internationale dans un silence de marbre après avoir désigné un président, recyclé du vieux carcan du système.
À peine installé, le président Tebboune honore, lui-même les funérailles de l’homme fort de l’Armée, par conséquent de l’Algérie, de celui qui l’a imposé en dépit de la volonté du Hirak, Ahmed Gaïd Salah, terrassé par une crise cardiaque. S’ajoute une crise sanitaire mondiale, pandémie de coronavirus, mettant au « sommeil du juste » la Révolution pacifique du peuple algérien dont le système n’a pas manqué de tirer profit. Il faut dire que certains évènements, aussi naturels soient-ils, demeurent néanmoins étranges.
Alors que le peuple revendiquait une transition démocratique, le haut commandement de l’armée lui impose un nouveau président pour une nouvelle Algérie, impérativement selon les règles du système. Le message est répandu et relayé : oubliez l’état-major, vous ne voulez pas d’un cinquième mandat pour Bouteflika, voilà M. Tebboune, votre nouveau président.
Depuis quelques mois, c’est un Président qui parle et qui s’adresse au peuple, ce ne sont plus les généraux. Il n’y a plus de Hirak, c’est l’ère de la nouvelle Algérie. Il paraît que même les généraux auraient regagné leurs casernes, le général-major Saïd Chengriha, un vieux sorti du tiroir, nommé chef d’état-major de l’armée par le président Teboune,
« Un Vrai Président cette fois-ci », dit-on, même si le peuple n’y croit plus. D’ailleurs, on ne le montre pas comme son prédécesseur dans les médias et même le Hirak semble l’ignorer.
Même l’ancien président, le général Liamine Zéroual, homme connu pour sa discrétion depuis sa démission, devient « courtisan » d’Ahmed Gaïd Salah puis du président Tebboune et suscite les curiosités. Zéroual s’exprime et cautionne désormais. « C’est en toute logique que je rends visite au président Tebboune, car j’ai perçu chez lui, depuis sa campagne électorale à ce jour, une forte et solide volonté d’édifier un nouvel Etat » a-t-il déclaré après sa rencontre avec Tebboune. Que se passe-t-il dans la tête de l’ex-chef de l’Etat qui vient d’apporter son soutien au furtif premier ministre du président déchu, Abdelaziz Bouteflika ? Zéroual, n’est-il pas en train de régler ses comptes ?
L’ancien général n’ignore pas que Khaled Tebboune, le fils du président, est impliqué dans une grande affaire de drogue (plus de 700 Kg de cocaïne) et de pots-de vin aux ramifications internationales. Le fils du nouveau locataire d’El Mouradia a été libéré par la justice sous ordres, alors que le principal accusé (El Bouchi) voit sa peine réduite de 10 ans à quelques mois. De quel Etat de droit parle le général Liamine Zéroual ?
D’autres pseudo-opposants courtisent, à leur tour, le président même s’ils gardent un pied sur le terrain du Mouvement populaire, le Hirak. Soufiane Djillali, président du parti Jil Jadid, ne nie pas sa proximité avec le nouveau président Tebboune. Il revendique même « l’exclusivité » d’avoir parlé au président « pour libérer Tabbou et Samir Benlarbi ». Voilà qui dit mieux ! Le porte-parole de la Présidence, Bélaïd Mohand-Oussaïd, confirme « la libération prochaine de Karim Tabbou et Samir Benlarbi » et par conséquent, la déclaration du président du parti Jil Jadid.
Les médias, quant à eux, sont rappelés à l’ordre. Ils sont appelés à jouer le rôle qu’auraient dû jouer les différents organes gouvernementaux. Ils accompagnent le nouveau clan du système à la tête du pouvoir. Les lignes éditoriales se redressent et se repositionnent, alors que les entreprises médiatiques deviennent purement commerciales à l’affût du gain, sans se soucier de leurs missions initiales … C’est la mise à mort de la liberté d’expression : arrestations de journalistes, compromissions, sanctions, intimidations, etc. Du côté des partis politiques, l’opposition traditionnelle est tragiquement muselée par tant d’années de fermeture de tous les champs d’expression et d’activité.
Les principaux partis du système, le FLN et RND dont le Hirak exigeait la dissolution renaissent de leurs cendres. Des congrès sont tenus et des activités politiques sont officiellement autorisées au moment même où les partis du peuple sont infestés par la police politique et interdits d’activités.
Les islamistes, eux, se sont noyés dans des compromissions et instrumentalisés sur tous les fronts par le système. Ils sont aussi en déphasage avec les nouvelles générations d’Algériennes et d’Algériens en pleine révolution populaire revendiquant une rupture radicale avec le système et ses accessoires.
K.L.C