بشير عمري

RÉCIT
5 JUILLET 2022PAR FABRICE ARFI
Comment fonctionne un État quand il se met à emprisonner arbitrairement, à torturer et à assassiner ? Qu’en reste-t-il six décennies plus tard ? Y a-t-il encore des choses à apprendre ? Pour essayer de répondre à ces questions, alors que l’Algérie célèbre le 5 juillet les 60 ans de son indépendance, je me suis plongé pendant plusieurs semaines dans une infime partie des archives de la République sur la guerre d’Algérie (1954-1962), dont certaines ont été déclassifiées fin 2021 sur décision d’Emmanuel Macron.
En me lançant dans cette quête, je n’avais pas la prétention de révolutionner l’historiographie* déjà si riche de cet événement-matrice qui constitue, avec le génocide des Tutsis du Rwanda (1994), l’un des moments les plus sombres de l’histoire contemporaine de la France. Mais en parcourant les cartons des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et du Service historique de la Défense à Vincennes (Val-de-Marne), j’ai voulu voir par moi-même à quoi pouvaient bien ressembler les crimes d’une guerre – de cette guerre si particulière – quand ils étaient consignés sur papier officiel au plus haut niveau de l’État, à l’Élysée ou dans certains ministères.
Ce que j’y ai lu m’a souvent stupéfié.
Comme des millions de Français et de Françaises, j’ai une histoire algérienne. Mes grands-parents paternels y sont nés, y ont vécu avec leurs trois fils et en sont partis définitivement en 1961, un an avant la fin des « événements ». Ma grand-mère, Olympe, appartenait, si j’en crois le livre Les Trois Exils de Benjamin Stora sur les juifs d’Algérie, aux megorachim (« ceux de l’extérieur » en hébreu), étant issue d’une famille séfarade plutôt aisée, chassée d’Espagne au XVe siècle.
Mon grand-père, Élie, faisait partie des tochavim (« les indigènes »), des gens de peu qui formaient la masse du judaïsme algérien. Sous Vichy, Élie a été l’un des 31 gendarmes (sur les 23 600 du pays) à s’être déclarés juifs à la suite des lois et décrets antisémites du maréchal Pétain. Cela lui a valu d’être radié des cadres de la gendarmerie le 21 mai 1942, puis d’être réintégré par la suite. Élie recommencera à travailler fièrement pour le drapeau, mais j’ai toujours entendu dire dans la famille que « papy »,bien que fonctionnaire loyal, n’était pas totalement indifférent à l’idée qu’un peuple veuille disposer de sa terre et de son avenir.
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Il n’y a pratiquement pas une famille française qui n’ait un lien, direct ou indirect, avec la guerre d’Algérie. On pourrait penser que c’est une histoire ancienne, sans présent ni futur. Pour se convaincre du contraire, il suffit de réécouter le discours inaugural de la nouvelle législature de l’Assemblée nationale prononcé, mardi 28 juin, par le doyen de la Chambre, le député d’extrême droite José Gonzalez (Rassemblement national – RN), qui a dit à la tribune sa nostalgie de la France coloniale puis, dans la foulée, s’est montré incapable devant les journalistes qui l’interrogeaient d’en reconnaître les crimes en Algérie.
Cette scène, dénoncée par une grande partie de la gauche, a eu lieu quelques jours après un week-end de célébration à Perpignan (Pyrénées-Orientales), sous les auspices du maire de la ville Louis Aliot (RN), de l’Algérie française, de l’Organisation armée secrète (OAS) et des putschistes d’Alger.
Comme une réponse involontaire à celles et ceux qui voudraient oublier l’histoire et ses leçons, il y a, aux Archives nationales*, un document issu du ministère de la justice à l’époque de la présidence de Gaulle (après son retour au pouvoir en 1958), dont je n’ai réussi à établir ni l’auteur ni la date précise, mais qui dit beaucoup, il me semble, des dangers d’un passé qui ne passe pas. C’est une feuille volante, la dernière, de ce qui ressemble à un rapport plus ou moins officiel. Une feuille glissée au milieu d’une liasse d’autres documents sans lien apparent.
Il n’en subsiste que quelques mots tapés à la machine, manifestement rédigés par une personne de bien installée au cœur de l’appareil d’État qui voulait empêcher que la France s’enfonce un peu plus dans les crimes de la guerre d’Algérie : « De telles réformes seraient assurément insuffisantes pour “humaniser” une guerre par essence inhumaine, mais elles permettraient de protéger la justice française contre les entraînements d’une raison d’État dont les effets, à longue échéance, se retournent toujours contre le pouvoir et la nation qui leur cèdent. »
CHAPITRE 1
Quand on s’intéresse à la violence d’État pendant la guerre d’Algérie, on pense à la torture. Et quand on pense à la torture, on s’intéresse à un livre, La Question (Éditions de Minuit, 1958), et à un dossier, l’affaire Audin. Nous sommes en juin 1957, au début de la « bataille d’Alger »*, cinq mois après le transfert à l’armée des pouvoir civils, notamment de police. La consigne donnée par le chef militaire de l’Algérie, le général Salan, est claire : il ne faut pas hésiter à faire usage d’« interrogatoires poussés à fond et immédiatement exploitables » afin d’obtenir un maximum de renseignements contre les partisans de l’indépendance.
En d’autres termes : torturer.
Dans La Question,son auteur, Henri Alleg, directeur du quotidien Alger républicain et membre du Parti communiste algérien (dissous en 1955), raconte les sévices administrés par les hommes de la 10e division parachutiste. Les militaires suspectent alors l’existence d’un réseau clandestin d’entraide aux militants du Front de libération nationale (FLN), auquel est accusé d’être également associé un jeune professeur de mathématiques de l’université d’Alger, Maurice Audin, 25 ans.
Arrêté la veille d’Henri Alleg, Maurice Audin ne pourra, lui, témoigner de rien : il sera tué dans des circonstances qui demeurent, 65 ans plus tard, toujours inconnues dans le détail. Pendant des années, l’armée a défendu la thèse d’une évasion pour expliquer la disparition d’Audin.
Mais c’était compter sans l’acharnement de sa femme, Josette, et du mathématicien Laurent Schwartz, alors professeur à Polytechnique, qui animent un groupe hétéroclite de juristes, de scientifiques et d’universitaires, dont l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui réussira à dynamiter la version officielle. Ils sont aussi aidés dans leur combat par plusieurs journaux (Le Monde, L’Express, France Observateur, Témoignage chrétien), qui vont multiplier les campagnes de presse et faire, au travers de l’affaire Audin, le procès de la torture en Algérie.
La torture, l’Algérie et la République : la vérité, enfin
Mille péripéties ont jalonné l’affaire Audin. Judiciairement, le principal événement fut peut-être le transfert en 1959 du dossier, passé entre les mains de la justice militaire d’Alger – et de son secret absolu – à la justice civile, à Rennes.
Les archives de la présidence de Gaulle, déclassifiées fin décembre 2021, montrent aujourd’hui combien l’affaire était suivie au sommet de l’État comme le lait sur le feu. Le moindre événement procédural de l’instruction de Rennes était ainsi consigné dans des notes manuscrites d’un conseiller technique du chef de l’État, Jean-Jacques Bresson, magistrat de profession. Par son réseau de sources institutionnelles et profitant manifestement d’une laisse très courte entre le pouvoir politique et la justice, Jean-Jacques Bresson apparaît en mesure de savoir, quasiment en temps et en heure, ce que pense le juge d’instruction chargé des investigations, et ce, avant même que des actes d’enquête soient conduits.
Dans une note du 8 juin 1960, on peut par exemple lire : « Af. Audin : l’intime conviction du JI [juge d’instruction – ndlr] = assassinat. Mais pas de preuve ». Une autre note du 2 juillet laisse apparaître cette fois une forte inquiétude au sommet de l’État s’agissant de « la prochaine déposition » de l’ancien procureur général d’Alger, Jean Reliquet, qui, note le conseiller de De Gaulle, « va déclarer que le Gal [général] Allard [qui a commandé le corps d’armée d’Alger] lui avait confié qu’Audin avait été assassiné et que cet officier sait tout sur l’af.[affaire] ».Le conseiller de De Gaulle ajoute que « le Gal Gardon [chef du service commun des justices des armées] connaît le secret de l’af. Audin », sans dire quel est ce « secret ».
Preuve de l’empreinte politique sur la conduite des affaires de justice, il ajoute avoir « indiqué » à un responsable du cabinet du ministre des armées, Pierre Messmer, que le garde des Sceaux Edmond Michelet avait donné l’assurance à l’Élysée que l’affaire Audin « n’évoluerait pas dans les circonstances actuelles ».
Dans la foulée, Jean-Jacques Bresson écrit le 9 août 1960 une note à l’attention du général de Gaulle sur la stratégie à adopter face à l’affaire Audin. On y lit que l’Élysée, au regard des informations qui lui sont remontées, exclut que la thèse de l’évasion de l’armée soit vraie, mais doute également que Maurice Audin soit mort par étranglement pendant une séance de torture qui aurait dégénéré, comme l’affirment ses partisans du « Comité Audin ». On comprend, entre les lignes, que le « secret » de l’affaire Audin pencherait plutôt vers l’hypothèse d’une exécution pure et simple.
Dans cette même note, Jean-Jacques Bresson rappelle que, selon le magistrat Jean Reliquet, « l’état d’esprit qui avait conduit les auteurs du meurtre à le commettre était essentiellement imputable à MM. Lacoste [ministre de l’Algérie entre 1956 et 1958] et Bourgès-Maunoury [ministre de la défense puis de l’intérieur entre 1956 et 1958], qui avaient constamment toléré, sinon encouragé, l’exercice de la “justice parallèle” ». Les ministres cités dans la note Bresson sont des hommes de gauche, socialiste pour le premier et radical-socialiste pour le second, tous deux membres du gouvernement de Guy Mollet (février 1956-mai 1957), sous la IVe République.
Mais au-delà des différences politiques, le conseiller du général de Gaulle s’inquiète : « Il est donc à prévoir, si l’orientation actuellement donnée à l’instruction est maintenue, que l’affaire Audin va prendre dans les mois à venir une nouvelle ampleur en raison de l’importance des personnalités, politiques ou militaires, dont les noms seront mis en cause à son sujet. »
Deux options s’offrent alors à l’Élysée dans la gestion du dossier : soit laisser l’enquête suivre son cours, au risque des dommages politiques considérables qu’elle pourrait causer, soit la circonscrire. Jean-Jacques Bresson, qui avait écrit dans une précédente note qu’un juge « n’est pas tenu de rechercher à tout prix une vérité difficile à établir », semble nettement pencher pour la deuxième hypothèse. Et les arguments qu’il développe pour la soutenir ont tout de la définition de la raison d’État.
Extrait :
« L’idée que l’affaire Audin n’est pas, contrairement à ce que s’acharnent à vouloir démontrer certains milieux, un cas-test et que l’information devrait plutôt être ralentie se justifierait en revanche pour les considérations suivantes :
L’affaire s’est produite pendant la “bataille d’Alger”, c’est-à-dire à une période d’extrême tension ; il n’est pas moralement équitable de faire supporter à quelques militaires la responsabilité d’actes que les pouvoirs publics connaissaient et toléraient, jugeant que le recours aux pratiques illégales leur causait moins de difficultés qu’une adaptation de la légalité aux circonstances.
Audin, membre du Parti communiste algérien, s’était rendu coupable de faits qui ne méritaient certes pas la peine capitale mais qui constituaient cependant une collusion avec la rébellion. Les outrances du “Comité Audin” et l’exploitation à laquelle il s’est livré de la disparition de ce jeune professeur pour combattre la politique gouvernementale en Algérie et faire le procès de l’action de l’Armée, ont profondément sensibilisé les milieux militaires sur cette affaire.
Compte tenu de l’importance des facteurs politiques que comporte l’affaire Audin, il paraissait nécessaire de mettre le Président de la République en mesure de se prononcer, s’il le juge utile, sur la voie à suivre à son égard dans les semaines à venir. »
Sur la première page de cette note de Jean-Jacques Bresson, le général de Gaulle écrit à la main : « Pour M. Tricot [conseiller pour les affaires algériennes à l’Élysée]. Prévoir que le Premier ministre, le min de la justice et le min des armées se réunissent auprès de moi à ce sujet le 24 août. D’ici là attendre. » Et il ressort d’un mémo présidentiel du 3 septembre 1960 que de Gaulle a bien reçu, avant le conseil des ministres du 24 août, le chef du gouvernement Michel Debré et ses ministres Pierre Messmer et Edmond Michelet pour « se faire exposer les conditions dans lesquelles se présentait l’affaire Audin ». « Il aurait été convenu que l’instruction serait poursuivie devant la juridiction civile »,conclut, sans trop de certitude, le mémo élyséen.
Deux ans plus tard, en avril 1962, l’instruction de Rennes débouchera sur un non-lieu et l’affaire Audin restera, à jamais, un crime impuni par la justice. Plus d’un demi-siècle plus tard, en 2018, Emmanuel Macron reconnaîtra « au nom de la République » le supplice de Maurice Audin sous la férule de l’armée française et de ses pouvoirs spéciaux en Algérie.
CHAPITRE 2
Il y a au Service historique de la Défense (SHD), situé dans le fort de Vincennes, des archives d’un genre un peu particulier. Ce ne sont pas des documents écrits, mais des paroles. Plus précisément, il s’agit des enregistrements de témoignages oraux de militaires de carrière et de hauts fonctionnaires à la retraite, qui ont accepté de raconter les moments forts de leur vie professionnelle à des historiens. Ils sont facilement disponibles à la consultation ; il suffit pour cela de s’installer derrière un ordinateur du SHD, de chercher et d’écouter au casque.
J’avais vu dans l’inventaire de ces « documents entrés par voie extraordinaire », selon la nomenclature officielle, qu’il existait le témoignage oral d’un certain Pierre Bolotte (décédé en 2008). L’homme est totalement inconnu du grand public, mais son CV montre qu’il fut en 1956 le directeur de cabinet du préfet d’Alger, puis le secrétaire général de la préfecture dès l’année suivante. Autant dire qu’il occupait deux postes, qui, dans l’organisation administrative française, permettent de tout voir et tout savoir, ou presque.
Lors d’un entretien pour le SHD, au beau milieu de souvenirs sur certaines réformes qu’il avait entreprises pour le Grand Alger, la « première communauté urbaine de France », dit-il fièrement, Pierre Bolotte digresse et livre une information saisissante : il était, en pleine « bataille d’Alger », sur écoutes du gouvernement qu’il servait pourtant.
Il raconte : « Mon bureau était sous micros de Lacoste [le ministre de l’Algérie]. Oui, bien sûr… » Et l’ancien préfet de désigner l’auteur du forfait, un futur élu bien connu de la droite française, Charles Ceccaldi-Raynaud (1925-2019), qui fut député, sénateur et maire pendant 34 ans de la commune de Puteaux (Hauts-de-Seine). « Lacoste avait été “anschlussé” par un personnage étonnant qui est dans les Hauts-de-Seine, Ceccaldi-Raynaud […], un ami de Pasqua, bien sûr, qui était commissaire de police et qui fourrait des micros partout. Ils se délectaient de ça au cabinet Lacoste […] », se souvient Pierre Bolotte.
Intarissable, il enchaîne : « Moi, ça m’arrangeait. Ainsi je savais que ce que je disais… ils ouvraient les lettres de Paul Teitgen et de moi-même qui partaient à la Poste. Ça ne me gênait pas. Teitgen non plus. Nous avions été résistants, nous savions très bien vivre dans ce climat. Mais il y avait des gens que cela gênait, qui étaient pétrifiés. » L’homme dont Pierre Bolotte parle ici, Paul Teitgen, fut son prédécesseur au secrétariat de la préfecture d’Alger. Il représente aujourd’hui l’une des rares – et trop méconnues – figures morales de la guerre d’Algérie, qui a sauvé l’honneur de la République pendant que l’armée se livrait aux pires exactions.
Paul Teitgen a démissionné de ses fonctions après le transfert des pouvoirs civils à l’armée début 1957, ne voulant pas cautionner les pratiques des militaires. Lui-même ancien résistant qui fut atrocement torturé pendant la Seconde Guerre mondiale, Paul Teitgen expliquera un jour au documentariste André Gazut (voir ci-dessous) pourquoi la torture était, selon lui, non seulement inefficace mais moralement indéfendable : « C’est un procédé qui humilie celui qui est torturé mais qui humilie et révèle bien plus chez le tortionnaire le complexe d’infériorité, le mal latent chez chacun d’entre nous. »
https://www.youtube.com/embed/O3W8uXFqnng?enablejsapi=1Le haut-fonctionnaire Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger d’août 1956 à septembre 1957, démissionna pour signifier son désaccord avec la torture. © Forum national de lutte contre la torture
J’allais découvrir dans le fonds d’archives récemment déclassifié de la présidence de Gaulle que la surveillance de certains fonctionnaires pendant la guerre d’Algérie était, sinon monnaie courante, du moins une pratique habituelle. J’en veux pour preuve une « fiche de transmission » siglée « urgent », laissée le 30 mai 1961 à l’attention du secrétaire général de l’Élysée, Geoffroy de Courcel, par Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » du général de Gaulle.
S’ensuivent un document frappé du sceau « secret » et une annotation manuscrite : « Veuillez vous assurer que Courcel a eu connaissance de ce papier. » Le papier est, de fait, très sensible : il s’agit d’un relevé d’écoute daté du 26 mai 1961, archivé sous le code « O. 2.738 ». Les cibles : Me Pierre Stibbe, un avocat parisien proche du Comité Audin qui défend aussi les intérêts de responsables du FLN emprisonnés, et… Hervé Bourges, alors membre du cabinet du ministre de la justice Edmond Michelet.
En un mot, la présidence de la République a fait espionner, en dehors de tout cadre judiciaire, son propre gouvernement. Futur président de TF1, de France Télévisions et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Hervé Bourges était alors vu par les éléments les plus durs du gaullisme comme un progressiste au service d’un ministre, Edmond Michelet, considéré lui-même comme trop favorable à la cause algérienne et pas assez en défense des méthodes employées pendant la guerre ; le premier ministre Michel Debré obtiendra d’ailleurs son départ du gouvernement en 1961.
En 1963, un an après l’indépendance de l’Algérie, Hervé Bourges obtiendra symboliquement la nationalité algérienne. Le même jour que Josette Audin, la veuve de Maurice Audin.
CHAPITRE 3
La conversation téléphonique de mai 1961 entre l’avocat Pierre Stibbe et le conseiller ministériel Hervé Bourges, interceptée par les barbouzeries de Jacques Foccart, portait sur le sort d’un Algérien qui venait de passer cinq ans en prison pour rien : Mostefa Lacheraf. Le long calvaire judiciaire qu’il a subi montre aujourd’hui, grâce aux archives récemment déclassifiées, l’absolu cynisme d’État dont il fut la victime.
L’histoire commence le 22 octobre 1956. Ce jour-là, les services secrets français jouent les pirates de l’air et mènent l’une des opérations les plus folles de leur histoire. Le roi du Maroc Mohammed V doit quitter Rabat pour la Tunisie, où il est attendu pour une visite officielle. Le SDECE (l’ancêtre de la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure) apprend que plusieurs dirigeants du FLN, parmi lesquels le futur président algérien Ahmed Ben Bella, ne voyageront pas, contrairement à ce qui était initialement prévu, dans l’appareil officiel du sultan, mais dans un avion civil à sa suite.
L’occasion est trop belle. « On avait la possibilité de cravater Ben Bella ! », se souvient le directeur de cabinet du préfet d’Alger, Pierre Bolotte, selon son témoignage oral au Service historique de la Défense. Profitant d’une escale de l’appareil aux Baléares, les services spéciaux français infiltrent l’équipage et les pilotes dans le but de détourner l’avion de sa destination finale : direction Alger, au lieu de Tunis.
« On ne peut pas faire ça ! Si ça se sait, de quoi on aura l’air ? », s’exclame lors d’une réunion préparatoire Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture d’Alger, selon le témoignage de Pierre Bolotte, qui précise : « Ce n’était pas à nous, sous-préfets, de prendre position. »
Vantant le travail « prodigieux » des services secrets français, Pierre Bolotte se souvient qu’un commissaire des Renseignements généraux, qui avait arrêté Ben Bella à Oran des années auparavant, avait été chargé de monter dans l’avion à son atterrissage à Alger pour s’assurer que leur cible principale était bien à bord. Bolotte raconte que l’agent des RG est monté dans l’avion et n’a rien trouvé de mieux à faire que de crier « Ben Bella », lequel se serait levé et aurait répondu « présent ».
L’opération est, du point de vue français, un succès total : Ben Bella et ses compagnons du FLN, accusés de comploter contre l’État français, sont arrêtés et la valise avec laquelle voyageait le leader indépendantiste est récupérée « toutes affaires cessantes » par les services secrets.
Seulement voilà, parmi les six personnes appréhendées par les Français se trouve un homme, le journaliste et écrivain Mostefa Lacheraf, qui, s’il est clairement un militant de la cause indépendantiste, n’est pas de l’équipe Ben Bella. Il n’en sera pas moins arrêté et emprisonné lui aussi. Son calvaire durera cinq ans. En dépit de mouvements publics de protestation pour demander sa libération et d’une grande gêne au sein même du gouvernement, Mostefa Lacheraf ne sera libéré qu’en mai 1961.
Deux ans plus tôt, dans une note du 22 juin 1959, qui fait partie des documents récemment déclassifiés, le ministère des armées justifiait le maintien sous écrou de Lacheraf. Tout en reconnaissant qu’« aucune charge précise n’a été relevée jusqu’ici à l’encontre de l’intéressé », le ministère des armées dit craindre que « la libération de Lacheraf soit interprétée comme une mesure préparatoire à l’élargissement des leaders du FLN ».Le ministère suggère alors de ne pas trop s’embarrasser d’« orthodoxie judiciaire ». « L’aspect judiciaire de l’affaire s’efface donc entièrement devant son côté politique, et c’est sous l’angle politique uniquement que doit être appréciée la situation de Lacheraf », argue-t-il.
