Ghania Mouffok
In Facebook.
Ces 34 morts abandonnés au feu ne passent pas, ils torturent nos consciences, ils déchirent nos coeurs et nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous taire.
Ils sont morts parce que ces gens ne savaient pas qu’ils étaient en danger.
Aucune radio, aucune autorité, aucun élu, aucune administration ne les en avait informés et guidés pour les sortir de l’enfer.
Les témoignages des survivants sont là. Ils disent, depuis les cendres et sur les réseaux sociaux comment la mort les a saisis, brûlés vifs. Des femmes, beaucoup de femmes, des enfants, un homme pleure un bébé de six mois. Il raconte sa belle sœur dans la panique et la peur, venant d’Alger elle a tenté de fuir en taxi, avec ses deux enfants, des gens lui ont dit, ne pars pas c’est dangereux, elle ne savait plus, elle voulait juste fuir l’enfer, elle ne savait pas qu’au tournant de cette route qui ne l’a pas sauvée, les flammes allaient la manger, elle et ses enfants. Cet autre raconte, la fin de sa famille, enfermée à plusieurs dans leur maison, ils ne savaient pas que le feu s’approchait féroce et violent, porté par des vents méchants qui venaient de tous les côtés. Ils sont morts alors qu’ils n’avaient pas bougé. Que l’on fuie sur une route et en taxi, que l’on se calfeutre chez soi et en famille en espérant que le désespoir nous oublie, il n’était déjà plus, pour eux, le temps de vivre.
Ce vice président de l’APC de Toudja, lui même ne savait pas, il dit que c’est lorsqu’il a vu les gens du village d’en haut descendre le long des petits chemins comme des fourmis en panique qu’il a compris que le feu se rapprochait, il n’avait aucun plan prévu, rien à proposer aux survivants dans ces zones boisées, enclavées coupées du monde à l’heure des satellites mais qui, toute la nuit témoignaient déjà du drame qui se préparait…sur tik tok.
Et contrairement à ce qui s’écrit, l’état était là mais comme imprévoyant à sauver des gens de chair et d’os, les bras ballants en retard sur les feux du changement climatique qu’annonçaient à Bejaïa, à Bouira, à Jijel les 50 degrés à l’ombre dans ces régions de forêts enclavées, comme l’an dernier et comme l’an d’avant.
Au même moment en Grèce le premier ministre devant son parlement déclarait « la Grece est en “guerre” contre les incendies » et un Conseil des ministres s’est mis en marche, réuni en urgence. Le gouvernement depuis la protection civile dont c’est le métier, la mission a placé les îles en danger, Rodhes, la région de Crête en état d’alerte 5, soit le niveau le plus élevé qui signifie dans la langue des gouvernants informés et qui informent que le risque d’incendie est extrême et qu’il faut agir en conséquence. Un quart d’heure plus tard, les zones à risque majeur étaient évacuées. Plus de 30 000 personnes ont quitté l’ïle de Rodhes, la plus grande opération d’évacuation jamais effectuée en Grèce, écrit la presse mondiale, pendant que la Crête est placée en « vigilance extrême ». Aujourd’hui la Grèce ne compte aucun mort civil alors que ce pays, traversé par les mêmes crises que nous, n’a rien d’une puissance et ne possède pas non plus des milliers de « canadairs ».
Peut être que ce qui fait la différence entre la Grèce et l’Algérie ce ne sont pas les moyens mais les objectifs que l’on se donne, les priorités qui s’établissent, pour la Grèce la performance a consisté à épargner les vies humaines avant toute chose, en Algérie la priorité était d’éteindre les feux, de les maîtriser, de les faire taire dans le bruit et la fureur qui rend sourd à l’humanité.
Au même moment, au journal télévisé, alors que les lames du feu font fureur, le journal s’ouvre depuis Alger, comme un jour sans larme. Lisant son prompteur une malheureuse journaliste qui bafouille nous livre le bilan du jour : 34 morts dont 10 soldats. A peine avalée cette information que la voilà suivie des condoléances du président A. Tebboune dont le portrait figé nous informe que Dieu est Grand, et qu’Il prend et reprend quand Il veut et ce qu’Il veut.
Nous savons que Dieu est grand mais nous ne savons rien de la grandeur de ceux qui nous gouvernent.
Et ce ne sont pas les procureurs de la République qui se saisissent dans une hâte de circonstance de quelques personnes ayant survécu au feu pour les envoyer dans l’enfer des tribunaux d’exception pour terrorisme qui nous rassureront quant à l’avenir de la Nation en danger.
Un complot en invitant un autre, d’autres spécialistes en complot y voient la main de l’inqualifiable « zéro kabyle ». Je crains pour ma part que le véritable drame de notre pays ne soit l’absence de plan, l’incompétence à penser le jour d’après dans l’intérêt général, une gestion erratique du monde des faux semblants, dans un déni insensé du réel, dans la surenchère du faisons semblant d’agir depuis les idéologues de salon et du fratricide en passant par les spécialistes de la désinformation institutionnelle.
La bonne question en Algérie n’est pas de savoir pourquoi ? tant de gens sont morts, mais comment ? la mort les a surpris. Quand nous répondrons à cette question alors nous pourrons en conscience prendre la mesure des responsabilités, état et société, mais surtout prétendre collectivement à l’entendement d’un monde qui brûle nos gens, nos bêtes, nos arbres, nos terres, nos cœurs et nos cerveaux.