Ces considérations vont contraindre Lacheraf à rester en prison presque deux années supplémentaires.
Dans une note datée du 12 mai 1961, un conseiller du général de Gaulle, Bernard Tricot, finira par reconnaître le caractère illégal de la situation.
Extrait :
« Lacheraf, journaliste et publiciste musulman d’Algérie, a été arrêté en même temps que Ben Bella et ses compagnons. L’instruction faite par le tribunal permanent des forces armées de Paris a montré que si Lacheraf se trouvait dans le même avion que Ben Bella et d’autres dirigeants du FLN, il n’avait lui-même aucune responsabilité au sein de cette organisation. Aucune charge précise n’a donc été relevée contre Lacheraf.
À plusieurs reprises depuis 1959 la libération de Lacheraf a été envisagée. Des démarches ont été faites par diverses organisations, notamment le PEN Club International. Lacheraf a fait plusieurs fois la grève de la faim. Mais pour des raisons psychologiques, le ministère des armées s’est toujours opposé à la libération de l’intéressé […]. Il est certain que la détention prolongée de Lacheraf est judiciairement très contestable. »
Mostefa Lacheraf sera libéré quelques jours plus tard. Son avocat, Me Stibbe, parlera de lui comme d’un homme « accablé » qui « se terre dans une clinique », selon l’écoute téléphonique interceptée par Foccart.
Il mènera par la suite une carrière d’ambassadeur et sera même ministre de l’éducation nationale de l’Algérie. Il est mort en 2007.
CHAPITRE 4
Le 26 mai 1960, un homme de 29 ans, Mohamed Kader, grutier de profession qui dit s’être toujours tenu à bonne distance des activités politiques, se présente au tribunal d’Alger. Il vient déposer plainte. Sa femme, Saadia Mebarek, qui était enceinte, est morte la nuit précédente. Elle avait été arrêtée le 24 mai un peu avant minuit et livrée sans vie au petit matin suivant, sur une civière, par un militaire français, à l’hôpital Mustapha-Pacha.
Pour le pouvoir politique français, l’affaire est potentiellement explosive. Elle intervient deux ans après le retour au pouvoir du général de Gaulle, qui avait promis de mettre fin aux dérives de l’armée. L’inquiétude est d’autant plus grande que dès le mois de février 1960, un membre du ministère de la justice avait écrit une note au ministre Edmond Michelet pour lui faire savoir que, selon les confidences d’un magistrat militaire « d’un très haut grade », « une justice parallèle se traduisant par des tortures et des exécutions sommaires » continuait de s’exercer sans vergogne en Algérie.
Dès le 11 juin, le ministre des armées Pierre Messmer adresse sous pli « secret » à l’Élysée un rapport, rédigé quelques jours plus tôt par un colonel du secteur Alger-Sahel, sur les circonstances de la mort de Saadia Mebarek.
L’histoire racontée par l’armée est celle-ci : dans la nuit du 24 au 25 mai, cinq femmes « suspectées de propagande abstentionniste pour les élections cantonales dans le cadre des ordres diffusés par le FLN » sont arrêtées par l’armée. Des « renseignements d’informateurs recoupés » ont convaincu les militaires que certaines des suspectes ont fait pression sur des habitants pour qu’ils n’aillent pas voter, jusqu’à proférer des menaces de mort.
Si des interrogatoires ont bien été menés et si la force a dû être employée face aux résistances des personnes arrêtées, « en aucun cas, elles ne furent l’objet de sévices », écrit l’auteur du rapport. Saadia Mebarek y est présentée, elle, comme une femme « atterrée », ayant « perdu tout contrôle ».Le rapport transmis par Messmer affirme qu’une demi-heure seulement après sa libération survenue à 3 h 30 du matin, une patrouille militaire la découvre inanimée à 100 mètres de chez elle, complètement par hasard. Encore en vie, d’après le rapport, elle est transportée à l’hôpital, où son décès est constaté. Fin de l’histoire. Du moins de l’histoire officielle.
Car les archives récemment déclassifiées montrent qu’une tout autre version est connue du pouvoir exécutif. Le procureur général d’Alger, Robert Schmelck, écrit en effet une note pour le ministre de la justice, Edmond Michelet, accablante pour l’armée.
« À titre confidentiel, écrit le magistrat, le Docteur m’a laissé entendre qu’il était très vraisemblable que l’asphyxie était le résultat d’une électrocution […]. Selon toute vraisemblance, la dame Mebarek est morte des suites de sévices qu’on a exercés sur elle. » L’autopsie révèle notamment des lésions sur les seins, au bras droit, à la cheville gauche et sur les parties génitales de la suppliciée, dont les cris pendant son interrogatoire ont été entendus par des témoins.
Le procureur général dit à son ministre que de tels faits ne peuvent être laissés sans sanction.
Il conclut son rapport avec ces mots : « Il y va de l’autorité du gouvernement et du prestige du chef de l’État. Il a été dit et répété aux musulmans qu’il ne serait plus exercé de sévices sur les suspects. Il semblait que les ordres donnés à ce sujet par les autorités administratives et militaires aient été, dans les derniers temps, mieux respectés que par le passé, mais voilà que les mêmes faits se reproduisent. Si dans le passé des sanctions ont été prises par des autorités militaires, aucune d’elles n’a été connue de la population, qui est entretenue dans le sentiment qu’il existe deux poids et deux mesures et que les plus hautes autorités de l’État n’arrivent pas à imposer leur volonté aux organes d’exécution. »
Le secrétaire général de l’Élysée, Geoffroy de Courcel, a donc de bonnes raisons de douter de la version servie par le ministre des armées dans l’affaire Mebarek. Raison pour laquelle, dès le 3 juin, il saisit Maurice Patin, le président d’une commission indépendante (la commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels) censée enquêter sur les abus de l’armée en Algérie : « Bien que l’autorité judiciaire soit déjà saisie de cette affaire, il serait souhaitable au président de la République que la Commission de sauvegarde effectue, dans un délai rapproché, une enquête à son sujet », écrit le numéro 2 de la présidence de la République.
Cinq jours plus tard, Maurice Patin, magistrat de profession et membre du Conseil constitutionnel, lui répond d’une plume désabusée : « Il m’apparaît d’ores et déjà que ces informations, comme mes interventions, seront vaines, si les hautes autorités militaires doivent manifester autant d’hésitation que par le passé à assurer, à cet égard comme à tous autres, la discipline de l’armée et à prononcer elles-mêmes les sanctions impitoyables contre les auteurs de pareils excès, dont la persistance est décourageante. »
Le 18 janvier 1962, au terme d’un procès à huis clos, le tribunal militaire de Paris décidera d’acquitter totalement les trois militaires poursuivis pour avoir provoqué la mort de Saadia Mebarek après l’avoir torturée.
Récit : Fabrice Arfi
Photos de couverture : Charles de Gaulle (© Jacques Grevin / AFP). Photo non-datée de Maurice Audin (© AFP). Jacques Foccart (© AFP). Mostefa Lacheraf en 1977 (© AFP). Des membres de la police militaire contrôlent un Algérien dans la Casbah, le 19 août 1956 à Alger (© Jacques Grevin / AFP).
Les photos de torture qui illustrent cet article sont issues du fonds Jean-Philippe Charbonnier déposé à la Bibliothèque nationale de France. En reportage fin 1956 en Kabylie pour le magazine Réalités, Jean-Philippe Charbonnier a été invité par des militaires passablement éméchés à prendre en photo des interrogatoires.
17 OCTOBRE 1961 : UNE MÉMOIRE À VIF ENQUÊTE
Des archives inédites de la présidence de la République, consultées par Mediapart, le prouvent désormais : Charles de Gaulle et l’Élysée ont tout su – et très vite – de ce crime d’État. Le président a même demandé par écrit que les « coupables » soient poursuivis. Mais le massacre restera à jamais impuni, judiciairement et politiquement.
6 juin 2022
De Gaulle savait et il savait tout. Depuis plus de soixante ans, un épais mystère entourait l’histoire du massacre du 17 octobre 1961, un crime d’État qui ne cesse aujourd’hui encore de hanter la mémoire franco-algérienne. Les faits sont connus : une manifestation d’Algériens, qui protestaient pacifiquement dans Paris contre le couvre-feu raciste qui leur avait été imposé par les autorités, a été réprimée par la police dans une brutalité inouïe, faisant des dizaines de morts — certaines victimes de la répression ont été jetées à la Seine.
Mais une question majeure demeurait, comme le rappellent les historiens Jim House et Neil MacMaster dans leur ouvrage de référence Paris 1961 (Tallandier) : « On sait à vrai dire très peu de choses sur les réactions officielles ou même informelles du 17-Octobre au plus haut niveau du gouvernement. De Gaulle et ses ministres ne font aucune mention des événements dans leurs Mémoires, et l’accès à des documents essentiels de l’Élysée, de Matignon et du ministère de l’Intérieur demeure interdit. »
Grâce à l’ouverture récente et partielle d’archives publiques – l’arrêté gouvernemental en autorisant l’accès a été signé fin décembre 2021 –, Mediapart a pu consulter plusieurs documents issus de la présidence de la République qui prouvent aujourd’hui que le général de Gaulle a tout su, et très vite : c’est-à-dire la responsabilité de la police dans le crime, comme l’étendue de celui-ci.
Une annotation manuscrite de Charles de Gaulle sur un document de l’Élysée prouve même que le président, confronté à la réalité de la situation, avait demandé que les coupables soient châtiés, réclamant aussi que son propre ministre de l’intérieur, Roger Frey, intervienne face à l’extrême danger des dérives des forces de l’ordre.
Mais il ne se passera rien : aucun policier ne sera jamais condamné ; Maurice Papon, le préfet de police qui a supervisé et couvert le massacre, restera en place, tout comme le ministre Roger Frey ; et ce crime restera à jamais impuni, s’effaçant peu à peu de la mémoire collective si ce n’était l’acharnement de quelques historiens, archivistes, militants et journalistes pour continuer de chercher la vérité.
Deux documents en particulier, conservés sur le site de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) des Archives nationales [voir la Boîte noire de cet article], permettent aujourd’hui d’éclairer cette part d’ombre de l’histoire.
Le premier est une note signée des initiales de Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes et les questions juridiques à l’Élysée. Elle date du 28 octobre 1961, soit onze jours après la tragédie.
« J’ai été informé par le directeur de cabinet du garde des Sceaux de ce que le procureur général de la cour d’appel de Paris et le procureur de la République près le tribunal de la Seine sont venus l’avertir des procédures judiciaires en cours à la suite de la mort d’un certain nombre de musulmans dont les corps ont été retrouvés après les récentes manifestations », écrit Bernard Tricot.
« Il y aurait 54 morts. Les uns auraient été noyés, les autres étranglés, d’autres encore abattus par balles. Les instructions judiciaires ont été ouvertes. Il est malheureusement probable que ces enquêtes pourront aboutir à mettre en cause certains fonctionnaires de police », poursuit le haut fonctionnaire.
Ce dernier précise que le ministre de la justice, Bernard Chenot, nommé à ce poste moins de deux mois plus tôt en remplacement d’Edmond Michelet, réputé trop conciliant avec le FLN algérien selon certains partisans de la ligne dure comme le premier ministre Michel Debré, doit « s’entretenir de ces faits » avec son homologue de l’intérieur.
L’Élysée s’attend à la mise en cause de policiers après la tragédie du 17 octobre 1961.
Le fait que l’un des plus proches collaborateurs de Charles de Gaulle écrive dès le 28 octobre 1961 une note annonçant une première estimation aussi importante du nombre de morts — certains historiens parlent aujourd’hui de cent à deux cents possibles victimes —, les modalités de leur supplice et la responsabilité probable de la police française dans le crime n’étaient à ce jour pas connues.
Mais une deuxième note du même Bernard Tricot, annotée à la main par le général de Gaulle, figure également aux Archives nationales. Nommément adressée au président de la République, elle est datée du 6 novembre 1961. Dès son premier paragraphe, il est fait référence à « la découverte dans la région parisienne, depuis le 22 octobre, des cadavres d’un certain nombre de Musulmans algériens ».
Le haut fonctionnaire fait savoir au chef de l’État que « le parquet ne dispose pas en général d’éléments suffisants pour étayer les poursuites ». Et il ajoute : « La question d’ordre gouvernemental qui se pose est celle de savoir si on se bornera à laisser les affaires suivre leur cours, auquel cas il est probable qu’elles s’enliseront ou si le ministre de la justice ainsi que le ministre de l’intérieur doivent faire savoir aux magistrats et officiers de la police judiciaire compétente que le gouvernement tient à ce que la lumière soit faite. »
Il faut que le ministre de l’intérieur prenne vis-à-vis de la police une attitude d’ “autorité”.
Note manuscrite du 6 novembre 1961 de Charles de Gaulle.
« Il importe beaucoup, semble-t-il, que le Gouvernement prenne dans cette affaire une position qui, tout en cherchant à éviter le plus possible le scandale, montre à tous les intéressés que certaines choses ne doivent pas être faites et qu’on ne les laisse pas faire. À agir autrement, on s’exposerait, je crois, à laisser se développer dans la police un processus dont l’extrême danger s’est révélé au cours des dernières années dans d’autres formations », poursuit Bernard Tricot, qui fait ici référence aux dissidences qui ont pris corps dans l’armée, notamment avec la création au début de l’année 1961 de l’Organisation de l’armée secrète (OAS).
À la fin de sa note, Bernard Tricot demande au général de Gaulle « s’il autorise que le point de vue qui vient d’être indiqué soit exprimé aux ministres intéressés ».
La réponse manuscrite du président de la République, rédigée à l’encre bleue et figurant sur la colonne de gauche de la première page du document, est sans ambiguïté : « 1) Il faut faire la lumière et poursuivre les coupables. 2) Il faut que le ministre de l’intérieur prenne vis-à-vis de la police une attitude d’“autorité”, qu’il ne prend pas, et qui, d’ailleurs, n’exclut nullement, bien au contraire, la “protection” ».
En réalité, aucun coupable ne sera puni, l’Élysée ne s’exprimera jamais sur le sujet et le ministre de l’intérieur sera maintenu dans ses fonctions. Le préfet de police de Paris de l’époque, Maurice Papon — il sera condamné en 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour sa participation à la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale —, réussira même à imposer un contre-récit policier face aux plaintes déposées par les proches de victimes du massacre du 17 octobre 1961.
Un rapport du 26 décembre 1961, signé de Maurice Papon, montre à ce sujet l’étendue des manipulations policières pour étouffer le scandale. Le rapport, cité dans le livre Octobre 1961, un massacre à Paris (Fayard) de l’historien Jean-Luc Einaudi, y est présenté comme ayant été adressé au ministre de l’intérieur. Mais les archives de la présidence De Gaulle montrent qu’une copie a également été personnellement envoyée par Maurice Papon au secrétaire général de l’Élysée, Geoffroy Chodron de Courcel. Cet exemplaire porte une mention « Vu » apposée au crayon à papier.
Le document a pour titre : « Enquêtes effectuées au sujet de plaintes contre la police, consécutives aux manifestations du 17 octobre 1961 ». Tout est mis en œuvre, sous la plume de Maurice Papon, pour décrédibiliser la moindre mise en cause de la police.
De très nombreuses plaintes ont été déposées ? Elles « ont été acheminées entre le 30 octobre et le 2 novembre par des avocates du FLN », souligne le préfet de police, qui relève que plusieurs plaignants « habitent à proximité les uns des autres » et d’en conclure : « Le caractère concerté de ces plaintes apparaît donc facilement : les plaignants ont laissé d’ailleurs plus ou moins entendre qu’il y a eu racolage par les avocates. »
Certains plaignants ne se sont finalement pas présentés devant les policiers ? « L’enquête ne peut guère laisser d’illusion sur le bien-fondé de leurs réclamations », en déduit Maurice Papon, qui précise que certains plaignants, qui, eux, se sont présentés, ont été « convaincus de mensonges ». Le préfet de police n’hésite pas à parler ainsi d’une « évidente mauvaise foi » apparue, selon lui, dans les cas signalés.
Maurice Papon accusera aussi dans son rapport le FLN du meurtre d’au moins deux Algériens imputés à la police française. Et pour les seuls cas de sévices réels, le préfet souligne que leur « importance a été démesurément grossie ».
Également saisi d’informations publiées par le quotidien L’Humanité, selon lesquelles de très nombreux Algériens arrêtés par la police le 17-Octobre ont ensuite subi des sévices dans un centre d’internement à Asnières (Hauts-de-Seine), le rapport Papon conclut : « Rien d’anormal n’a été constaté pendant leur présence dans les locaux d’Asnières […]. Il ressort donc bien de l’enquête que cette affaire a été montée de toutes pièces par le journal L’Humanité à des fins d’ordre politique, d’ordre général et local. »
Un autre document figurant dans les archives de l’Élysée confirme que tout fut fait, sous la responsabilité du préfet Papon, pour empêcher l’éclatement de la vérité sur le massacre du 17-Octobre. Il s’agit cette fois d’un tableau de huit pages de « comparaison entre les faits allégués et les résultats de l’enquête ». Partout on peut lire ce type de remarques : « Plainte de circonstance imposée par le FLN », « plainte mensongère », « plainte douteuse », « plainte mensongère ordonnée par le FLN », « plainte tardive et suspecte »…
De telles conclusions tranchaient pourtant, déjà à l’époque, avec l’étendue des connaissances sur ce crime d’État, qu’un haut fonctionnaire du Conseil d’État, Michel Massenet, décrira en ces termes dans une note de l’automne 1961 (mais non datée précisément) et adressée à l’Élysée : « L’on peut en tout cas affirmer que la violence qui s’y est manifestée à froid est sans précédent dans les annales policières en France. »
Ce n’est pas tout. Une troisième note de l’Élysée, non signée mais vraisemblablement rédigée par le conseiller élyséen Benard Tricot – elle émane de ses archives –, montre qu’au-delà du massacre du 17-Octobre la présidence de la République n’ignorait rien non plus du déchaînement criminel de la police française, cible durant l’année 1961 d’attaques imputées au FLN, contre des Algériens résidant en métropole.
Il arrive que des personnes apparemment innocentes […] soient tuées par les forces de l’ordre.
Note de l’Élysée du 25 octobre 1961.
Adressée le 25 octobre 1961 à Geoffroy Chodron de Courcel, le secrétaire général de la présidence, cette note décrit ni plus ni moins qu’une véritable terreur d’État.
La voici :
« S’agissant des brutalités ou sévices dont les Musulmans algériens ont pu être victimes ces derniers jours à Paris, je laisserai de côté tout ce qui a pu se passer au cours des manifestations ou immédiatement après. De même, il n’y a pas lieu de tenir compte de tous les renseignements à caractère vague ou hypothétique. En retenant seulement les faits précis venant de sources sérieuses, on peut indiquer : qu’il arrive que des personnes apparemment innocentes, et en tout cas n’ayant aucune attitude menaçante, soient tuées par les forces de l’ordre.
— À Gennevilliers, le jeudi 12 octobre, à 20 heures 30, 60, rue de Richelieu, devant l’école de garçons, un élève du cours de français, Ali Guérat, a été tué par balle. Le directeur du cours, M. Vernet, a été témoin de ce meurtre.
— Il arrive que lorsque des Musulmans sont appréhendés par les policiers ceux-ci détruisent devant eux leurs papiers d’identité. Ce fait, bien qu’il ne soit pas sanglant, me paraît des plus graves. Par une véritable voie de fait la police met elle-même des hommes en situation irrégulière.
— Des hôtels ou magasins musulmans ont été saccagés par la police (un hôtel dans le XVIIIe arrondissement, des magasins à Nanterre) sans qu’apparemment les destructions faites aient pu se justifier par les nécessités d’une lutte soutenue, par des mesures de sécurité ou par les besoins d’une investigation.
— Des hommes appréhendés après les manifestations et conduits dans des lieux de rassemblement (Vincennes, la Porte de Versailles, un lieu nommé “les carrières”, etc.) ont été brutalisés, précipités du haut de l’escalier, roués de coups.
— Dans certains endroits, les hommes appréhendés étaient tellement tassés les uns contre les autres qu’ils furent obligés de rester debout non seulement le jour mais aussi la nuit. »
Mediapart a présenté tous les documents cités dans cet article à deux historiens spécialistes de l’Algérie et du 17 octobre 1961, Fabrice Riceputi, auteur du livre Ici on noya les Algériens (Le Passager clandestin, 2021), et Gilles Manceron, qui a rédigé le texte La Triple occultation d’un massacre pour le livre Le 17 octobre des Algériens (La Découverte, 2011).
Pour Fabrice Riceputi, ces documents « constituent en quelque sorte un chaînon manquant dans l’historiographie de cet événement tragique ». À leur lecture, dit-il, on voit que « la présidence de la République sait que la version des faits farouchement défendue publiquement par son premier ministre, Michel Debré, le ministre de l’intérieur, Roger Frey, et le préfet de police, Maurice Papon, et largement relayée dans la presse grand public, est mensongère ».
De Gaulle a finalement renoncé à demander des sanctions contre les auteurs du massacre pour éviter que sa majorité politique se fracture.
L’historien rappelle que la préfecture de police maintient depuis le 18 octobre 1961 qu’il n’y eut, ce jour-là, que deux morts « français musulmans d’Algérie » et un mort français, à l’occasion d’une manifestation « violente » du fait des Algériens, la police ayant été irréprochable. « Il faut noter ici que la réprobation exprimée par de Gaulle dans ces archives, si elle mérite d’être connue, ne se traduisit jamais par une remise en cause publique de cette version restée officielle durant des décennies », ajoute Fabrice Riceputi.
Il en veut pour preuve que, quatre mois après le 17-Octobre, « Roger Frey et Maurice Papon seront encore, sous l’autorité de De Gaulle, responsables d’une autre tuerie policière : celle du métro Charonne, faisant neuf morts le 8 février 1962 dans une manifestation anti-OAS. Et l’un et l’autre seront maintenus en poste par de Gaulle durant cinq années supplémentaires, jusqu’en 1967 ».
L’historien Gilles Manceron affirme de son côté que les documents consultés par Mediapart « confirment que le général de Gaulle, qui avait retiré au premier ministre toute autorité sur la politique algérienne, avait laissé à celui-ci, à sa demande, la responsabilité du “maintien de l’ordre” en France et qu’il avait désapprouvé la manière dont il a frappé le FLN et l’émigration algérienne en 1961 ».
Mais « pour éviter que sa majorité ne se fracture et qu’une partie le désavoue », selon Gilles Manceron, le général de Gaulle a finalement renoncé à demander les sanctions qui lui paraissaient pourtant logiques contre les auteurs du massacre, comme le montrent les archives inédites de sa présidence.
De fait, les poursuites judiciaires encouragées par le chef de l’État furent stoppées net en mars 1962 à la suite de la promulgation d’une loi d’amnistie concernant tous les crimes et délits « en relation avec les événements d’Algérie ».
Voici comment après le meurtre d’innocents, l’impunité a tenté d’assassiner la mémoire.
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Le 19 juin 1965, Houari Boumediene renverse le président algérien Ahmed Ben Bella et lance une répression contre la gauche. L’Internationaliste situationniste s’apprête alors à publier une sévère critique du régime avec son Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays. Des archives dévoilent l’histoire de ce fameux tract et de sa diffusion sous le manteau dans un contexte désabusé.
HISTOIRE > POLITIQUES > WALID BOUCHAKOUR > 2 JUILLET 2021
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Internationale situationniste. Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays (et autres textes)
Libertalia, 22 août 2019
Textes rassemblés et présentés par Nedjib Sidi Moussa
Édition établie par Charles Jacquier
120 pages — 8 €
Le lien entre le renversement du président algérien Ahmed Ben Bella par le colonel Houari Boumediene le 19 juin 1965 et l’Internationale situationniste ne semble pas évident a priori. Héritiers du surréalisme et du mouvement dada, les situationnistes formulent à la fin des années 1950 une théorie révolutionnaire se voulant globale. Associée à la dénonciation de « la société du spectacle »1 dans les pays capitalistes, cette théorie portait également une critique des pays communistes et du tiers-monde. Les situationnistes, qui côtoyaient en France les travailleurs et étudiants de l’émigration nord-africaine, avaient soutenu la lutte contre la colonisation tout en critiquant sa dimension nationaliste2.
L’engagement anticolonial des situationnistes se prolonge après l’indépendance par des textes appelant à la concrétisation d’une révolution socialiste dans les pays décolonisés. L’Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays est certainement leur intervention la plus notable. Ce tract distribué à Alger en 1965, durant les semaines suivant le putsch de Boumediene, est souvent évoqué dans la littérature situationniste, mais nous savons peu de choses sur son impact en Algérie. La consultation des archives du situationniste tunisien Mustapha Khayati, conservés à la Beinecke Library de Yale, et de lettres inédites d’un étudiant algérien permettent de retracer l’histoire de la confection et de la diffusion de ce tract.
« Réactionnaire ! », répond nerveusement un étudiant algérois interrogé par la télévision française. Sa voix est tendue, il se mord les lèvres. « Typiquement fasciste dans la manière et les prolongements vont forcément suivre. Il n’y a qu’à voir les bourgeois se réjouir », martèle-t-il. Incroyable courage de ce jeune homme dont on ne saura pas le sort, mais qui laisse une archive fascinante. Il exprime sans détour son opposition au putsch, s’adresse à un journaliste étranger sans maquiller ses idées et les articule dans un vocabulaire marxiste. Ses propos vont contre l’idée reçue sur l’époque du Front de libération nationale (FLN). Il y avait évidemment le Parti communiste algérien et le Mouvement national algérien (MNA) interdits, les courants dissidents de Hocine Ait-Ahmed et de Mohamed Boudiaf, mais aussi, et surtout, une diversité au sein même du FLN. De 1962 à 1965, le FLN comprenait une aile gauche représentée notamment par Mohamed Harbi et Hocine Zahouane. Ben Bella avait également des conseillers très à gauche, comme le trotskiste grec Michel Raptis, dit « Pablo », fondateur de la IVe Internationale. Sans en exagérer la portée, on peut supposer que les idées de gauche traversaient aussi la société, notamment parmi les étudiants organisés au sein de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA) liée au Parti communiste algérien.
Au sortir de 132 ans de colonisation, le pays comptait 80 % d’analphabètes et une grande partie de la population vivait dans la misère. Tout était à reconstruire et différents idéaux se confrontaient. Exemple du bouillonnement politique à Alger : le 8 mars 1965, les Algéroises ont transformé un défilé officiel en manifestation réclamant l’égalité des droits. Sous la pression des manifestantes, Ben Bella s’engage dans ce sens lors de son discours à la salle Majestic de Bab El-Oued3. Auparavant, en décembre 1964, au congrès de la Fédération de travailleurs de la terre, les agriculteurs ont exprimé sans détour leur insatisfaction. Un délégué de Saïda lance : « Soixante-trois fermes n’ont pas été payées depuis deux mois. Il y a des ouvriers qui dorment à la belle étoile. Et il y a des cadres qui ont dix maisons (…). Soixante-trois comités de gestion m’ont chargé de dire que nous sommes encore colonisés par les bourgeois »4.
Durant les premières années de l’indépendance, la gauche était présente dans la presse avec l’hebdomadaire en arabe El Moudjahid de Lemenouar Merouche, Alger ce soir de Mohamed Boudia et Révolution africaine sous la direction de Mohamed Harbi. À la radio, média de masse par excellence, les Algériens pouvaient écouter le poète Jean Sénac auteur du fameux vers « Belle comme un comité de gestion », les billets de Michel Raptis (théoricien de l’autogestion), les émissions de Fadhela M’Rabet et Maurice Tarik Maschino sur la situation des femmes. Autant dire que le public était largement exposé aux idées révolutionnaires. Cela dit, deux visions du socialisme s’opposaient au sein du FLN : d’un côté l’aile gauche internationaliste, de l’autre l’armée ainsi que les conservateurs qui voyaient d’un mauvais œil ce « cosmopolitisme » et appelaient à un socialisme respectueux des « valeurs traditionnelles » algériennes. Ils rejettent l’idée marxiste de lutte des classes au profit de la vision d’un peuple uni par son histoire et son identité. La gauche était dans une position minoritaire sous Ben Bella, avant d’être clairement pourchassée avec l’arrivée de Boumediene au pouvoir.
Dans sa thèse (à paraitre), Yassine Temlali écrit :
Bien contenues pendant la cohabitation difficile entre l’armée et Ahmed Ben Bella, les critiques du cosmopolitisme du socialisme benbellien et de son « inauthenticité » se sont exprimées brutalement dès le renversement de celui-ci. Dans un discours prononcé le 30 juin 1965, Houari Boumediene a sévèrement critiqué le recours à des conseillers non algériens les qualifiant d’ »aventuriers » et affirmant que l’Algérie « n’[avait] pas besoin de guides étrangers qui lui donnent des leçons sur la façon de construire le socialisme » »5.
Dans ses mémoires filmés, Mohamed Harbi6 parle des mois suivant le putsch du 19 juin comme une période d’intense activisme. Le coup de force de Boumediene a poussé différentes tendances de la gauche algérienne, plus particulièrement les communistes et l’aile gauche du FLN, à se rejoindre dans la clandestinité au sein de l’organisation de la résistance populaire. Dans un des tracts de l’Organisation de la résistance populaire (ORP), signé Hocine Zahouane, on peut lire :
Peuple algérien ! Il serait illusoire d’attendre du pouvoir militaire formé sur le régime du sabre et le sang des enfants du peuple, une vie politique démocratique (…) Coupé du peuple travailleur, fondamentalement méfiant à son égard, il ne pourra régner que par le mensonge, la démagogie sociale et la répression.
Les manifestations contre le putsch organisées par des étudiants n’ont généralement pas été réprimées dans un premier temps, mais une vague d’arrestations suivra et nombre de militants de gauche seront torturés. C’est dans ce contexte explosif qu’est distribué l’Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et du monde entier.
Avant d’être publié dans le bulletin de l’Internationale situationniste, ce texte non signé a été distribué à Alger ainsi que dans plusieurs capitales européennes en 1965. La correspondance de Mustapha Khayati montre qu’il a été rédigé entre Strasbourg où il étudiait et Paris, en collaboration avec Guy Debord. Les situationnistes pratiquaient un « communisme littéraire » qui se traduisait par la rédaction collective de textes non signés. L’importance de la correspondance autour de ce projet montre que les situationnistes y tenaient particulièrement7. L’Adresse sera traduite en plusieurs langues (anglais, allemand, espagnol, arabe) afin d’être « lisible sur toute la planète », selon les mots de Debord, qui portait un intérêt particulier à la stratégie de communication du groupe.
Le choix de publier ce texte à Alger en juin 1965 n’est pas fortuit. La ville s’apprête à accueillir le Festival international de la jeunesse sous le signe de « la solidarité avec la jeunesse et le peuple algériens en lutte pour l’édification socialiste de la République démocratique et populaire algérienne ». Mais l’évènement est annulé et le tract tout de même distribué dans le bouillonnement politique qui suit le putsch de Boumediene contre Ben Bella.
Les « révolutionnaires d’Algérie » du titre sont donc les militants et acteurs politiques soutenant l’accomplissement d’une révolution socialiste. Il faut souligner que la critique situationniste du « masque révolutionnaire » de l’État algérien était d’abord portée contre le gouvernement de Ben Bella. Ses décisions n’allaient pas toujours dans le sens des orientations que les militants de gauche proposaient et le secteur autogéré était déjà en crise. Les situationnistes se positionnaient donc dans une critique des intellectuels qui croyaient en une réalisation de l’autogestion dans le cadre étatique.
Le titre initial du tract était « Tout est à refaire ». C’est Guy Debord qui propose « Adresse aux révolutionnaires algériens et de tous les pays » en sous-titre. L’évolution du manuscrit va vers l’internationalisation du propos. Différentes tentatives révolutionnaires sont mises en perspective : le « mouvement d’émancipation des Noirs » aux États-Unis, les étudiants japonais ; la répression à Saint-Domingue, l’assassinat de Patrice Lumumba au Congo, la lutte contre Francisco Franco en Espagne… Dans tous ces exemples, les auteurs montrent le peu de solidarité des États dits socialistes. La révolution, assurent-ils, ne peut s’accomplir qu’à une échelle mondiale hors du cadre étatique. « Partout des révolutionnaires, mais nulle part la Révolution », écrivent les situationnistes avec leur art de la formule-choc. Le socialisme, assurent-ils, n’existe « ni en Russie ni en Chine ni ailleurs ». Plus largement, il s’agit d’une critique du Parti communiste, mais aussi des trotskistes qui voyaient dans l’URSS un « État ouvrier dégénéré », quand les situationnistes le classaient au rang des « capitalismes d’État », de même que la Chine et les États du tiers monde.
« Aux explosions sporadiques de la contestation révolutionnaire répond une organisation internationale de la répression ». La négation est radicale et le texte n’annonce rien moins que « la défaite du projet révolutionnaire » à l’échelle mondiale et aspire à une « nouvelle théorie révolutionnaire »8. S’avançant sur des terrains plus expérimentaux, il fait référence à la « libération de la vie quotidienne » ou encore au « contenu libérateur » de la psychanalyse. La question de la reprise en main de la « réalité » est exprimée dans les termes que développera Debord dans La Société du spectacle. Le spectacle est celui de la consommation dans les pays capitalistes, mais aussi celui du « spectaculaire concentré » incarné par le « chef unique » dans les pays sous-développés. Deux paragraphes sont d’ailleurs ajoutés pour expliquer ces notions dans la version publiée dans L’Internationale socialiste, avec en illustration d’une part le « conducteur du peuple » indonésien Soekarno en « séducteur de cinéma » et d’autre part une photo du magazine Lui montrant une panoplie d’objets censée représenter l’homme d’affaires.
Après le coup d’État du 19 juin 1965, les situationnistes n’en démordent pas : la chute de Ben Bella confirme, estiment-ils, leur critique du masque révolutionnaire dans les pays du tiers-monde. C’est ce que souligne le paragraphe qu’ils ajoutent dans l’urgence pour coller à l’actualité. Les caméras du monde sont braquées sur Alger durant les mois qui suivent le putsch. Ce qui en fait « la ville du monde où la diffusion de ce texte ferait le plus sensation », s’enthousiasme Debord dans une de ses nombreuses lettres à Khayati.
Le tract est envoyé à Nasri Boumechal, étudiant algérien à Strasbourg, qui se charge de la distribution à Alger. D’infinies précautions sont prises pour ne pas compromettre ce contact à un moment où la répression fait rage. Les tracts sont camouflés en polycopiés de cours. Une lettre du 8 juillet 1965 envoyée par Nasri Boumechal à Khayati offre un précieux aperçu sur l’ambiance à Alger. Les communistes, rapporte-t-il, soutiennent toujours Ben Bella, mais « comptent sur les contradictions internes du CNR et sur un éventuel incident d’une éventuelle gravité qui pourrait mettre le feu aux poudres. La discussion avec eux est déprimante : il n’y a rien à tirer ». La lettre poursuit sur le même ton de désillusion affirmant que ceux qui ne regrettent pas Ben Bella estiment que « cela ne pourra pas être pire ». Pourtant la répression est déjà palpable : « Les membres du CE et de l’UNEA sont soit en prison soit à l’hôpital (tortures) ou en clandestinité », écrit Nasri, avant de conclure : « La situation est quand même encore assez trouble en définitive : je crois que le pouvoir nouveau est bien installé. Les patrouilles militaires n’apparaissent qu’à la tombée de la nuit ».
De son côté, Debord suit de près la distribution et les échos médiatiques du tract… finalement minimes. À peine relève-t-il la mention d’un « texte non précisé » dans Le Monde. Malgré cette maigre revue de presse, Debord se demande si Mohamed Harbi n’a pas été arrêté parce que soupçonné d’être l’auteur de l’Adresse. Engagé dans la clandestinité avec l’ORP, Harbi avait bien d’autres raisons d’être arrêté. Les lettres venant d’Alger décrivent la chape de plomb qui s’abat sur les militants de gauche. En octobre 1966, Nasri Boumechal parle d’une crise de confiance et d’un désintérêt de la population pour la politique : « La réflexion la plus répandue : « ce sont tous les mêmes ; chacun se remplit les poches et fout le camp. À quand le tour de Boumediene ou de tel ou tel autre ministre » ». La lettre évoque également les échos de l’Adresse parmi les étudiants :
Peut-être certains étudiants s’intéressent-ils de près, mais il manque une base : les milieux les plus avancés vivent en pleine idéologie et manquent d’audace révolutionnaire en ce qu’ils ne peuvent concevoir un pays sans gouvernement fort : « Sinon cela va être l’anarchie ». Leur révolutionarisme est très conservateur (…) Je pense que si on veut que l’IS développe son audience, il faudrait être sur place : même les plus staliniens (donc les plus bornés) ne peuvent résister à une rétrospective sur la Révolution d’octobre et toute l’idéologie stalinienne pseudo-trotskiste (mots raturés) peut être balayée. Le risque est que cet éclaircissement théorique ne se transforme à son tour en pure idéologie.
La rencontre entre l’Internationale situationniste et la gauche algérienne se clôt sur une note amère. Une incompréhension sépare ce groupe indépendant de théoriciens révolutionnaires des militants de gauche algériens qui espèrent encore orienter la fondation de l’État vers le socialisme.
D’autres connexions existeront plus tard, comme le montre l’excellent ouvrage Internationale situationniste. Adresse aux révolutionnaires d’Algérie présenté par Nedjib Sidi Moussa. Toutefois la distribution du tract sera l’action situationniste la plus importante en Algérie même. Son évocation permet d’avoir un aperçu de l’ambiance politique d’Alger en juin 1965. Comme l’analyse Malika Rahal : « On ne passe pas, en général, de la colonisation à des régimes autoritaires de parti unique. En général, il y a une transition avec une période où il y a une certaine ouverture politique possible ».
Si on a souvent abordé l’Algérie des premières années de l’indépendance comme terre d’accueil des révolutionnaires du monde entier, il reste à mettre en relief le potentiel révolutionnaire des Algériens eux-mêmes en dépit des limites imposées par le système du parti unique. L’évolution de cet activisme, allant de la dissidence à la participation en passant par le « soutien critique », ressurgit aujourd’hui comme une nécessaire histoire populaire permettant de mettre en perspective les développements politiques actuels.
Parler de l’usage du napalm par la France durant la guerre d’indépendance, c’est revenir sur un déni d’État. À l’instar d’autres armes chimiques, ce produit a été utilisé en dépit des conventions de Genève dont Paris était signataire. S’il est difficile de dresser un bilan complet aujourd’hui, les témoignages sont là pour rappeler l’étendue de cette violence.
HISTOIRE > CONFLITS > FRANCE-ALGÉRIE, DEUX SIÈCLES D’HISTOIRE > RAPHAËLLE BRANCHE > 25 MAI 2022
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Les autorités françaises le répèteront sans trembler : « Napalm rigoureusement proscrit et jamais employé opération militaire en Algérie »1. Ce mensonge clairement affirmé par le ministre résidant Robert Lacoste2 en 1957 est répété sous la Ve République. Au quai d’Orsay, on assure ainsi que l’armée française « n’a jamais fait usage du napalm » et que « des instructions permanentes du haut commandement militaire français en Algérie interdisent l’emploi de ce produit »3.
Si la France ne peut reconnaître l’usage de cette essence gélifiée utilisée dans des bombes incendiaires, c’est que cette arme est proscrite par les conventions internationales dont le pays est signataire. Son usage viendrait en outre contredire la fiction de simples opérations de maintien de l’ordre menées dans l’Algérie française depuis novembre 1954.
Ce que Paris, Genève ou New York ignorent est pourtant devenu une évidence dans les montagnes algériennes où l’armée française lutte contre les maquisards de l’Armée de libération nationale (ALN). Les forêts qui dérobent ces combattants aux avions français sont particulièrement ciblées : largué par les airs, le napalm enflamme immédiatement la surface sur laquelle il se répand, ce qui le rend particulièrement redoutable dans les régions boisées.
Des témoignages français confirment d’ailleurs ce que les indépendantistes dénoncent à mesure que l’Algérie s’enfonce dans la guerre. En 1959, Hubert Beuve-Méry, le directeur du journal Le Monde, acquiert ainsi la certitude de son usage après s’être entretenu avec le successeur de Robert Lacoste, Paul Delouvrier. Peu de temps auparavant, un caporal avait adressé une lettre au journal pour dévoiler la réalité cachée derrière une dépêche officielle parlant de « rebelles mis hors de combat avec l’aide de l’aviation » : « Ayant participé à l’encerclement et à la réduction de la ferme où [les « rebelles »] étaient retranchés, je puis vous indiquer qu’ils ont en réalité été brûlés vifs, avec une dizaine de civils dont deux femmes et une fillette d’une dizaine d’années, par trois bombes au napalm lancées par des appareils de l’aéronavale », non loin de Sétif, le 14 août 1959.
Les pilotes savent parfaitement ce qu’ils larguent, et les militaires qui demandent leur appui au sol aussi. L’usage du napalm étant interdit, on opte pour un langage codé : « bidons spéciaux ». Dans le secteur de Bou Saada, au sud-est d’Alger, est ainsi consignée, fin septembre 1959, une « action de l’aviation en bombes de 250 livres et en bidons spéciaux sur un camp rebelle »4. Les comptes-rendus d’opérations mentionnent aussi les effets de ces « bombing par bidons spéciaux » comme dans ce bilan d’une opération des 23 et 24 février 1959 qui indique : « Pertes rebelles : 6 cadavres dénombrés dont un sergent et un caporal. Débris humains découverts dans une zone traitée aux bidons spéciaux et correspondant à 5 rebelles repérés par un observateur ». Parfois, le camouflage cède, comme quand le 14e régiment de chasseurs parachutistes relate un affrontement entre plusieurs régiments d’élite et leurs ennemis début avril 1961. La « réduction du nid de résistance » ayant échoué face au « feu violent et précis des rebelles », l’intervention de l’aviation de chasse est demandée. Le journal de marche du régiment note que sont utilisées « des roquettes et des bombes au napalm contre les retranchements rebelles ».
Mohamed Kaced était l’un de ces « rebelles » visés par des bombardements. La grotte où, blessé, il se cache est repérée par l’aviation : « Ils nous ont jeté du napalm ». Un de ses compagnons est atteint :
Le soldat qui avait été brûlé, qu’allions-nous lui faire ? Si on le touchait, on allait être brûlés aussi. Qu’est-ce qu’il fallait faire alors ? Il fallait prendre de la terre et la lui jeter dessus ou prendre un chiffon et le couvrir. Il fallait faire comme ça et surtout éviter de se faire brûler aussi. Parce que les flammes peuvent très vite te toucher5.
Khadija Belguenbour a assisté, impuissante, au bombardement d’une infirmerie :
Il y avait une montagne juste en face : ils ont utilisé le napalm. Il y avait un hôpital, enfin une infirmerie, où ils cachaient les blessés. Je les voyais, ils essayaient de s’évader… Une odeur horrible. Ils se roulaient par terre et leurs chairs restaient sur les pierres. Ils criaient. Ce cri, encore de temps en temps, il me revient aux oreilles6.
Plus tard, elle a elle-même reçu une goutte de napalm et en a gardé un trou dans la tête.
Quand l’aviation approche, la terreur s’empare de ceux qui sont au sol. Si les mitraillages au sol sont redoutés, le napalm donne à la guerre ses couleurs infernales. Meriem Mokhtari l’évoque encore avec précision en 2020 :
L’avion qui a lancé le napalm… Tu vois, la lave des volcans… Le feu arrive, en brasier… Dans la forêt, on voyait aussi les poules fuir avec leurs poussins… les chiens… les bêtes… Les chevaux galopaient, et haletants… Les civils, des femmes qui portaient leurs courses… les vieillards… Il y avait une femme qui a été happée par le napalm… elle a été grillée comme un aliment qu’on grille… elle a été carbonisée par le napalm… Après, dans la forêt, le napalm a provoqué un incendie… Alors les gens le combattaient avec de l’eau et de la terre… Il y en a qui ont pris des couvertures, pour protéger leur tente du feu. (…) Le napalm avait été jeté du haut d’une pente, alors le feu se propageait très vite… On n’avait nulle part où se cacher à l’abri du feu. Alors tu cours, jusqu’à ce que tu trouves un cours d’eau… et tu y restes7.
Le caporal Jean Forestier évoque aussi de « gigantesques gerbes rouges surmontées d’énormes champignons noirs » provoquées par le napalm. Un matin d’avril 1959, sa section est envoyée au rapport : « Vingt et un corps sont dénombrés, une dizaine d’autres sont retrouvés brûlés par le napalm »8.
Pour le CICR soucieux du respect des Conventions de Genève, c’est bien « l’usage de cette arme sur des objectifs non militaires » qui constitue une illégalité flagrante du droit international humanitaire par la France9. Mais le CICR ne peut pas mener d’enquête approfondie sur ce sujet alors que Paris nie toujours être en guerre en Algérie. Le délégué suisse, chargé de plusieurs missions en Algérie sur le sort des prisonniers, affirme pourtant avoir « acquis la conviction […] que l’aviation utilisait, assez couramment, le napalm pour ses bombardements »10. S’agissait-il d’un usage indiscriminé ?
Après huit années de conflit en Indochine qui avaient déjà vu l’utilisation de cette arme, les autorités françaises n’ignoraient pas ses caractéristiques. Cependant, alors que le déni officiel de l’état de guerre ne permet pas d’argumenter sur la possibilité de limiter l’usage du napalm au combat contre un ennemi armé clairement reconnu, c’est la nature du relief algérien qui fournit régulièrement un argument à ceux qui en préconisent l’utilisation. Là où la nature de l’ennemi se dérobe, la géographie fournit la justification ultime à l’emploi de « ce produit pour lutter contre les bandes de hors-la-loi retranchés dans des régions rocailleuses et désertiques où l’intervention des armes classiques entraîne des pertes importantes ou des délais incompatibles avec la fluidité des rebelles ». C’est ce que défend le commandant en chef en Algérie au printemps 1956 auprès de son ministre, avançant par précaution une réserve qu’il sait indispensable : « En aucun cas l’utilisation de ce produit ne sera tolérée sur les mechtas, villages ou lieux d’habitation et [que] je m’en réserverais la décision d’emploi lorsque les autres armes utilisables se seront révélées inefficaces »11.
L’usage restreint et maîtrisé que propose le commandant en chef a-t-il convaincu les responsables politiques ? La persistance des mensonges officiels jusqu’à la fin de la guerre, tout comme le camouflage lexical témoigne a minima, d’une délimitation floue dans son usage. La lutte contre les maquisards réfugiés dans les grottes a bien donné lieu à des recherches et à des expérimentations. Au printemps 1955 déjà, les premiers résultats concluaient à un usage efficace de certains produits chimiques, à condition de s’en tenir aux grottes et non aux terrains découverts qui exposaient trop les soldats français. Des archives régimentaires témoignent de ces tests comme, parmi d’autres, celles du 94e régiment d’Infanterie : à l’été 1956, des expérimentations techniques ont lieu, visant à « rendre l’utilisation de grottes impossible pour les rebelles par procédés chimiques ». Le napalm a certainement fait l’objet de pareils essais. Aumônier de la 25e division parachutiste engagée dans le Constantinois, le père Henri Péninou a témoigné avoir vu « quelques essais d’utilisation du napalm »12, encore approximatifs au début de la guerre :
Oui, moi en tout cas j’ai le souvenir… passant comme ça et larguant, larguant des bombes de napalm. Il nous était demandé, à nous, de faire très attention, quand on était en opération. Mais j’avais l’impression que c’était expérimental. Après, ça ne m’étonnerait pas que les choses se soient poursuivies et aient pris une extension… […] Le relief du terrain était un relief très, très dangereux, très favorable pour les caches des fellaghas, aussi bien pour eux-mêmes en tant que personnes que pour le matériel ou le ravitaillement. Alors… dangereux aussi pour les unités d’intervention, quand on ratissait.
À l’automne 1957, le commandant d’un régiment de chasseurs alpins expose encore à ses supérieurs l’intérêt de cette arme. À l’occasion d’un compte-rendu d’opération dans le massif du Kouriet, en Kabylie, il décrit le bouclage d’un village puis son mitraillage par l’aviation, qui n’a pas empêché un accrochage violent :
Les pertes que nous avons subies ont été l’œuvre de quelques rebelles seulement, remarquables tireurs et embusqués dans un terrain extrêmement mauvais et dangereux. Ces rebelles tenaient une position remarquable et ne pouvaient être délogés qu’à bout de munitions. La preuve a été malheureusement à nouveau faite que dans un terrain pareil, pour abattre un rebelle, on risque de perdre dix hommes.
Et il insiste :
Lorsque le terrain est particulièrement mauvais et qu’on l’on risque des pertes hors de proportion avec les résultats que l’on pourrait obtenir, il est certainement plus avantageux de faire matraquer la bande rebelle par l’aviation, des B26 par exemple, et l’emploi du napalm dans ce terrain rocheux où le rebelle peut s’embusquer remarquablement semble seul efficace13.
Dans les années suivantes, la justification par le relief allait pouvoir se combiner avec le développement de la pratique des zones interdites. Dans ces espaces officiellement interdits à tout civil, l’armée française pouvait affirmer n’avoir que des ennemis. De fait, le caractère discriminé de l’emploi du napalm était possible, du moins en théorie. C’est pourquoi, avec l’approfondissement systématique de la guerre, et en particulier le « plan Challe »14 à partir de 1959, le napalm a pu être utilisé à un stade qui n’avait plus rien d’expérimental. En dépit des incertitudes évidentes sur la précision des bombardements et l’identité des personnes visées, puisque les zones interdites étaient en fait loin d’être vides de civils, le napalm a été considéré comme une arme efficace jusqu’à la fin du conflit. Les autorités politiques ont laissé faire. Conscientes des conséquences politiques et diplomatiques d’un tel aveu, elles ont toutefois continué à préférer le déni global.
Après 1962, les forêts calcinées et pétrifiées des massifs montagneux algériens ont porté, pendant des années, le témoignage de cette violence. Quant aux corps réduits à des blocs charbonneux par ces produits incendiaires, leurs images hantent toujours celles et ceux qui les ont vus.
Illustration : Daniel Bechennec
RAPHAËLLE BRANCHE
Professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Paris Nanterre.
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/12
Par Jacques Follorou
En 1957, les services français orchestrent un attentat contre le docteur Louis Tonellot, un directeur d’hôpital installé au Maroc et jugé trop proche des indépendantistes algériens. « Le Monde » révèle les dessous de cet « ordre de tuer » délivré par Paris, le premier connu, contre un citoyen français.
Cette nuit de juin 1957, la ville marocaine d’Oujda, frontalière de l’Algérie, devait être encore chaude du soleil de la journée. Ses habitants, dans les quartiers européens comme dans la médina, avaient dû laisser les fenêtres des chambres ouvertes, les rideaux flottant au gré de quelques souffles d’air.Au centre de la cité, dans sa villa bourgeoise, le docteur Louis Tonellot, directeur de l’hôpital Maurice-Loustau, tardait à s’endormir, en dépit de l’heure avancée. Ce chirurgien de 46 ans était assis à son bureau. Il n’avait pas eu beaucoup de chemin à parcourir pour venir de l’hôpital.
La maison familiale, entourée d’un grand jardin, se trouvait juste en face. Une rue à traverser, un bel escalier à gravir, et il arrivait chez lui, auprès des siens. Les trois enfants du couple, deux garçons et une fille, dorment profondément. La petite dernière, Michèle, 6 ans à peine, a rejoint sa mère dans le lit parental. Tout semble paisible lorsque, tout à coup, une explosion retentit et fait trembler l’édifice. La bombe, deux kilos d’explosif plastique, était posée sur la terrasse des parents. La déflagration a soufflé les vitres, le mobilier et l’huisserie de la pièce. La fillette et sa mère ont été blessées par des éclats. Le père, lui, n’a rien, et peut donc prodiguer les premiers soins après s’être assuré que ses deux fils sont indemnes.
A l’évidence, l’attentat visait à tuer. C’est un miracle si personne n’est mort. L’engin avait été mal orienté, concluront les enquêteurs. Peu de temps après, la police locale arrête un Marocain, un employé de maison renvoyé quelques mois plus tôt. A en croire le dossier judiciaire, il aurait agi par vengeance. Condamné à la prison, il n’en dira jamais plus sur ses motivations.
Le docteur Tonellot, lui, se dit qu’il n’a pas agi seul et que cet attentat, clairement ciblé, a sans doute un lien avec ses prises de position « politiques ». Farouche anticolonialiste, le médecin a eu le temps de se mettre du monde à dos dans les rangs des soutiens de l’Algérie française, de part et d’autre de la frontière. Il sait qu’on lui reproche, depuis deux ou trois ans, d’être « l’ami des fellagas », les Algériens engagés dans le combat pour l’indépendance.
D’autres hypothèses, plus fantaisistes, circulent à l’époque sur cette tentative d’assassinat. Des officiels français laissent ainsi entendre que le Front de libération nationale (FLN) algérien aurait pu la commanditer. Le docteur Tonellot, décédé à Montpellier en 1996, et sa famille en sont restés au stade des hypothèses. Jamais ils n’ont su la vérité.
Soixante-cinq ans après, Le Monde est en mesure de lever le voile sur cet épisode oublié : ce sont les autorités françaises elles-mêmes, prêtes à tout pour conserver l’Algérie, qui avaient autorisé cette opération contre le chirurgien, jugé gênant par Paris. Autrement dit, ce dernier a été victime d’un « ordre de tuer », le premier connu à ce jour, donné par un gouvernement français contre l’un de ses ressortissants.
La preuve ? Un document confidentiel, daté de l’été 1958, exhumé du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines. Cette pièce, et d’autres découvertes par Le Monde aux archives diplomatiques et dans celles du ministère des armées, montrent à quel point l’histoire du docteur Tonellot s’inscrit dans le cadre de la guerre secrète menée en Afrique du Nord entre 1956 et 1962.
« On n’a jamais su »
Pour comprendre d’où viennent ces documents, il faut revenir au printemps 1958.
Tout juste de retour au pouvoir, le général de Gaulle confie à Foccart la coordination d’un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien.
Au cours de l’été, soit un an après l’attentat contre le chirurgien français d’Oujda, Foccart demande ainsi au service action du Sdece (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, l’ancêtre de la DGSE), chargé de telles missions – menaces, attentats, sabotages, mais aussi assassinats –, de lui rendre compte de l’ensemble des « opérations réalisées depuis le 1er janvier 1956 ». Un état des lieux avant d’envisager la suite.
En retour, Jacques Foccart reçoit du Sdece un tableau classé « secret-défense » indiquant, pour chaque action conduite par les agents français, le « but à atteindre », le lieu, les moyens utilisés et le résultat. Sur les trente-huit opérations mentionnées, dix-sept ont été réussies, dix-sept ont été annulées, notamment « sur ordre supérieur » ou pour « sécurité douteuse », et quatre sont qualifiées d’« échec[s] ». Au titre des projets d’assassinats, on relève, parmi les cibles, des noms d’Européens, souvent des Allemands membres de réseaux de soutien du FLN, de chefs de la rébellion algérienne ou de trafiquants d’armes étrangers.
En regardant attentivement, un seul patronyme à consonance française figure dans ce tableau : « Tonnelot ». Les informations qui y sont attachées, à part l’orthographe – Tonellot prend un seul « n » et deux « l » –, corroborent les événements vécus par la famille du médecin un an plus tôt. Il est écrit : « Tonnelot – Oujda – Juin 1957 – Dépose d’une charge sur la terrasse de l’objectif – La famille est atteinte ». Le Sdece qualifie cette opération de « réussite partielle », une appréciation assez flatteuse au regard de la réalité. Ce document, désormais accessible, atteste donc la responsabilité des services français dans cet attentat.
« Nous n’avons jamais cru que l’ancien employé de maison avait fait ça tout seul, raconte aujourd’hui Michèle Cayot-Tonellot, blessée ce soir-là. On se disait que cela pouvait avoir un lien avec le fait que papa était favorable à l’indépendance de l’Algérie et qu’il soignait tout le monde sans distinction, y compris des gens du FLN qui traversaient la frontière. Plus tard, on a pensé à l’OAS [Organisation armée secrète, un groupe armé clandestin pro-Algérie française], mais on n’a jamais su. » Elle poursuit : « J’avais à peine 6 ans. On a eu l’impression que la bombe avait été lancée du toit. J’ai aussi le souvenir d’un impact au pied du lit où j’étais avec maman. J’ai été blessée, mais cela aurait pu être beaucoup plus grave. »
Confrontée aux archives de Jacques Foccart prouvant la responsabilité de l’Etat français, Michèle Cayot-Tonellot confie que cette information a réveillé de douloureux souvenirs chez certains membres de la famille, notamment ses frères. « J’ai été plus protégée qu’eux, même si au lycée, des camarades me traitaient de “fille de fellaga”.
Sur les éventuels griefs de la France contre son père, elle s’insurge : « C’était un gaulliste, un anticolonialiste et un homme qui faisait peu de compromis avec ses convictions, c’est vrai, mais il n’était pas encarté au FLN ».
Médecin atypique
Louis Tonellot naît le 19 avril 1911, à Oran, une ville portuaire située dans le nord-ouest de l’Algérie. Il se marie avec Yvonne Sendra, qui a, pour sa part, grandi à Sidi Bel Abbès. Dès le début des « événements », la famille de la jeune femme prend fait et cause pour le maintien de ce territoire dans le giron français, ce qui ne facilite pas les relations.
L’activisme de son époux ne se limite pas au conflit algérien. Louis Tonellot, c’est d’abord un tempérament. En 1943, alors qu’il faisait passer des visites médicales aux futurs goumiers, ces soldats de l’armée d’Afrique qui participeront, notamment, à la libération de la Corse puis à la campagne d’Italie, un aspirant lui aurait lancé, sous forme de boutade, qu’il ne prenait guère de risques installé derrière son bureau. En guise de réponse, Louis Tonellot s’est engagé et il a intégré comme médecin-chef l’état-major du IVe tabor goum, rattaché, en juin 1943, à la VIIe armée américaine du général Patton. Nommé lieutenant, il a débarqué en Sicile à l’été 1943. « On nous a toujours dit que papa avait été décoré de la Silver Star par l’armée de Patton, mais nous ne l’avons jamais retrouvée », glisse sa fille.
Le lieutenant Tonellot n’ira pas plus loin. Il retrouve la vie civile auprès des siens à Midelt, une ville du centre du Maroc, où il exerce en tant que médecin jusqu’en 1953, s’occupant notamment des ouvriers employés dans les mines d’Aouli.
Là aussi, son passage laissera des marques. A l’époque, ce pays ne reconnaît pas encore la silicose comme une maladie professionnelle. Or, en auscultant d’anciens mineurs, le docteur Tonellot constate les graves affections pulmonaires provoquées par cette maladie. Lors d’un congrès de médecins, il s’indigne : « Niant l’évidence avec une mauvaise foi consommée, les cadres de la mine assuraient qu’il s’agissait de cas de tuberculose. (…) Proposition me fut faite d’être muté pour un poste de mon choix. Inutile de dire que je refusais. Je n’acceptais que lorsque le diagnostic que j’avais établi fut finalement confirmé en 1953, entraînant la reconnaissance officielle de cette maladie. »
En 1955, on lui confie la direction d’un petit hôpital de province, à Berkane, puis d’un autre à Mogador (l’actuelle Essaouira). Alors que le pays vient d’accéder à l’indépendance, il affiche sa volonté de participer à la naissance d’un « Nouveau Maroc ». Cet engagement le rapproche des dirigeants du pays, comme le président du conseil marocain, son ami Ben M’Barek Lahbil Bekkaï, lequel le promeut, le 31 mars 1956, directeur de l’hôpital Maurice-Loustau d’Oujda et, par la même occasion, chef du service régional de la santé publique. Début avril, voici Tonellot installé sur place.
Sa prise de fonctions n’échappe pas aux services de renseignement français, ni au consulat de France dans cette ville. L’ambassade, à Rabat, s’agace vite, elle aussi. Dès l’automne suivant, une longue « note de renseignement sur l’hôpital Maurice-Loustau et sur la situation médicale dans la province d’Oujda » remonte à Paris.
Y sont relatés dans le détail les bouleversements entraînés par la nomination de ce directeur atypique. Ces précisions notamment : « Appartenant au mouvement Conscience française, adhérent au mouvement France-Maghreb, affilié au Parti communiste, le docteur Tonellot, précédemment chef de l’hôpital Hudde à Berkane, avait été muté à Mogador pour des raisons politiques et professionnelles. » Le courroux naissant des autorités françaises est, dans un premier temps, lié au fait, selon cette même note, qu’« il s’attache à faire de Loustau un centre hospitalier exclusivement marocain, où pourraient être soignés et traités les rebelles blessés en Algérie ».
Lutte ouverte contre les autorités
Trois mois suffisent pour que Louis Tonellot réforme en profondeur le fonctionnement de l’établissement. Il renouvelle le personnel soignant et provoque la démission de cinq des huit médecins en poste. Les services de renseignement y voient une manœuvre pour « les remplacer par des médecins choisis uniquement en fonction de leurs convictions politiques ». D’après la note, cette affirmation est en partie fausse. Ainsi, le docteur Bonnel, chirurgien et « ex-militant du Parti communiste, acquis à la cause des rebelles algériens », opérait déjà des rebelles blessés avant l’arrivée du docteur Tonellot.
L’ambiance à l’hôpital est tendue. Le directeur pousse les mandarins vers la sortie. Le docteur Benhaïm, chargé du service de médecine générale, refuse de partir. Il finit par accepter quand il est menacé d’être privé de salaire à compter du 30 juin 1956. Le chef du service d’oto-rhino-laryngologie et d’ophtalmologie, le docteur Veyrier, tente de plaider sa cause auprès de la Direction de la santé et de l’hygiène publique, à Rabat. En vain. Il part aussi le 30 juin. Le docteur Massonneau, responsable du service de phtisiologie, visé par une pétition signée par des malades qui demandent son départ, obtient un congé administratif de quatre mois, dans l’espoir de revenir. La pédiatre, le docteur Benoit-Jeanette, part d’elle-même, remplacée par le docteur Rahal, « un Français musulman d’Algérie », mentionnent les services de renseignement. Les recours des exclus devant l’ordre des médecins n’aboutissent pas. Des médecins algériens, les docteurs Saïd de Marnia et Haddam, rejoignent le docteur Rahal.
Louis Tonellot recrute également des adjoints de santé marocains à Rabat et à Casablanca pour, dit-il, « remettre l’hôpital d’aplomb ». Sa stratégie de recrutement, localement ou dans d’autres hôpitaux de la région, énerve ses collègues européens. Le renseignement français relaie ce sentiment : « Le personnel musulman, fort de l’appui qui lui est ainsi accordé, n’accepte plus ni ordres ni remarques de la part de ses supérieurs français. Ces derniers sont souvent l’objet de plaintes injustifiées de la part de malades marocains poussés par des meneurs tolérés ou protégés par le docteur Tonellot. »
Au mois d’avril 1956, à l’entrée en fonctions du nouveau directeur, l’hôpital Maurice-Loustau compte 600 lits. Jusqu’en mars, 500 d’entre eux étaient occupés par des Marocains et une centaine par des Européens. Le nombre de ces derniers tombe à une dizaine après l’arrivée du docteur Tonellot. L’une des explications de cette soudaine désertion, à en croire la note de renseignement, serait « les vexations dont sont victimes les Européens dans leur amour-propre ». Derrière cette formulation se cache une raison que même le « secret-défense » qui frappe ces documents ne saurait totalement dissimuler. Avant le changement de direction, les malades, selon qu’ils soient français de souche ou marocains, étaient logés dans des services distincts, « cela non dans un esprit raciste, précise la note, mais pour respecter les différents modes de vie des Européens et des musulmans ». Jugeant cette séparation contraire à ses valeurs et à l’esprit du « Nouveau Maroc », le docteur Tonellot a rassemblé les patients dans les mêmes salles et fait servir à tous la même nourriture marocaine.
Mais c’est une autre raison qui va convaincre les autorités françaises et leurs agents d’essayer de l’assassiner : le nombre croissant de combattants du FLN soignés dans cet hôpital. « Ils accueillent des individus en lutte ouverte contre les autorités françaises en Algérie, se plaignent les services, et, grâce à des diagnostics volontairement erronés, font admettre les rebelles blessés à l’hôpital Loustau. » En mai 1956, la fiche d’un patient reçu par le médecin algérien Abdesslam Haddam indique : « Syndrome abdominal aigu. » Un autre médecin, français, constate, lui, deux blessures par balles et refuse de signer le bulletin d’hospitalisation, pour ne pas être complice.
Les synthèses des services
Le 16 juin 1956, sous les yeux d’un infirmier français qui joue les indicateurs pour le consulat de France à Oujda, le même docteur Haddam « a rendu visite à quinze rebelles admis la veille, les a accueillis comme des amis retrouvés et les a embrassés ». Le lendemain, le médecin algérien accompagne cinq d’entre eux, à 18 h 45, en salle de traumatologie. « Le docteur Haddam paraît être l’un des principaux organisateurs de l’aide apportée aux rebelles algériens », assurent les services, avant d’ajouter : « Depuis le mois d’avril 1956, le nombre de rebelles algériens blessés, soignés ou opérés à l’hôpital Loustau s’élèverait à une centaine. » La seule journée du 15 juin, dix blessés par balles sont hospitalisés.
Pour les services français, l’action des docteurs Tonellot, Bonnel, Haddam et « du personnel hospitalier qui leur est dévoué répond, en premier lieu, à celle dictée par le Parti communiste, dont ils sont tous militants ou sympathisants ». Puis, ces services abattent ce qu’ils pensent être leur meilleur argument : « Les précautions prises par ces médecins montrent d’ailleurs qu’ils n’ignorent rien du caractère illicite de leur activité, malgré une attitude qu’ils prétendent dictée par un sentiment purement humanitaire et par leur devoir de médecin. »
Les synthèses du Sdece et des autorités consulaires françaises au Maroc sur l’activité de l’hôpital Maurice-Loustau continuent d’alimenter, en 1956 et début 1957, le commandement militaire en Algérie. « Les soins donnés aux fellagas algériens blessés nécessitent un trafic complexe tant matériel qu’administratif pour dissimuler au maximum le nombre d’entrées, l’identité des entrants et justifier en malades marocains fictifs le nombre de malades algériens admis en fraude. Les individus ainsi hospitalisés sont d’ordinaire en possession de faux papiers d’identité et tous sont inscrits comme ressortissants marocains. »
Dès le mois de mai 1956, le renseignement français a signalé l’aménagement, à Oujda, à des fins de discrétion, d’une salle d’urgence dans le centre de santé attenant à l’hôpital, rue Jules-Colombani. Une décision prise, indiquent les rapports, pour « pratiquer des interventions chirurgicales sans attirer l’attention des médecins et du personnel français travaillant à l’hôpital et soustraire les hospitalisés à toutes les formalités administratives nécessaires pour entrer à l’hôpital ».
De fait, cet établissement joue un rôle très précis dans le circuit de prise en charge des blessés du FLN. Ces derniers sont soignés soit sur place en Algérie, soit au Maroc dans des zones contrôlées par l’armée de libération, telle celle de Béni-Snassen où se trouve un centre d’hébergement et un hôpital de campagne. Mais si leur état nécessite une intervention chirurgicale plus lourde, ils sont transportés à Oujda par les ambulances de l’hôpital de Berkane, dont les déplacements ne sont pas surveillés.
Début 1957, l’activité de l’hôpital Maurice-Loustau s’intensifie. Le renseignement militaire français au Maroc s’en fait l’écho dès le 4 janvier : « Afflux fellagas blessés à l’hôpital Loustau, Oujda, augmente suite aux accrochages récents région Tlemcen. » Le 13 février, nouveau message : « Un PC est installé à l’hôtel Marakech, à Oujda, où tout rebelle blessé est contrôlé avant et après hospitalisation à Loustau. Grosse circulation véhicules aux environs, avec appui autorités marocaines, flux de 400 rebelles soignés à Oujda, les grièvement atteints à Loustau, les autres chez des particuliers par des médecins itinérants de l’hôpital. Un asile d’aliénés désaffecté du quartier de Lazaret à Oujda sert depuis six semaines de centre de convalescence. »
La rancœur de Paris
L’attentat de juin 1957 contre le docteur Tonellot et sa famille ne change en rien la politique d’accueil et de soins du médecin en faveur des blessés algériens du FLN. Le 23 avril 1958, l’état-major français est ainsi informé par des chefs rebelles capturés par les forces de l’ordre que « les malades atteints de maux sérieux sont toujours hospitalisés à l’hôpital Loustau à Oujda, où ils reçoivent des soins des docteurs Haddam, Boukli, Sauvaget et Tonellot ».
Dans un premier temps, les autorités françaises ont cherché un biais juridique pour contrer le soutien des équipes de Tonellot au FLN. En vain. « Aucune poursuite ne semble actuellement possible au Maroc, à l’encontre des individus apportant leur aide à la rébellion algérienne avec l’accord tacite du gouvernement marocain, regrette un diplomate dans un autre document secret. La seule solution propre à stopper cette activité anti-française réside dans un renforcement des mesures de surveillance de la frontière algéro-marocaine.
Le Sdece ne cache pas non plus sa rancœur contre le Maroc. Il le dit dans une note sur les « activités FLN au Maroc et sur l’aide marocaine à la rébellion algérienne » adressée, le 25 juillet 1957, au président du Conseil français de l’époque, le radical Maurice Bourgès-Maunoury. Pour le Sdece, les protections dont bénéficie le réseau Tonellot correspondent « au désir du gouvernement marocain d’apporter indirectement et sans se compromettre une aide effective à l’armée de libération algérienne ». Les agents français soulignent qu’« en dépit de sa prudence, le gouvernement marocain (…) apporte un soutien diplomatique à la cause algérienne » et œuvre pour le « financement » et le « recrutement d’Algériens résidant au Maroc, ou même des Marocains », voire pour du « trafic d’armes ».
Trop exposé, malgré la présence de gardes armés devant sa maison, le docteur Tonellot finit par quitter Oujda en 1959. A Rabat, il prend la tête de l’hôpital Avicenne (devenu Ibn Sina) à la demande du roi Mohammed V, dont il devient l’un des médecins. « Jusqu’en 1962, précise sa fille Michèle, nous avons été bannis de notre ambassade à Rabat et nous ne pouvions pas rentrer en France ».
Les choix de Louis Tonellot ont aussi eu des répercussions dans son cercle familial. Le mari de sa sœur est membre de l’OAS, organisation engagée dans une sale guerre contre les réseaux de soutien au FLN. Pourtant, l’engagement du docteur Tonellot va sortir ce même beau-frère d’un très mauvais pas. « Vers la fin de la guerre, raconte sa fille, le FLN a arrêté cet oncle et interrogé ma tante, sa femme. Ils se sont aperçus qu’elle avait comme nom de jeune fille le même que celui de mon père. Ils lui ont laissé la vie sauve. Autrement, ils l’auraient fusillée. »
Spectateur privilégié des luttes de pouvoir au sein du régime chérifien, ce père à la vie tumultueuse et riche prendra peu à peu ses distances avec Hassan II, notamment après la mort, le 16 août 1972, de Mohamed Oufkir, son ministre de l’intérieur, puis de la défense. Selon le pouvoir, qui l’accuse d’avoir fait partie d’un coup d’Etat raté, Oufkir s’est suicidé. « La femme d’Oufkir a demandé à papa, qui était ami avec son mari, de venir constater les causes de la mort par lui-même, se rappelle Michèle Cayot-Tonellot.
Il n’a pas été long à découvrir la trace d’un impact de balle dans le dos… » Se reconnaissant de moins en moins dans les nouvelles générations au pouvoir, Louis Tonellot finit, en 1977, par rentrer en France, ce pays qui avait tenté de l’assassiner une nuit de juin 1957.
Par Hanafi Si Larbi
«La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien.» Edmund Burke (homme politique et philosophe irlandais, 1729/1797)
… Le peuple suisse peut être fier […] d’incarner dans un monde agité et furieux une vocation internationale d’ordre et de service. Si la Suisse n’existait pas, la civilisation occidentale aurait besoin qu’on l’inventât, non seulement comme utile, mais comme exemplaire », lit-on dans l’édition du quotidien français Le Monde du 15 mars 1962.
En effet, la médiation de la Suisse dans les longues péripéties des tractations algéro-françaises ne semble pas avoir suscité dans notre pays le mouvement de gratitude, ou du moins la reconnaissance qu’elle mérite. Son rôle de facilitateur est considérable et a commencé bien avant les négociations, officieuses d’abord puis officielles. Pourtant, un sérieux dilemme y était omniprésent : jusqu’à quel point la Confédération helvétique pouvait-elle tolérer sur son sol les activités des militants du FLN en guerre sans froisser son puissant voisin et sans compromettre ses relations avec l’Egypte de Nasser qui «gérait» à l’époque les activités des nationalistes algériens ?
Pourtant, les premières rencontres entre les représentants du GPRA et ceux du gouvernement français auront lieu à Genève à la fin des années 50′. Elles aboutiront, grâce aux bons offices de la Confédération helvétique, à la signature des Accords d’Evian qui mettront fin le 19 mars 1962 à 130 années de colonisation de peuplement avec son lot d’un million et demi de martyrs, de veuves, d’orphelins et d’un pays à reconstruire. Retour sur la facilitation de la Suisse pour rapprocher les deux belligérants et mettre fin à ce conflit dévastateur.
Du choc des consciences
Le 23 mars 1957, le Procureur de la Confédération, René Dubois, empêtré dans une sale affaire d’espionnage, se tire une balle dans la tête. Ce haut fonctionnaire du pouvoir judiciaire fédéral suisse avait remis au colonel Marcel Mercier, des services secrets français (qui se faisait passer pour un agent commercial de l’ambassade de France en Suisse), des renseignements confidentiels : résultats d’écoutes téléphoniques échangées entre la Mission égyptienne en Suisse et le ministère des Affaires étrangères égyptien, canal par lequel passaient nombre de communications entre responsables du FLN, ainsi que des rapports confidentiels sur des militants algériens, des fournisseurs d’armes du FLN et des mouvements d’argent au bénéfice de la Révolution algérienne.L’affaire ébranle la diplomatie officielle et l’opinion publique suisses.
Le scandale est énorme. Les multiples et profondes relations de bon voisinage franco-suisses en prennent un coup. Désormais, les Suisses auront des positions moins défavorables à la cause algérienne et des journalistes, à l’image de Charles-Henri Favrod de La Gazette de Lausanne, Marie Madeleine Brumagne et leur collègue de la radio Jean-Pierre Goretta souligneront la réalité d’une guerre d’indépendance que la thèse officielle française s’efforce de réduire à du terrorisme et du banditisme. Mieux encore, le 21 mai 1957, le chef du DFP(1), Max Petitpierre, plaide pour une politique suisse de coopération dans le contexte de la nécessaire décolonisation et affirme : «L’aide aux pays sous-développés doit remplacer le lien colonial. La Suisse est bien placée pour participer à cette action. Elle n’a jamais été une puissance coloniale.
Elle ne peut ainsi pas être suspectée d’impérialisme ou d’avoir des arrière-pensées politiques. Nous avons donc des possibilités d’action absolument désintéressée. Nous devons les utiliser». La messe est dite. La Suisse démontrera quelques années plus tard l’exemplarité de sa politique active de neutralité dans le conflit algéro-français.
De la «Paix des braves» aux balbutiements des premiers pourparlers
Le déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954 entraîne une longue série d’horreurs et d’atrocités. Dès l’année 1956, plusieurs tentatives pour mettre fin à cette guerre sont entreprises au nord et au sud de la Méditerranée, mais se heurteront à l’imbroglio des obstacles et des passions.La constitution et la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 19 septembre 1958, sonnait la restauration de la souveraineté algérienne. Une trentaine de pays reconnurent le GPRA qui développera une politique extérieure très efficace et convaincante. «La diplomatie du FLN (…) réussit non seulement à internationaliser le problème algérien, mais à obtenir une aide financière, militaire et politique qui contraignit la France à négocier», notait Charles-Robert Ageron.(2)
Cette diplomatie de guerre maintiendra ainsi une pression internationale qui obligera le général de Gaulle à une évolution graduelle : le 23 octobre 1958, il ‘‘offre » sa «paix des braves», ensuite il se prononce pour l’autodétermination de l’Algérie le 16 septembre 1959.Le 14 juin, il parle de l’«Algérie algérienne» et encourage des entretiens avec des représentants du FLN à Melun du 24 au 29 juin 1960, mais qui aboutissent à un échec. Le 4 novembre 1960, il finit par évoquer la «République algérienne».
Un mois plus tard, le 11 décembre 1960, ce sont les Algériens qui investissent la rue et démontrent magistralement aux autorités coloniales, d’abord, et à l’opinion internationale que le Peuple réclame l’Indépendance et que le FLN était son seul et unique représentant. Cent douze morts et des centaines de blessés, c’était le bilan des victimes de cet événement majeur, qui aboutira à l’adoption par l’ONU de la résolution afro-asiatique reconnaissant le droit à l’autodétermination du peuple algérien. L’ouverture des négociations franco-algériennes s’impose, mais la France s’obstine à ne reconnaître de légitimité ni au FLN ni au GPRA. Elle négociera donc secrètement en cherchant un médiateur neutre et discret.
Le test de la crédibilité
Au mois d’avril 1959, le président du GPRA, Ferhat Abbas, qui croit savoir que le général de Gaulle serait favorable à des négociations qui pourraient avoir lieu en Suisse ou en Espagne, manifeste le souhait de rencontrer un diplomate suisse au Caire.Jean-Louis Pahut, ambassadeur suisse en Egypte, délègue un de ses collaborateurs qui rencontre Ferhat Abbas. Ce dernier explique sa préférence pour la Suisse «car il a une grande confiance dans les services suisses de sécurité ainsi que dans les dispositions que les autorités helvétiques prendraient pour assurer à cette rencontre le secret nécessaire».(3)Pour rappel, le président du GPRA avait séjourné à plusieurs reprises en suisse, y compris pour des raisons familiales sans y être inquiété.
Fin 1960, un avocat du barreau de Genève, Me Nicolet et le secrétaire général de l’Association internationale des juristes, Me Lalive, contactent le représentant du GPRA à Rome, Tayeb Boulahrouf, qui avait auparavant séjourné à Lausanne. Ils lui demandent d’intercéder auprès du chef du gouvernement guinéen Ahmed Sékou Touré afin d’obtenir la libération d’un ressortissant suisse. Sékou Touré intercède favorablement à la sollicitation du GPRA et finit par libérer le prisonnier. La crédibilité des Algériens chez les suisses n’est plus à démontrer. C’est ainsi que Me Nicolet fait des démarches à Berne et arrive à faire rencontrer Tayeb Boulahrouf, représentant du FLN, avec Olivier Long le 23 décembre 1960.
Le diplomate suisse, O. Long, enchanté par la franchise et la sagesse de son interlocuteur, transmet à ses amis français la proposition algérienne. Avec l’accord du chef du DPF, M. Petitpierre, Olivier Long rencontre secrètement Louis Joxe, ministre d’Etat chargé des affaires algériennes. Ce fut le 10 janvier 1961 à Paris. Il faut signaler que le diplomate suisse entretien des relations personnelles avec L. Joxe qui remontent à plusieurs années et se fondent même sur des liens familiaux.
Au mois de février 1961, deux rencontres en terre suisse auront lieu. La première à Genève entre Claude Chayet, haut fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères et Saad Dahleb, chef de la diplomatie du GPRA. La deuxième, le 20 février, Georges Pompidou et Bruno de Leusse (directeur au ministère des Affaires étrangères et détaché auprès de Louis Joxe) délégués par de Gaulle, discutent à Lucerne avec Tayeb Boulahrouf et Ahmed Boumendjel. Ils se retrouveront encore une fois le 5 mars 1961 à Neuchâtel. Olivier Long et son compatriote G. Bucher se chargent de la sécurité et du secret des entretiens, sans toutefois participer à la rencontre. Leur intervention se limitera, après avoir entendu séparément les deux belligérants, à la formulation des propositions pour surmonter les obstacles, dissiper les méfiances et ouvrir la possibilité de négociations politiques.
Des rencontres clandestines aux négociations officielles
Ainsi et dans le cadre de la facilitation des pourparlers algéro-français, l’ambassade suisse à Tunis est destinataire, en date du 20 mars de la même année, d’un télégramme secret du DPF «pour adopter une attitude compréhensive vis-à-vis des membres du GPRA et de renoncer à exiger des renseignements précis sur les motifs et les dates des voyages des personnes dont le GPRA prend la responsabilité». De rencontres secrètes en négociations officieuses, la France et le GPRA finissent par accepter de négocier officiellement à partir du 20 mai 1961 à Evian, à l’hôtel du Parc. Le moment est solennel et symbolique. Il scelle la fin d’une époque pour la France en Algérie et le début d’une ère nouvelle pour le peuple algérien. Les Français exigeaient que la conférence se déroule sur le territoire national, et les Algériens de résider en terrain neutre, en Suisse. Les autorités helvétiques se chargeront du transport par hélicoptère des représentants du GPRA et assureront leur sécurité.
Malheureusement, après cinq mois d’âpres discussions, les négociations sont rompues. La diplomatie «secrète» reprend le pas sur la diplomatie officielle, et c’est dans un chalet jurassien, aux Rousses — toujours à la frontière franco-suisse — que les tractations reprennent. Le 18 mars 1962, enfin, Louis Joxe et Krim Belkacem signent à Evian les accords qui mettent fin à sept ans de guerre et à 130 ans de colonisation.
Epilogue :
Dès ses débuts, la Guerre d’Algérie a des effets sur le territoire helvétique : la répression féroce des autorités coloniales incitera des militants indépendantistes algériens à se replier en Suisse. Les membres du GPRA continuent leur offensive diplomatique à partir de la Confédération helvétique malgré les menaces de Michel Debré qui met à contribution l’ensemble du personnel consulaire, estimant que la France ne peut admettre sans protester que ses «amis ou alliés tolèrent la présence sur leur sol, même pour de courts séjours, des chefs d’un prétendu “gouvernement” qui se déclare en guerre contre la France». Il instruit les chefs de missions diplomatiques d’intervenir auprès du pays hôte afin que soit déclarés «indésirables et refoulés» tous les représentants du FLN.Mais les prises de position des partis et mouvements politiques, de l’Eglise, de la presse des groupes de citoyens suisses à l’égard de la Révolution algérienne (sensibilisées notamment par les méthodes utilisées par l’armée française : destruction de douars, regroupement de populations dans de véritables camps de concentration, et surtout l’usage systématique de la torture) défieront les menaces voilées des autorités coloniales et détermineront la position de la Suisse officielle pour la Paix.
Il s’est ainsi constitué un réseau formé d’un faisceau d’engagements individuels liés à des trajectoires personnelles. C’est la bataille de l’information qui commença dès 1955 en France avec le fameux éditorial dans France-Observateur de Claude Bourdet «Votre Gestapo d’Algérie». Des articles dénonciateurs des exactions de l’armée coloniale française dans Témoignages Chrétiens, Esprit, les temps modernes et L’Express furent interdits de publication. Les ouvrages tels que La Gangrène, La Pacification, La Question et Les Disparus frappés de saisie en France furent réimprimés et diffusés par les Editions de la Cité de Nils Anderson à Lausanne, en Suisse.Lausanne devient la plaque tournante du FLN (en janvier 1956 déjà, Tayeb Boulahrouf, responsable du FLN, s’installe àLausanne et transforme son hôtel, l’Hôtel Orient, en siège officieux du FLN), allait jouer un rôle de premier ordre dans la bataille de l’information : les ouvrages édités par les Editions La Cité, les émissions de Radio-Lausanne, les articles de CH.-H.Favrod vont contribuer aisément et de façon décisive à la prise de conscience d’une opinion publique généralement désinformée par certains titres français pro-Algérie française.
Le Mouvement démocratique étudiant (MDE) répandra ces informations écrites auprès de l’opinion et singulièrement le milieu estudiantin à travers leur bulletin Voix universitaires et Bulletin d’Information Anticolonialiste. Le réseau de Francis Jeanson et Henri Curiel, appelé communément ‘‘porteurs de valises », développera ses activités en terre suisse. A l’imprimerie la Coopi à Yverdon était imprimé clandestinement le journal La résistance algérienne qui deviendra plus tard El Moudjahid pour être diffusé en France. C’est en fait par Jean Mayerat que le scandale arrive : président du conseil communal de la ville d’Yverdon, il s’engage aux côtés du FLN.
A l’été 1960, il est chargé de transporter vers la France des exemplaires du journal El Moudjahid. Arrêté après avoir traversé la frontière, il est emmené à la prison de Besançon avant d’être présenté au juge qui le condamne à un an de prison. Le texte de la Plate-forme de la Soummam sera imprimé dans l’imprimerie d’Henri Cornaz,(4) en Suisse. Les cotisations versées par les Algériens résidant en France sont transférées par le FLN en Suisse. Elles constitueront le «trésor du FLN» qui, après l’indépendance, fera couler beaucoup d’encre à propos de la destination de cet argent.
Le rôle exceptionnellement actif qu’aura joué la Suisse pour ‘‘imposer » la Paix en Algérie est loin des calculs économiques, habituellement si déterminants. Il a été bel et bien l’engagement des autorités helvétiques à la faveur de l’opinion publique «bousculée» par des prises de position d’intellectuels suisses en faveur de la décolonisation. Malheureusement, à l’indépendance, les hommes qui se retrouvent à la barre de l’Algérie ne sont pas ceux qui ont négocié et signé les accords d’Evian. Les relations algéro-suisses ne seront pas à la hauteur de ce qui était attendu. La nationalisation des biens des Suisses en Algérie, la question du trésor du FLN, et enfin la présence en Suisse d’opposants algériens empoisonneront les rapports entre la Suisse et l’Algérie jusqu’à la fin des années soixante-dix. Aujourd’hui, les relations sont paisibles.
H.S.Lhanafisilarbi@gmail.com
Notes :1)- Département Politique Fédéral (dès 1979 ; Département Fédéral des Affaires étrangères).
2)- Postface, in: Mohammed HARBI, Les archives de la révolution algérienne, (Ed.J.A) Paris 1981.
3)- Télégramme de l’Ambassadeur suisse J-L Pahut au chef du DFP, M. Petitpierre.
4)- Henri CORNAZ : «L’imprimeur du FLN», comme le qualifiait la police suisse à l’époque, avait proposé en septembre 2005 aux autorités algériennes de leur céder sa collection qui comprenait de nombreux originaux de la résistance algérienne qu’il avait patiemment mis sous presse dès 1956 dans ses locaux à Yverdon. Les plaques qui ont servi à reproduire la «plate-forme de la Soummam», l’acte fondateur de l’Etat algérien, un texte écrit en français le 20 août 1956 à Ifri par les chefs de la révolution Larbi Ben M’Hidi, Krim Belkacem, Abane Ramdane, Lakhdar Bentobbal… faisait partie de ce lot d’archives qu’il voulait léguer gracieusement. Aucune suite ne lui sera réservée. Cornaz décèdera en 2008 .Ses obsèques seront elles aussi un moment de solidarité .Son épouse , dans l’avis de faire-part , mentionnera : « En lieu et place de fleurs, vous pouvez penser au Centre Social Protestant, Lausanne, CCP 106214362… »
Sources :
-Documents Diplomatiques Suisses -base de données électroniques DoDiS, (http://www.dodis.ch)
-Mission accomplie -Saad DAHLAB – Editions Dahlab- Octobre 1990
-Les Accords d’Evian – Benyoucef BENKHEDDA
– Paris 1986-Algérie 1962, la guerre est finie – Jean LACOUTURE – Bruxelles 2002 (2ème édition)
-Histoire de la guerre d’Algérie (1954/1962) – Benjamin STORA – Paris 2002
-Et l’Algérie se libéra 1954/1962 –Mahfoud KADDACHE – Edif 2000- mars 2003
– La gauche suisse et la guerre d’Algérie – étude du politologue Pascal HOLENWEG –
– Pierre Jeanneret, «Le Mouvement démocratique des étudiants», in Contestations et Mouvements 1960-1980. pp. 43-84-Amiri Linda, « Les espaces de voisinage dans les conflits de décolonisation : le cas de la Suisse pendant la guerre d’indépendance algérienne », Matériaux pour l’histoire de notre temps.
Hanafi SI LARBI
مقدمة
الأحداث الدامية التي كان مسرحها سجن سركاجي في 21 و22 و23 فبراير 1995 إثر « محاولة فرار » أو « تمرد »، بحسب الروايتين الرسميتين، خلّفت حسب القائمة غير الرسمية، أكثر من مائة قتيل وعشرات الجرحى، بأسلحة هجومية، من بين 1600 معتقل سياسي ونزلاء القانون عام، في هذا السجن الواقع في قلب الجزائر العاصمة وفي منطقة أمنية مشددة. هذه المذبحة، التي عمدت الرواية الرسمية على تقزيمها بل والتستر عليها بالكامل لولا افتضاح أمرها، وراحت تهوّن من شأنها وتنعتها بـ »الحدث »، قد أثارت العديد من التساؤلات، دون أن تقدّم لها الرواية الرسمية إجابات مرضية، سواء لعائلات الضحايا أو لمحاميهم، أو لمنظمات حقوق الإنسان غير الحكومية والرأي العام، المنشغلة بمخلفاتها وحيثياتها.
هذه المجزرة التي نفذت في قلب شهر رمضان الكريم، مثلها مثل مذبحة أكتوبر 88 وفاجعة المطار هواري بومدين، في أوت 1992، بينت طريقة الانقلابيين في السلطة، في تسيير عملياتها القمعية والتلاعب بحيثيتها وتضليل المواطنين والرأي العام الدولي، مستغلة وسائل الدولة وأجهزتها في تحقيق ذلك، لكن على الرغم من الجدار الحديدي المفروض على فاجعة سركاجي وتوظيف مرتزقة القلم والفكر وسماسرة السياسة، لم تفلح هذه الماكينة من إخفاء الجريمة، بفضل شجاعة وعزيمة واستماتة رجال ونساء أحرار من مناضلي الحقوق الإنسان والأطباء والصحافيين النزهاء والمحامين الشرفاء، الذين بذلوا قصارى جهدهم معرضين حياتهم للخطر، لإبلاغ الرأي العام، وكسر جدار الصمت المفروض على حصون سجن سركاجي النازف.
هذه الجريمة، كشفت من جملة أمور، الدور الإجرامي لجهاز العدالة وفئة من الصحافيين والإعلام عمومًا، والمثقفين الدائرين في فلك عصب السلطة المتعاقبة منذ استقلال البلاد المُصادَر.
والسؤال الأول الذي يفرض نفسه، كيف ولماذا وقعت هذه المجزرة داخل فضاء مؤسسة عقابية وضد أشخاص يفترض أنهم خاضعين لحماية الدولة؟
أسباب وقوع هذه المأساة، وحجم المجزرة المهول، وجدار الصمت الذي أحاط بها، والتدمير المنهجي للأدلة التي كان من شأنها أن تساعد في كشف الحقيقة، إلى جانب المعالجة الخاطفة والمريبة للآثار الناتجة عن هذه القضية، كل ذلك دفع أسر الضحايا ومحاميهم إلى بذل ما في وسعهم لسد الفراغ الصارخ الذي خلفته البيانات والروايات الرسمية.
ومما عزز قناعتهم في سعيهم لمعرفة الحقيقة، واستماتتهم في البحث عنها، ما واجهوه من رفض استفزازي من قِبَل السلطات، لطلبهم بتشكيل لجنة تحقيق محايدة، مؤلفة من عائلات الضحايا، ومحامين وقضاة ومنظمات حقوق الإنسان.
وما يلاحظ أيضًا من جملة إخفاقات السلطات المعنية:
– عدم نشرها تحقيق رسمي، كان من المقرر الإعلان عن نتائجه في غضون عشرة أيام من تاريخ المذبحة؛
– بثها شهادات واعترافات « إعلامية » عبارة عن « تحقيقات تلفزيونية » تَبيّن فيما بعد أنها انتزعت من المستجوَبين، بشتى الوسائل والإكراه؛
– رفضها الأمر باتخاذ إجراءات احترازية حفاظًا على الأدلة المادية؛
– رفضها نشر القائمة الرسمية للضحايا.
مختلف الشهادات التي أدلى بها الناجون من المذبحة، إلى جانب عزم ومثابرة عائلات الضحايا، على الرغم من كل العوائق التي اعترضت طريقهم، واختفاء أقاربهم المغتالين، وما قام به محاموهم من جهود، مكّنت من كشف خيوط مكيدة خُطّط لها سلفا، سنحاول تبيانها في الصفحات الآتية، مُدَعّمة بالشهادات والوثائق، وهدفنا الوحيد المساهمة في إظهار الحقيقة، وبالتالي انتصار سيادة القانون.
تقديم سجن سركاجي
سَرْكَاجِي اسم قديم جديد، جراحه لم تندمل بعدُ. مُجَرد ذكر اسمه كان يثير القشعريرة في نفوس بعض ضحاياه. عُرف في العهد الاستعماري، بسجن بَرْبَارُوسَه، وآوى بين جدرانه وفي زنزاناته عددًا كبيرًا من مناضلي الحركة الوطنية الجزائرية. كان يفترض أن يبقى مَعْلَمًا من معالم تلك العصور الغابرة للذاكرة والتمعن في نضال وعذابات المُسْتَدمِر الفرنسي الغاشم، لكن أُعيد فتحه من قبل سلطة الاستقلال لاعتقال أبناء الجزائر البررة، في ثمانينات القرن المنصرم، بل فيهم حتى من ذاق في زنزاناته اعتقال وعذاب المحتل واعتقال الاستقلال.
يقع السجن المدن » سركاجي » في أعالي الجزائر بحي القصبة، تحيط به وزارة الدفاع، وثكنة على خوجة، ومقر القيادة الوطنية للدرك الوطني. يرجع تاريخ إنشاء سجن »سركاجي » إلى العهد العثماني وقد عرف أثناء ثورة التحرير الوطني بأنه مكان لسجن المحكوم عليهم بالإعدام، والمعذبين من أبطال الثورة، وقد تمّ تحويله إلى متحف بعد الاستقلال. ثم أعيد فتحه في سنة 1982 لتشغيله كمركز للاعتقال لإيواء معتقلين سياسيين في عهدة محكمة أمن الدولة.
يحظى مدير هذا السجن المدعو الحَدّاوي أحمد ونائبه سَعيدْ جُمعة (أثناء المجزرة)، بسمعة جد سيئة من حيث وحشية تصرفاتهما ومعاملاتهما اللاإنسانية إزاء السجناء السياسيين، ويساعدهم في ذلك حارسان توكل إليهما الأعمال القذرة وبالغة الوحشية، وهما سَلْصَافْ رمضان والنُوِي حَميدْ، المتخصصان في الحملات التأديبية في أقبية الطابق السفلي، حسب شهادات الضحايا التي وثقتها صفحات الكتاب الأبيض الممنوع من التداول في الجزائر وفرنسا الى عهد قريب.
تجدّدت مأساة سَرْكَاجِي في فبراير 1995 حيث كان السجن على موعدٍ مع جريمة ستبقى وصمة عار إلى الأبد في جبين السلطة القائمة، إنها مجزرة سركاجي، في ذات الـ 21 و 22 و 23 فبراير، الموافق لـ 2321/22/ رمضان 1415، قبل27 سنة. مجزرة ذهب ضحيتها 109 نفس بريئة.
لقد سبق مجزرة سَرْكَاجِي، مجزرة أخرى، في منتصف شهر نوفمبر 1994 عندما ارتكبت إدارة سجن البَرْوَاقِيَة مجزرة لا تقل بشاعة، أسفرت عن مقتل 62 سجينًا، قضوا تحت وابل من نيران القوات الخاصة، بإشراف مدير السجن، قَمَّاشْ حَمِيدْ Guemache Hamid المعروف بوحشية منقطعة النظير، وقد أكّدت شهادات ناجين أنه أجهز هو بنفسه في هذه المجزة على 5 سجناء بمسدسه الخاص، مجزرة تمّت في جنح الليل وتكتّم مطلق، ودُفِن الضحايا في مقابر جماعية.
أمّا مجزرة سَرْكَاجِي، فقد نُفّذت على خلفية محاولة فرار، حسب الرواية الرسمية، ولم يسمع المواطن الجزائري عن تلك الجريمة إلا ما نشرته السلطة ووسائلها المروجة لروايتها، أي رواية الفاعل الأساسي في الجريمة، ولم تجد رواية الضحية وشهادته طريقًا لإسماع أنينها، ومجالا لإسماع صوتها، وتأتي مجزرة سركاجي كحلقة أخرى في مسلسل تزوير التاريخ والتضليل المنهجي الرسمي. لكن رغم الستار الحديدي المفروض على المواطنين والتضليل الإعلامي الذي مارسته جحافل الأقلام المرتزقة، فقد انكشفت الجريمة البشعة بفضل شجاعة ثلة من الرجال الأحرار من محامين وأطباءٍ وصحفيين نزهاء وناشطين في مجال حقوق الإنسان، حملوا أرواحهم على أَكُفِهِم لإبلاغ الرأي عن هول مجزرة تمّت في جنح الليل، متحدين مخاطر جمة، دفع البعض منهم حريته بل وحياته ثمنًا غاليًا، من أجل فضح الجريمة وهوية مقترفيها. وأخطر ما في الأمر أن جهاز القضاء شارك بقوة في تلك الجريمة، بوعي وتصميم، ومارس نفوذه للتستر عليها من خلال نشر الكذب والروايات المتناقضة على لسان وزير العدل آنذاك محمد تقية، والنائب العام عبد المالك سايح.
كانت اللجنة الجزائرية للنشطاء الأحرار من أجل الكرامة الإنسانية وحقوق الإنسان أول من نشر في منتصف مارس 1995، قائمة من 105 سجين ما بين السياسيين وسجناء الحق العام، وأربعة حراس لقوا حتفهم أثناء المذبحة، بعد أن تكتمت السلطات المعنية عن هذه القائمة من خلال حجب كل رواية تخالف روايتهما مثلما فعلته مع الكتاب الأبيض حول القمع في الجزائر الذي أعدته اللجنة الجزائرية للنشطاء الأحرار من أجل الكرامة الإنسانية وحقوق الإنسان وتم منعه في الجزائر فرنسا.
سركاجي قبل الأحداث
سبقت مجزرة سركاجي، تحركات غير عادية في السجن، من بينها تحويلات للمساجين وتعيينات جديدة لموظفين داخل السجن. نُقِل عدة مساجين من سجون أخرى إلى سركاجي، إلى جانب تحويلات داخلية من قاعات إلى قاعات محدّدة أو زنزانات معينة. كما لاحظ المعتقلون والسكان المقيمون بجوار السجن، حركة غير عادية لسيارات مجهولة تدخل فناء سجن سركاجي في ليلة الـ21 من فبراير، كما تمت عمليات تفتيش غير معتادة وليلية بحضور المدير نفسه، خاصة في جناح المحكوم عليهم بالإعدام، أي القاعة 25، كما لاحظ السجناء حضور الحارس سَلْصَافْ رمضان الذي تم تعيينه ضابط حراسة، مما زاد من ارتياب وخشية السجناء، متسائلين كيف يتم تعيين حارس بسيط لتولي هذه المهمة الحساسة.
نُقِل عدة سجناء من سجون أخرى إلى سجن سركاجي منها سجن الشْلَفْ، والبَرْوَاقِيَّه، والحَرَّاشْ، وقد تمت هذه التحويلات في ظروف غامضة، وخارج نطاق القضاء، وكانت أقرب ما تكون إلى الاختطاف. حيث تمّ نقل بعض المعتقلين من سجن الحراش إلى سركاجي بدون علم النيابة العامة المكلفة بملفاتهم، وهو ما يُعتبر خرقًا لأحكام القانون الجزائري ذاتُه، هذا إلى جانب تعرّض السجناء إلى أنواع من التعذيب والتنكيل، والتهديد بالقتل، أثناء نقلهم من سجن الحراش إلى محافظة الشرطة المركزية بالعاصمة.
تمت هذه التحويلات رغم أن القانون الجزائري المتعلق بالسجون ينص على ضرورة نقل المحكوم عليهم بالإعدام إلى السجون المركزية ثمانية أيام بعد محاكمتهم، من بين هذه السجون سجن الشْلَفْ، البَرْوَاقِيَّه، تِيزِي وَزُو، وسجن تَازُولْتْ، وهي المؤسسات التي يفترض أن تستقبل المحكوم عليهم بالإعدام، في حين أن ما حدث هو العكس تماما إذ تم نقل المساجين من سجون مركزية إلى سجن فرعي، كسجن سركاجي، الذي يُعتبر مركزا لإعادة إدماج المسجونين في عقوبات خفيفة تقدر بمدة سنة سجن. والحاصل أن عددًا من المحكوم عليهم بالإعدام بقوا في سجن سركاجي الفرعي، ولم ينقلوا إلى السجون المركزية.
وهو ما دفع متتبعين الى اعتبار هذه الحركة المُريبة نيةً مُبيّتةَ ترمي الى انتقاء المسجونين المحوّلين إلى « سركاجي « بهدف تجميعهم للإجهاز عليهم بحُجّةِ محاولةِ الفرار.
وهو ما تم بالفعل حيث لوحظ أن أغلبية المحكوم عليهم بالإعدام الذين نُقِلوا إلى سركاجي قُتلوا في واقعة الـ 21و22 فيفري 1995.
– التحويلات والتعيينات الإدارية الخاصة بالحراس
شملت التحويلات أيضا الحراس، فقبل مجزرة سركاجي نُقِل بعض الحراس المعروفين بامتثالهم واحترامهم للقانون، وتم تحويلهم إلى مناصب أخرى! والملفت للانتباه أنه قبيل المجزرة تم توظيف الحارس » مْبَارْكِي حَمِيدْ « الذي لم يبدأ العمل إلا منذ فترة قصيرة في جناح المحكوم عليهم بالإعدام، وهو جناح يقتضي خبرة وممارسة مهنية طويلة! مع الإشارة أن هذا الحارس نفسه كان عنصرًا أساسيًا في محاولة الهروب وهو الذي زوّد المساجين بالأسلحة، وهو ما تنكره الرواية الرسمية، بل تعتبره للمفارقة، أنه هو من أفشل محاولة الفرار.
– قسوة إدارة السجن حيال المساجين
ولوحظ أن المعاملة السيئة للإدارة حيال المساجين ازدادت بصفة كبيرة، وفضلا عن منع المساجين من صلاة التراويح منذ سنة تقريبا، تعرّض المصلون إلى عقوبات تمثلت في تكديسهم في زنزانات موجودة في أسفل الطابق الأرضي، وحرمانهم من زيارة الأقارب، وقفة الغذاء، مع تعرضهم للشتم والضرب والكلام البذيء، واستفزاز الحراس، امتد هذا الى 45 يومًا.
وقد أشار بعض المسجونين إلى المناخ المتوتر الذي كان يسود السجن، أسبوعًا قبل وقوع المجزرة، والذي كان ينبئ بأن أمرًا ما سيقع على غرار ما حدث في سجن البَرْوَاقِيَّه.
أثناء الأحداث
محاولة الفرار وفشلها
حسب الرواية الرسمية بدأت محاولة الفرار بتدبير وتخطيط من طرف الحارس »مْبارْكِي » الذي أدخل السلاح: أربع مسدسات، وست قنابل وفق ما أوردته الإذاعة في أوّل رواية لها، وقد قام الحارس نفسه بفتح أبواب الزنزانات باعتباره حارسًا للجناح، وبالتالي قام بعض السجناء بالخروج من زنزاناتهم والالتحاق به.
وقام هذا الحارس بفتح أربعة أبواب، إلا أنه عند وصوله إلى الباب الخامس المؤدي إلى الفناء الخارجي المطلّ على الشارع، توقّف وامتنع عن مطالبة زميله الحارس بفتح الباب الأخير. وهنا يطرح السؤال نفسه: لماذا امتنع الحارس « مْبَارْكِي » عن التقدّم للباب الخامس، وعن مطالبة زميله بفتح الباب الأخير لو كان فعلا ينوي مساعدة السجناء على الهرب.
ثم لماذا لم يبق معهم حتى النهاية؟ هذا بالإضافة إلى الاستحالة الفعلية لنجاح مثل هذه العملية، لعدة أسباب، منها موقع السجن الذي يوجد في حصانة كبيرة يستحيل اختراقها، فهو مصمم بطريقة خاصة: مُنغلق على نفسه، ويمتاز بجدران سميكة، كما يحيط بالسجن من جهة اليسار القيادة العامة للدرك الوطني، وعلى يمينه ثكنة الجيش، ويقابله ثكنة أخرى تابعة للدرك الوطني، ومن الخلف وزارة الدفاع، وبالقرب من هذه الأخيرة محافظة شرطة « بَابْ اجْدِيدْ ».
ناهيك عن أن الباب الخارجي للسجن يطلّ مباشرة على الشارع الرئيسي المملوء برجال الشرطة والدرك، فضلًا على أن المحاولة وقعت في وقت حظر التجوال.
تساؤل آخر يفرض نفسه: كيف تمكّن الحارس »مْبَارْكِي » من إدخال الأسلحة؟ فسجن سركاجي الذي يأوي سجناء سياسيين يخضع لمراقبة مشددة، ويوجد به أعوان الدرك داخل السجن بصورة دائمة ومنتظمة، وكل زائرٍ، أيًا كانت صفته، يخضع للتفتيش الدقيق، ما يحول دون نجاح أي محاول لإدخال أسلحة.
الأشخاص الملثمون، من هم؟
إثر فشل محاولة الفرار، وفق الرواية الرسمية ورجوع السّجناء إلى مواقعهم ظهر صباح يوم الموالي: الثلاثاء 21 فيفري في حدود الساعة الخامسة رجال مقنعون ويحملون السلاح، ظهروا فجأة وقاموا بفتح الأبواب بالمفاتيح، وتحطيم بعض أبواب زنزانات وقاعات معينة، منها القاعتين رقم « 7 » و » « 8 ثم أمر الملثمون السجناء الذين كانوا نائمين بالخروج. وبعد قيام الملثمين بحث السجناء على الخروج بعد تكسير الأبواب، وجد أكثر من 1000 معتقل أنفسهم في ساحة السجن ولم يتجاوز حينذاك عدد الضحايا خمسة: أربعة حراس وسجين.
كيف قتلوا ومتى؟ ومن هم هؤلاء الملثمون الذين دخلوا السجن بهذه السهولة وبحوزتهم أسلحة؟ وكيف دخلوا واختفوا فجأة؟ وما هو هدفهم من هذه العملية؟
تشكيل خلية أزمة من طرف المساجين
تجنبًا لانفلات الوضع ولتهدئة السجناء، تشكلت خلية أزمة متكونة من حَشّانِي، شَرّاطِي، الواد، كَعْوَانْ وعبد الحق العَيّادَة، تمكنوا من اقناع المعتقلين بعدم الاستجابة للاستفزازات والوقوع في فخ ما يبدو أنه مؤامرة، وتم إيفاد مبعوثين إلى كل القاعات للالتزام بهذه التعليمات.
ثم شرعت خلية الأزمة في اتصالات مع الإدارة، بوفد مشكل من حَشّانِي والعَيّادَة. كانت السلطات العسكرية منذ الساعة الثامنة إلا الربع في عين المكان، تحت إشراف وتنسيق الجنرال غُزَيِلْ رفقة جنرال وعقيد آخرين. وكان النائب العام لمحكمة الجزائر العاصمة عبد الملك السَايحْ يقوم بدور الوسيط.
كان شرط السجناء الوحيد حضور طرف ثالث يتشكل من ثلاثة محامين: عبد النور علي يحيى، مصطفى بُوشَاشِي وبشير مَشْرِي، ليكونوا شهودًا على التزام الإدارة بمعالجة هذه القضية وفقًا للقانون، مثلما عبر عنه أحد الشهود العيان: « كان من الطبيعي أن نطلب ضمانات. لقد عشت شخصيًا مذبحة البَرْوَاقِيَة ورأيت بأم عيني وحشية الجنود لدى اقتحامهم السجن. رأيت مدير السجن يجهز على السجناء بسلاحه الشخصي، كان من الطبيعي، بعد هذه التجربة المريرة، أن نطالب بحضور المحامين على أقل تقدير. »
وحوالي الساعة 10 صباحًا، كُلِف حشاني والعيّادة بإبلاغ هذا الطلب للسلطات العسكرية، لكن قبل وصولهم، اعترضهم المدعي العام عبد الملك سَايَحْ، متهما المعتقلين، ومعربا عن رفضه التام لمسألة المفاوضات، ومُلِحًا على ضرورة تسليم المعتقلين أنفسهم وخضوعهم التام للسلطات العسكرية.
في آخر الأمر فشلت المفاوضات التي دامت أكثر من عشر ساعات رغم توصل الطرفين إلى ما يلي:
التحكم في الوضع وذلك بتهدئة مئات المساجين.
قبول المساجين للشروط التي أملتها عليهم السلطة والمتمثلة في:
الرجوع إلى القاعات والزنزانات.
استسلام المسؤولين عن إزهاق الأرواح، وتطبيق القانون عليهم، وعلى كلّ الذين تسببوا في مخالفات أو أحداث عنف، كان شرطهم الوحيد هو حضور طرف ثالث ليكون شاهداً على الاتفاق.
وهكذا تدحرجت لغة السلم، لتحل مكانها لغة السلاح، العنف، والدّم …
والسؤال الذي نطرحه اليوم: لماذا لم تأخذ السلطة بعين الاعتبار طلب إحضار المحامين الذين اختارتهم خلية الأزمة المشكلة من طرف السجناء؟
» لماذا رفض آمر السجن الجنرال » مدين إسماعيل » فتح أي حوار مع المتمردين؟ » وذلك رغم أن النائب السيد السائح قد وافق على حضور المحامين المطلوبين من قبل المساجين، وسجل أسماءهم في ورقة ولكن لمّا اتصل بالسلطات عن طريق عقيد رُفض طلب المساجين.
المحامون يؤكدون أن السجناء كانوا على استعداد للرّجوع إلى زنزاناتهم ولكن بضمانات، لكن السيد مزيان شريف صرّح في 16 من مارس 1995 « أن قوى الأمن لم تقتحم السجن إلا بعد 12 ساعة من المفاوضات أمام تعنت المتمردين وتصميمهم على الانتحار؟! «
وعندما طلب حشاني حضور المحامين الثلاثة، ثار غضب المدعي العام، السَايَحْ، ورد عليه: « إن الدولة لا تحتاج شهود! وأن طلب حضور المحامين هو مساس بأمن الدولة! » متوعدًا من جديد المعتقلين في حالة عدم عودتهم إلى زنازينهم فورًا ودون قيد أو شرط.
من جهته رد أحد الجنرالات من المخابرات، كان يتولى العملية، بقوله « ليس وارد أن نُحْضِر المحامين، ومن باب أولى عبد النور علي يحيى! » فما كان إلا أن توّجه الشيخ شَرّاطي إلى فناء السجن ودعا السجناء إلى الهدوء والعودة إلى القاعات.
بالفعل أكد السجناء استعدادهم الكامل لإيجاد مخرج سلمي للأزمة، وللعودة إلى زنزاناتهم، خاصة وأن عدد الضحايا لم يكن تجاوز الخمسة وأكّد عبد القادر حشاني بأنه سيقوم بنفسه بإدخال المساجين وغلق أبواب الزنزانات.
وهنا يطرح السؤال، لماذا رفضت السلطات العسكرية وساطة المحامين الثلاثة، علمًا أنه أثناء المفاوضات التي دامت قرابة 10 ساعات لم تُزْهَق أي نفس، زيادة إلى أن هناك سوابق أثبت نجاعة الوساطة وتقديم الضمانات الحقوقية للسجناء وأنقذت أراوح المئات مثلما جرى في 1991 لدى عملية تمرد سجناء الحق العام في سجن الحراش.
كان على هؤلاء المحامين الثلاثة التأكد من:
– أن عدد الضحايا لم يتجاوز العدد المسجل في بداية الأزمة وهم خمسة ضحايا؛
– أن الأمر متروك للسلطات لإجراء التحقيقات اللازمة بعد نجاح الحل السلمي للأزمة، بهدف تحديد المسؤولية، وتطبيق القانون في إطار عادل وشفاف.
في المقابل، تلتزم خلية الأزمة بحزم بإعادة جميع السجناء إلى زنازينهم وقاعاتهم.
لكن، كان رد السلطات الوحيد، رفضًا قاطعًا وعنيفًا أحيانًا، بحجة أن الدولة لا تحتاج إلى شهود.
عقب ذلك شرعت خلية الأزمة في إطلاق سراح حارس احتجزه المعتقلون كرهينة، كبادرة على حسن النية، واستمرت في الإصرار على إحضار المحامين، الأمر الذي رفضته السلطات بإصرار.
خشية منها هجومًا وشيكا بعواقب وخيمة، وبعد شعورها بتوجه ونية شبه علنية، لتنفيذ مذبحة، قررت خلية الأزمة إعادة جميع المساجين داخل زنزاناتهم.
وقد نُفِذ هذا القرار بالفعل من قبل المعتقلين دون إبلاغ السلطات. فقط عندما أوشكت العملية على الانتهاء، أبلغهم حشاني ولعيّادة.
في تلك اللحظة، وعكس كل التوقعات، اختارت السلطات الحل العنيف، وأوقفت المفاوضات فجأة واختطفت أحد المحاورين. كانت الساعة الخامسة والنصف من مساء يوم الثلاثاء 21 فبراير 1995.
في آخر الأمر بدأت قوات الأمن، حسب شهادة السجناء ومصادر أخرى بإطلاق الرصاص باتجاه السجناء من أعلى جدار السجن المطلّ على الساحة التي تضم عدّة قاعات وزنزانات بدون منحهم الوقت الكافي للالتحاق بزنزاناتهم.
تم الهجوم يوم الثلاثاء 21 فيفري 1995 على الساعة الخامسة والنصف عصرًا.
كان أول سجين قتل أثناء عملية القنص الشيخ « يَخْلَفْ شَرّاطِي » الذي أصابته رصاصة قنّاص في رأسه عند اقتحام قوات الأمن السجن مثلما أكده شهود عيان لا يزالون على قيد الحياة، على عكس رواية السلطة والشهادات التي أدلى بها سجناء تحت الإكراه وتم بثها في التلفزيون الرسمي بما يخالف قوانين الإجراءات القانونية مثل التي أدلى بها المدعو عمر بوعلام المحكوم عليه بالإعدام.
عمليات تصفية انتقائية من قبل قناصين
أول ضحية للعمليات القنص من أعلى جدران السجن، كان يخلف شراطي، عضو خلية الأزمة (التي تشكلت من قبل المساجين، للتفاوض مع إدارة السجن لحل الأزمة وعودة الأمور إلى وضعها الطبيعي)، وبقي شراطي بفناء السجن، لضمان إتمام عملية دخول كافة المساجين إلى زنزانتهم، في هدوء وانضباط.
واصل شراطي يردد واقفًا، التعليمات التالية للمساجين: « لا تردّوا على الاستفزازات، حذار من الوقوع في فخ آلية المكر التي تتربص بكم »، وواصل واقفا يمسك في يده مصحفًا ويتلو آيات من الذكر الحكيم، عندما اخترق رصاصة رأسه، فهوى إلى الأرض، مدرجًا بالدماء، وظل الدم ينهمر من جسده وهو يواصل تلاوة القرآن، اقترب منه أحد زملائه السجناء وهو يزحف على الأرض للاقتراب منه، وحاول حمله في ذراعيه قليلا، قبل أن يعيد القناصون استهدافه بوابل من الرصاص، ومن جديد أصيب شراطي برصاصة هشمت ساقيه.
كان الشيخ يَخْلَفْ شَرّاطِي مُستهدفًا بشكل خاص من قبل المدير ومساعديه، وذلك إلى غاية يوم اغتياله. كان الشهيد يَخْلَفْ شَرّاطِي منذ أو يوم من اعتقاله في 1993، عرضة للتحرش المستمر وضحية لجميع أنواع سوء المعاملة من قبل حراس أوكلت إليهم هذه المهمة، وقد قضى الضحية جل وقته في أقبية الطابق السفلي، في عزلة تامة ومعرضا للضرب الوحشي وعاريا رغم إصابته بمرض الربو.
وعن اغتياله، يقول أحد الشهود:
« رأيت الشيخ شراطي ينظم تدفق حركة السجناء في الساحة، كان يحمل مصحفًا بيده اليمنى و ذراعه مرفوعة إلى السماء، ويدعو إخوانه بـ »عدم الرد على الاستفزازات ». « هذه مؤامرة تهدف إلى إبادتنا، عودوا إلى زنازنكم، حفظكم الله! » تحذيرات أطلقها قبل أن يستأنف تلاوة آيات من القرآن الكريم. حدث ذلك بين الساعة الخامسة والسادسة عصرا. »
« فجأة، سمعنا طلقة رصاص، ثم شهدنا الشيخ شراطيي يترنح قبل أن يسقط أرضًا، ماسكًا المصحف بيده، والدم ينفجر من رأسه، مواصلا تلاوة القرآن الكريم بطريقة متقطعة، قبل أن ينهار ويصمت إلى الأبد، وقد تجمعت بركة من الدماء قرب رأسه. توجه نحوه معتقلان، في محاولة لإسعافه قبل أن يطلق الرماة زخة أخرى من الرصاص فهشمت ساق الشيخ شراطي، فيما استقرت إحدى الرصاصات في كوع أحد المسعفين، ثم توالى إطلاق النار بشكل كثيف. ومن فترة لأخرى كان بعض أفراد قوات الأمن يلقون حبالاً مزودة بسنارات كبيرة، لانتشال بعض الضحايا إلى أعلى السطح كجثة السيد يخلف شراطي، أمّا بُومَعْراِفي لَمْبَارَكْ والحارس مْبَارْكِي حَمِيدْ فقد تمّ رفعهما بعد القصف المكثف. »
إلى جانب القصف المكثف والعشوائي نحو الساحة، كان هناك قصف مكثف مركز على قاعات معينة مثل ال قاعات 25، 29، 30، 31التي آوت المعتقلين المحولين مؤخرًا، لاسيما القاعة رقم « 25 » التي لجأ إليها المساجين هروبا من القصف الأعمى الموّجه إلى الساحة. وبعد هذا القصف الانتقائي، اقتحمت قوات الأمن السجن، وتوجهت إلى زنزانات معينة، ثم بعدها وجهت أسلحتها الأوتوماتيكية إلى الزنزانات عبر الفوهات وبدأت تطلق النار بكل برودة على الأشخاص الموجودين بداخلها كما ألقت عددًا من القنابل اليدوية داخل الزنزانات.
« إطلاق رصاص، صراخ، أنين، وكأننا نشاهد نهاية العالم » يقول أحد الناجين من القاعة 31 « ولم تتوقف عملية إطلاق النار التي دامت 17 ساعة إلا بعد إعلان أحد الدركيين بأن الجنرال يأمر بوقف إطلاق النار! ».
قال أحد الحراس الذين تحدّوا المخاطر وأدلوا بشهادتهم رغم التهديدات، أن المدعي العام كان يرتجف، فوقف بجنب أحد الضباط الذي كان يشرف على عملية إنقاذ بُومَعْرَافِي والحارس مْبَارْكِي، مبتهجًا ومهنئًا لهم » هذا أمر رائع حقا، بارك الله فيكم ».
بعدها شرعت قوات الأمن في إخراج الجثث وقد كانت الأشلاء تجمع بالأيدي في أكياس البلاستيك، لأنها ذابت تمامًا. وتفيد بعض الشهادات بأن الساحة وبعض الزنزانات كانت تعكس مشهدًا مروّعًا يفوق حتى مشاهد الأفلام الخيالية. دماء، أشلاء، وقطع من لحوم الجزائريين، وأعضاء مبتورة مبعثرة هنا وهناك… كارثة حقيقية، مجزرة بأتمّ معنى الكلمة.
وفي فجر اليوم الموالي في 22 فبراير بدأ يخف إطلاق النار، وعلى الساعة التاسعة أعطى جنرال المخابرات والجنرال غزيل الأمر بوقف إطلاق النار، ما قد يوحي بانتهاء المعاناة، غير أنها للأسف مجازر من نوع آخر حلّت مكان الأولى.
القائمة السوداء
بعد وقف إطلاق النار، انتقلت قوات التدخّل، المشكلة من عناصر الجيش وقوات الأمن إلى المرحلة الثانية؛ وهي الإجهاز على الجرحى، خاصة في القاعات 25 و29و30و31، أي القاعات التي يتواجد بها « السجناء السياسيين المستهدفين بالعملية ».
يقول شاهد أصيب بعيار ناري في الفخذ « بعد الهجوم الأخير، اقتحم الجنود قاعتنا، كانوا مدججين ببنادق كلاشنيكوف والحراب، وراحوا يدوسون بأحذيتهم على أجسادنا، ويطعنون بحرابهم كل من وقع تحت أقدامهم للإجهاز عليه، فتظاهرت وكأنني جثة هامدة… »
وحوالي منتصف النهار، وفق شهادات عديدة متطابقة، ظهر من جديد المدنيون الملثمون الذين فتحوا أبواب الزنازين فجر أمس، كانوا برفقة ضابط مظلي، ومدير السجن واثنين من الحراس. كان أحد المدنيين المقنعين يحمل قائمة، وينادي بأسماء محددة من السجناء، بينما يقوم الحراس بتقليب الجثث للتعرف على هويتها. وكلما عثر على سجين من المنادى عليهم، لا يزال على قيد الحياة، يتم نقله من طرف الملثمين بأمر من الضابط، إلى مكان متوارٍ عن الأنظار ليجهز عليه برصاصة مسدس. حُسِينْ مْتَاجَرْ، أحد المعتقلين أصيب في بطنه ورقبته، فبعد أن تعرّف عليه الحَارِسْ النُوِي، أجهز عليه أحد المسلحين الملثمين بمسدسه الشخصي. ونفس المصير لقاه كل من حُسِينْ كَعْوَانْ، ونور الدين حَرِيكْ، ومحمد الواد، ومراد كْرِيتُوسْ، ومراد بُوعَكَازْ وإسماعيل بُوغْرُومَة، تم إخراجهم جميعًا من القاعة وقتلهم برصاص من قبل الملثمين. وبعد ساعات تقدّم نائب مدير السجن إلى المحبوسين قائلًا: « هاهو كعوان حسين، انه يغنّي الفوق! » مشيرًا بأصبعه إلى السماء، بنبرة استهزائية في حق حسين كعوان المعروف سابقا بغنائه الشعبي.
قاسم تاجوري ومعتقل آخر، كانا ضمن القائمة في حوزة الملثمين، لم يتمكنوا من تحديد مكانهما فاستشاطوا غيضًا، وأعلنوا عن التعبئة العامة، مع استخدام مكبّرات الصوت في كل مكان في فناء السجن، وفي القاعات، بحثًا عن تاجوري، الذي وُصِف من قبل أحد الحراس، بأنه يرتدي سترة صفراء. وفي الأخير تمّ تحديد مكان تاجوري في القاعة 25، كان مصابًا بجروح خطيرة، وملقى بين الجثث الهامدة. سترته لم تعد صفراء اللون، فقد طغى عليها لون الدم الأحمر الداكن. قام أحد الجنود بوخزه في الظهر مستعملا حربة بندقيته، وعندما تحرك تاجوري من شدة الألم، أجهز عليه أحد الملثمين برصاصة من مسدسه الشخصي.
وغير بعيد، كان الحارس سَلْصَافْ رمضان يسير بين الجثث والجرحى، يُلَوِحُ مبتهجًا. ويقول أحد الشهود: « لقد كان مشهدًا مروعًا في فناء السجن، برك من الدماء المتناثرة، العديد من القتلى والجرحى تمً انتشالهم بواسطة السنانير إلى أعلى الأسطح. »
أفاد شاهد عيان آخر: « نزلت إلى الفناء مع بعض الزملاء، رأيت في الساحة أحد الإخوة المعتقلين، جمال بومزراق، كان يتنفس بصعوبة، نظرًا لإصابته بنوبة ربو حادة. فرفع ذراعيه مستغيثًا، وبعد أن لمحه الحارس سَلْصَافْ، الملقب « بالرْتِيلَة » (أي العنكبوت) اقترب منه وشتمه، ثم وجّه إليه ضربتين بعصاه الحديدية. فقد بومزراق وعيه بعد أن أطلق صرخة أجش، لم يفق بعدها أبدًا، لفظ أنفاسه الأخيرة أمام أعيننا على يد الحارس المجرم رمضان سَلْصَافْ ».
بعد الهجوم… استمرار المعاناة
مباشرة بعد الهجوم الدامي قامت قوات الأمن بتجميع المساجين في الساحة وأمرتهم بالخروج من القاعات والزنزانات زاحفين على بطونهم، يقول أحد شهود العيان: « كان الأمر بالخروج بالزحف على البطن، فخرجنا نزحف وأمِرْنا بالتوّجه إلى ساحة السجن، وخلال كل المسافة كنا نُضرَب بحراب البنادق وأعقابها، وبالقضبان الحديدية. كانت الممرّات مدرجة بالدماء، صراخ المعذّبين يملأ السجن. أنا شخصيًا كنت في الأسفل وأردت أن أخرج من تلك الوضعية، وأموت بالرصاص أو الضرب أفضل لي من أن أموت اختناقًا، ورغم أننا كنا في شهر فيفري فقد بُلِلت أرضية الساحة إمعانًا في تعذيبنا بالبرد، واستمرّ الضرب بواسطة قضبان حديدية وخشبية وأحزمة عسكرية من الساعة الثالثة والنصف إلى الساعة السادسة من نفس اليوم تحت الأمطار الغزيرة في تلك الليلية من شهر رمضان، وظل السجناء بدون أكل لمدة 3 أيام! »
وكان يُطلب من بعض المساجين الوقوف مع التصفيق والرقص وهم يضحكون عليهم، كما كانوا يأمرونهم بقول كلام فاحش وبذيء ضد أنفسهم وضد شخصيات سياسية، وكذلك سبّ دينهم، وإذا امتنعوا يهددونهم بالالتحاق بقائمة القتلى التي لا تزال مفتوحة.
بل وقد تم الاعتداء على شرف وعرض بعض المعتقلين مثلما يقول أحد السجناء: « خلال الهجوم اعتدى على عرضي أحد عناصر الفرق المتدخّلة من الملثمين المسلحين كما فقد مسجون آخر بصره، إثر الاعتداء عليه من طرف الحراس! »
وأفاد محامون أنهم تلقوا شهادات تؤكد استمرار اعتداءات الحراس الرهيبة حتى بعد الاقتحام، منها إخراج المُحامي زْوِيتَه من القاعة التي كان فيها وانهالوا عليه بالضرب والشتم، وهدّدوه بالموت، كما كاد السيد محمد خليل رُوَابْحِي أن يلتحق بركب الأموات، عندما أخذ ملثمون يحملون قائمة الأسماء صرخوا، أين روابحي؟ أين زويتة؟ أين تاجوري؟ فاختبأ روابحي بين الموقوفين في إحدى القاعات وبقي متخفيًا هناك، ونصحه بعض المحبوسين بأن لا يبوح باسمه لأنّ بعض المجهولين يلاحقونه ويريدون الإجهاز عليه، فبقي متواريًا عن الأنظار حتى نهاية الأحداث، ونجا بأعجوبة.
وفي يوم الأربعاء 22 فبراير، الواحدة ظهرًا، أعلن وزير « العدل »، محمد تُقْيَة، على أمواج القناة الثالثة (الناطقة بالفرنسية) عن « نجاح ما وصفه بعملية استرداد النظام في سجن سركاجي »، مشيدًا ببسالة قوات التدخّل على إنجازهم الرائع، وكأن قتل 109 من المعتقلين داخل السجن، يعد « إنجازًا » في نظر وزير العدل.
وقد أجمع الشهود على أن قوات الأمن والجيش استعملت أثناء هجومها عدة أسلحة منها حتى الأسلحة نصف الثقيلة (F.M.P.K) وبنادق قاذفة للقنابل، والأسلحة الرشاشة الأوتوماتيكية (كلاشينكوف) والقنابل المسيلة للدموع، وغيرها…
حجم المجزرة
مرّة أخرى يظهر التناقض، بل تظهر التناقضات في تقدير العدد الحقيقي لضحايا سجن »سركاجي »، إذ أكّدت السلطات الجزائرية أن عدد الضحايا بلغ 96 قتيلا و12 جريحًا فقط. لكن مصادر في الجبهة الاسلامية للإنقاذ أصّرت على أن الرقم أكبر من ذلك بكثير، وعن عدد كبير جدًا من الجرحى. وكان مكتب المدعي العام الجزائري أعلن في بيان أنّ العدد الرسمي لضحايا عملية إخماد التمرد في « سركاجي » يبلغ 96 قتيلًا. وأوضح أنّ السلطات المختصة أجرت تحقيقًا بناءً على طلب وزارة العدل التي يرأسها محمد تقية تبين على إثره « أن 81 من الإرهابيين قُتلوا أثناء اقتحام قوات الأمن السجن »، وأضاف « أن 15 من المجرمين العاديين قتلوا في العملية. وأن أربعة من حراس السجن قتلوا على أيدي السجناء. » مشيرًا إلى سقوط 12 جريحًا من بينهم حارسان، في حين أشارت مصادر في الجبهة الاسلامية للإنقاذ ردًا على معلومات المدّعي العام، على أنّ القتلى أكثر من 200 وقالت لصحيفة « الحياة » في لندن أنّ معلومات من مصادر موثوقة بها وردت إليها، تشير إلى أنّ القتلى 201 وأضافت أن عدد الجرحى كبير جدًا.
بعد المجزرة
تبديد أدّلة المجزرة من طرف إدارة السجن
وجّه تقرير المحامين اتهامًا إلى السلطات بتبديد وإزالة آثار المجزرة بعد الأحداث. حيث سبق أن طلب المحامون من النيابة المختصة في محكمة بَابْ الوَادِي بحجز أدلة الإثبات وتركها على حالها، مع وضع الخواتم القضائية عليها، ريثما يتمّ التحقيق فيها. لكن الجهات المعنية تجاهلت الطلب، حيث قامت إدارة السجن ساعات فقط بعد نهاية المجزرة بنزع كل آثار المجزرة وخاصة في القاعة « 25 » التي أصبحت ركامًا، وقد هُدِّم بابها كلية، بحيث أعيد طلاؤها وترميمها بعد إزالة آثار التقتيل الوحشي، المتمثلة في أشلاء الضحايا، ولون الدم القاني الذي التصق بالجدران، كما جمعت ثياب الضحايا الملطخة بالدماء وأحرقت، وتمّت تغطية الثقوب الكثيرة الناجمة عن القصف الكثيف، والرصاص الثقيل لسلاح « F.M.P.K »، ورصاص الكلاشينكوف، وآثار القنابل اليدوية.
الحصار والضغوطات المستمرة على السجناء
صمت إنّهم يُدفَنُون!
بعد المجزرة البشعة والرهيبة، تم جمع ونقل أشلاء الضحايا أو ما تبقى منهم إلى مصلحة حفظ الجثث بِبُولُوغِينْ، بعضها نقل في أكياس صغيرة من البلاستيك، وقد تمّ تكديسها أيّامًا عديدة حتى تحلّلت، وتمً الدفن في سرية تامّة على أساس قائمة تحمل أرقامًا متبوعة بعلامة X أي « جزائري مجهول »، وبدون حضور أقارب الموتى أو حتى الإشعار القانوني للجهة المختصة إقليميًا، بل ومن غير تصريح بالدفن.
وبعد أن افتضح الأمر، أعطيت أرقام معينة للموتى وأرقام القبور، وقد تحدّث محامي أحد أولياء الضحايا، عن المقابر الجماعية أين دفنت الجثث وهي لا تزال ساخنة، في حين أفاد محامي آخر اعتاد على زيارة سجن سركاجي، أن هناك عدد كبير من الموتى المتراكمين فوق بعضهم البعض، والعديد من الجثث المشوّهة وغير المعروفة.
وأكّد أحد الحفّارين في مقبرة العالية قائلًا « إنّ الجثث كانت تُدفن عادة في نهاية المساء في تابوت من الخشب، دون أن يعلم أحد ماذا يوجد بداخلها »!
والحاصل أنهم حتّى وهم أموات لم تُحترم كرامتهم، ولم يُدفنوا كما يجب، فبعد تكديسهم في السجن، ثم في مصلحة حفظ الجثث، كان مصيرهم أخيرًا أن يدفنوا جماعيًا في سرية تامة وتحت اسم « جزائري مجهول »!
مُعاناة العائلات
خلال الأيام التي تلت الواقعة، عاش أكثر من 1500 عائلة حالة من القلق والفزع والانتظار المرعب، تحترق قلوبهم من أجل معرفة شيء عن مصير ذويهم. وقد حَفَتْ أقدام الأمهات والآباء، ذهابًا وإيابًا إلى السجن، فبعضهم سمع الخبر عن طريق التلفزيون، والبعض الآخر من مصادر أخرى. كانت بعض العائلات تستيقظ في رمضان من تلك السنة، في الصباح الباكر لتبقى قريبة من السجن لعلها تسمع خبرًا عن قريبها، لكن دون جدوى، لم تسرّب أي معلومة. كما كانت العائلات لمّا تذهب إلى السجن للاستعلام، تُقابل بألوان من الشتم والكلام البذيء، في عبارة تَصُمُّ لها الآذان « اذهبوا وابحثوا عنهم في مقبرة: القَطّارْ أو العَالِية ».
ولما رُفع المنع، أي بعد 11 يومًا من المجزرة، تمكّن المحامون من الدخول إلى سجن سركاجي، كانوا يسألون عن موكليهم لعلّهم يجدونهم أحياءً، وبذلك أصبح المحامون هم السبيل الوحيد الذي لجأت إليه العائلات لمعرفة مصير ذويهم.
وبالنسبة لعائلات الضحايا ونظرًا لعدم قدرتها على الحصول على معلومات أو دلائل مادية حول الظروف التي تُوفي فيها ذويهم، أقامت بعض العائلات دعاوي في « محكمة رايس حميدو » لباب الوادي ضد القتل العمدي (Homicide volontaire) كما طالبوا بفتح تحقيق مع استخراج الجثث والقيام بالتشريح من أجل التعرّف عل كلّ ضحية، لا سيما وأنّ هناك أقاويل تذكرُ أن القبور تحتوي على أشلاء متبعثرة في أكياس البلاستيك. ولكن طلبات عائلات الضحايا للجهات القضائية المختصة لم تؤخذ بعين الاعتبار إلى يومنا هذا!
يُجمع الخبراء أن إجراء التشريح ومعرفة آراء الطبيب الشرعي وخبراء المقذوفات، كان من الممكن أن يُسهم إلى حد كبير في معرفة كم عدد القتلى الذين أصيبوا برصاص قوات الأمن ومن أي مسافة تم إطلاق الرصاص، وكذا عدد الذين قتلوا بإلقاء القنابل اليدوية. وكذلك التأكد من هوية المقتول، وسبب وظروف وفاته، بل إن الطب الشرعي يسمح في كثير من الأحيان بتحديد ساعة ومكان الوفاة، كما أنّه كان من الضروري أخذ صور بالألوان للضحايا ولآثار الجروح على الجثث، وتضمينها في التقرير النهائي.
كل هذه الاجراءات التي ينصّ عليها القانون الجزائري ذاته كان من شأنها التحقق من صحة مزاعم السلطات، بأن السجناء قتلوا من طرف سجناء آخرين بالسلاح الأبيض.
وكان من الممكن أيضا التأكدّ ممّا جاء في تصريح أحد أعضاء اللجنة التي كوّنها المرصد الوطني لحقوق الإنسان المعيّن من قبل الحكومة، الذي ذكر أنّ « معظم الضحايا أصيبوا بجرح رصاصة في الرأس » الأمر الذي أثار استغراب ممثلي منظمة العفو الدولية، لأنه في حالة صحّ هذا التصريح، فمعنى ذلك أن المسجونين قد قتلوا عمدًا!
وعن تقرير المرصد الوطني لحقوق الإنسان فيما يخّص أحداث سركاجي، قال المحامي الأستاذ مصطفى بُوشَاشِي:
« الخصم لا يمكن أن يكون هو القاضي، ليس في استطاعة لجنة التحقيق الحكومية برئاسة عبد الرزاق بارة، المشكّلة من وزارتي العدل والداخلية أن تتوصل إلى نتائج نزيهة لأن هاتين المؤسستين شاركتا في الإشراف على الأحداث التي انتهت بمأساة. ولهذا السبب طلبت مجموعة الدفاع عن الضحايا منذ البداية بإنشاء لجنة مستقلة للتحقيق، وذلك نظرًا لحجم المأساة، على أن تشمل هذه اللجنة محامين، وأعضاء من أسر الضحايا ومنظمات حقوق الإنسان ».
بالفعل، جاء تقرير لجنة التحقيق التابعة للمرصد الوطني لحقوق الإنسان (ONDH) بشأن أحداث سركاجي في شهر ماي 1995 متناقضا بشكل جليّ فيما يخصّ بعض النقاط، مثيرًا انتقادات لاذعة من قبل العديد من منظمات لحقوق الإنسان، كمنظمة العفو الدولية (Amnesty International)، ومنظمة (Human Rights Watch)، وكذا منظمات حقوق الإنسان الجزائرية ومحامين جزائريين.
فرغم وجود قرابة 1500 معتقلا في سجن سركاجي، اكتفت اللجنة بإجراء مقابلات مع عشرة معتقلين فقط، وكان معظم المستجوبين قد أدلوا بشهادتهم في مقابلات أجراها التلفزيون الجزائري بعد بضعة أيّام من الحادث، في انتهاك صارخ للقانون، وقد جاءت أقوالهم مطابقة لما ذكرته السلطات، مما يشير إلى أن المساجين أُجبروا على الادلاء بشهاداتهم تحت التهديد.
كما أن التقرير لم يُفسّر السبب الذي من أجله لجأت قوات الأمن إلى استخدام القنابل اليدوية والذخيرة الحيّة، ممّا أسفر عن سقوط هذا العدد الكبير من القتلى والجرحى بين المعتقلين.
وفي الصفحة (25) من تقرير لجنة عبد الرزاق بَارَة ذكرت هذه الأخيرة في تبريرها للدّفن المستعجل وعدم إجراء عمليات التشريح لجثث الضحايا « أن التشريح لم يتم سواء تعلقّ الأمر بجثث الحراس المذبوحين أو السجناء الرهائن أو السجناء المتمرّدين لأن الأسباب المؤدية إلى الوفاة كانت معروفة مثلما أوضحت ذلك النيابة العامّة لأعضاء اللجنة ».
وذكر التقرير أنه « تمّ تصوير جميع القتلى من السجناء وأخذ بصمة أصابعهم من طرف مصلحة الإنابة التابعة للشرطة القضائية. وقد أعطي لكل جثة رقمًا يتناسب مع ملف يحتوي إضافة إلى الصورة وبصمات الأصابع، وشهادة إثبات الوفاة وشهادة طبية وصفية « .
وفي جوان 1995 التقى مندوبو منظمة العفو الدولية مع أعضاء لجنة التحقيق التي شكّلها المرصد الوطني لحقوق الإنسان في الجزائر، وطلبوا نُسَخًا من صور الجثث والشهادات الطبية الخاصة بها ولكن أعضاء اللجنة قالوا إنّ الصور والوثائق الأخرى ليست بحوزتهم وإن كانوا قد اطّلعوا عليها عند إجراء التحقيق. وفي ماي 1996 طلب مندوبون من منظمة العفو الدولية، مرّة أخرى من رئيس « المرصد الوطني لحقوق الإنسان » إمدادهم بنُسخ من الصور الفوتوغرافية، فأنكر علمه بوجود أيّة صور من هذا القبيل !
ولمّا نوّه المندوبون إلى أنّ تقرير « المرصد الوطني لحقوق الإنسان » قد أشار إلى وجود هذه الصور قال إنه لا يذكر شيئا عن وجود مثل هذه الصور! وهو الذي وقّع عليه بوصفه مُقرِرًا للجنة التحقيق.
وفي سؤال للسيد المحامي بُوشَاشِي فيما كان على دراية بوجود الصور الفوتوغرافية وهل هناك صور فعلًا، أجاب « لا أظنّ ذلك، لأنه في اعتقادي لا يوجد جثث أصلًا، كانوا يأخذون الأشلاء بأيديهم ويضعونها في الأكياس ».
وتذكر منظمة العفو الدولية في أحد تقاريرها، أنه قد لا توجد صورٌ أصلًا أو أن هناك صورًا تثبت قيام قوات الأمن بارتكاب انتهاكات جسمية لحقوق الإنسان، بما في ذلك ما يُحتمل أن تكون عمليات إعدام خارج نطاق القضاء. وكل ذلك يفسّر سبب عدم إقدام لجنة التحقيق بتلبية طلب عائلات الضحايا ومحاميهم باستخراج الجثث وتشريحها.
وجاء في ملخص لتقرير Human Rights Watch بتاريخ 21 أوت 1995 أي بعد ستة أشهر عن الأحداث، أنّ التستر على عملية القمع التي أسمتها السلطة تمرّد سركاجي، يدلّ على مناخ الإفلات من العقاب الذي أحاط بالانتهاكات الجسيمة لحقوق الإنسان على يد قوات الأمن الجزائرية.
ويقول كريستوفر جورج، المدير التنفيذي لـ Human Rights Watchبمنطقة الشرق الأوسط، في إشارة إلى حادث دموي آخر وقع في سجن البَرْوَاقِيَة، بجنوب العاصمة، في نوفمبر 1994: « يبدو أن الحكومة الجزائرية لديها الكثير ممّا تخفيه. هذا ثاني أخطر حادث يتعرّض له السجناء الإسلاميون بوحشية، وقد رفضت السلطات تقديم إجابات موثوق بها أو السماح بإجراء تحقيقات مستقلة « .
فيما يلي تحقيق المرصد الوطني لحقوق الإنسان ONDH.
اللجنة الوطنية غير الحكومية للتحقيق في أحداث سركاجي
وفي يوم 27 فيفري 1995، بادر المرصد الوطني لحقوق الإنسان بتقديم اقتراح لإنشاء لجنة وطنية غير حكومية تتكّون من ممثلين للمنظمات الآتية:
• الاتحاد الوطني للمحامين Union Nationale des Barreaux
• المجلس الأعلى للقضاءConseil Supérieur de la Magistrature
• الرابطة الجزائرية لحقوق الإنسانLigue Algérienne des Droits de l’Homme (LADH)
• الرابطة الجزائرية للدفاع عن حقوق الإنسان Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH)
• الاتحاد الطبّي الجزائري Union Médicale Algérienne
وقد استجاب المجلس الأعلى للقضاء والاتحاد الطبي الجزائري للمبادرة، حيث قاما بتعيين ممثلين عنهما للانخراط في هذه اللجنة. غير أن الرابطة الجزائرية لحقوق الإنسان رفضت المشاركة في حين لم يصل أي جواب في هذا الشأن من الإتحاد الوطني للمحامين أو الرابطة الجزائرية للدّفاع عن حقوق الإنسان.
ومن جهة أخرى عبّرت ثلاث منظمات أمريكية للدّفاع عن حقوق الإنسان وهي (Human Rights Watch)، لجنة المحامين لحقوق الإنسان (Lawyers Comitee For Human Rights) وأطباء حقوق الإنسان (Physicians For Human Rights) عن استعدادها لإجراء تحقيق في هذا الموضوع أو المشاركة فيه، وقد كان الجواب على ذلك أن تكون اللجنة المقترحة وطنية وغير حكومية (Commission nationale et non gouvernementale).
أمّا منظمة العفو الدولية (Amnesty International) فقد طلبت في بيان لها صدر بتاريخ 27 فيفري 1995 بإجراء تحقيق مستقل على أن تُنشر نتائجه بصورة علنية.
وأصدرت جماعة من محامي لمعتقلين بسركاجي، وعددهم 13 محاميًا بيانًا نُشِر في صحيفة لاناسيون « La Nation » وهي أسبوعية مستقلة، بتاريخ 21-27 ماي 1995 عبّروا فيه عن اعتراضهم على العدد الرسمي للقتلى. ولدى إطلاع اللجنة على هذا البيان قامت بتوجيه دعوة إلى كل واحد منهم على حدة بغرض تقديم شهادته سواء كان ذلك كتابيًا أو بالتقرّب من الأمانة.
ولم تتلقّ اللجنة أيّ ردّ في هذا الشأن، ما عدا الأستاذ محمود خليلي(Me Mahmoud Khellili) الذي ذكر في رسالة مؤرخة في 30 مارس 1995 بأنه لا يثق في المرصد الوطني لحقوق الإنسان.
وأثناء تنصيب اللجنة بمقرّ المرصد يوم 27 مارس 1995 تمّ تعيين محمد كمال رزاق بارة (Mohamed Kamel Rezzag Bara) مقررًا، وبالمثل تمّ تحديد المهمة الموكلة إليها، ومن خلال تقرير لجنة عبد الرزاق بارة، بدا للجنة بأنّ:
• أحداث سركاجي يمكن تحليلها على أنّها محاولة للفرار تمّ إفشالها بسرعة، قبل أن تتحوّل إلى تمرّد بجناح السجن المخصص للسّجناء المتابعين في إطار القانون المتضمّن مكافحة الإرهاب والتخّريب.
• محاولة الفرار لسركاجي التي تحوّلت إلى تمرّد تبدو أنها تحمل أوجه الشبه مع المحاولات الناجحة وتلك الفاشلة التي نظمت في المؤسسات العقابية الأخرى « لتازولت » والبرواقية، تيارت، المرسى الكبير، شرشال والحراش، تبسة، وغيرها منذ نهاية سنة 1992م.
• وحسب العدد الكبير من الشهادات المتطابقة، بدا بالنسبة لهذه الفئة من السجناء بأنّ العملية التي بدأت خارج مركز الاعتقال ستتواصل داخله.
• هذه الأعمال ساعدتها التساهلات الناتجة عن النقائص الملاحظة في نظام الحراسة والمراقبة، وفي كلّ مرة كان التواطؤ من طرف بعض الحراس من الداخل كعامل حسم.
• حسب الكثير من الشهادات المتوافقة، يمكن اعتبار بأنّ نظام السجن المطبّق على المساجين المتابعين في إطار قانون مكافحة الارهاب والتخريب هو أكثر صرامة من النظام المطبق على سجناء القانون العام، إلا أنّه بدا للجنة بأنّ نظام الحبس ليس هو مصدر محاولة الفرار التمرد.
• لاحظت لجنة التحقيق أن تسيير المؤسسة العقابية لسركاجي لا يتطابق بتاتا مع قانونها الأساسي، حيث تعتبر كمؤسسة لإعادة التربية إلاّ أنها تقوم بدور مؤسسة الوقاية وإعادة التأهيل.
• ويضاف إلى هذا الوضع المختلط، الآثار السلبية الناجمة عن اكتظاظ السجناء الذين يتكونون أساسًا من المعتقلين المتابعين أو المحكوم عليهم في إطار قانون مكافحة الإرهاب والتخريب.
• علاوة على ذلك، اكتشفت اللجنة عدم تكييف نظام الأمن القائم داخل أروقة السجن والتحضير غير الفعّال للعناصر المكلفين بإعادة التربية الموجهين لهذا النوع من السجناء وخاصة غياب الإجراءات الأمنية الوقائية المطبقة على الأشخاص المكلفين بالمراقبة أثناء دخولهم وخروجهم من أروقة السجن، وقد كان هذا العامل حاسمًا في التحضير للعملية.
• ومن جهة أخرى تتأسّف لجنة التحقيق لانعدام التجهيزات الأمنية العصرية التي من شأنها تجنيب النقائص البشرية أو التواطؤ النشيط.
• بعد فشل المفاوضات بين خلية الأزمة « Cellule de crise » والوسطاء « Médiateurs » التي انطلقت من الساعة 7 س و30 د إلى الساعة 16 من نفس يوم الثلاثاء 21 فيفري 1995، سُمح لقوات الأمن بالتدخّل حيث قامت بنشر عناصر وحداتها داخل المؤسسة ممّا أدى إلى استسلام تدريجي لأكبر عدد من المتمردين.
• وقد امتد هذا التدخل الذي رافقه توجيه نداءات متتالية للعودة إلى الهدوء من الساعة 16 من يوم الثلاثاء 21 فيفري 1995 إلى يوم الأربعاء 22 فيفري 1995 على الساعة العاشرة.
• تتأسف اللجنة للعدد الكبير للقتلى على إثر تدخّل مصالح الأمن وكذا لمنطق استعمال القوة الذي فرضته مجموعة من المتمردين والذي يحتمل جدًا أنهم مسؤولون عن اغتيال الحراس الأربعة احتجاز 26 سجينًا من سجناء القانون العام كرهائن.
• ويأمل أعضاء اللجنة، الذين يعتقدون بأنهم أنهوا فترة التحقيق بكلّ ذمتهم وضميرهم، بأنّ يعمل هذا التقرير على ترقية دولة القانون في الجزائر ويعربون عن ارتياحهم للتسهيلات التي قدّمت لهم لإتمام مهمتهم إلى غايتها.
حرّر بالجزائر في يوم 16 ماي 1995
مقرّر اللجنة
السيد كمال رزاق بارة
ملاحظة: لقد تم عمومًا نقل أهمّ ما جاء في تحقيق المرصد الوطني لحقوق الإنسان مع قليل من التصرّف، لكن أغلب التحقيق نقل كما هو.
ما يسجّل على تحقيق المرصد الوطني لحقوق الإنسان فيما يخّص أحداث سركاجي
لقد تمّ نشر تقرير لجنة التحقيق التابعة للمرصد الوطني لحقوق الإنسان (ONDH) فيما بتعلق بأحداث سركاجي في شهر ماي 1995م.
وقد جاء هذا التحقيق متناقضًا بشكل جليّ فيما يخصّ بعض النقاط، الشيء الذي أدى بكثير من منظمات الحقوق الإنسانية، كمنظمة العفو الدولية (Ammesty International)، ومنظمة (Human Rights Watch)، وكذا منظمات حقوق الإنسان الجزائرية ومحامين جزائريين إلى انتقاده بشكل لاذع.
وقد فرّطت اللجنة حين أغفلت أهمّ نقطة في التحقيق، وهي كيفية التدخّل مع نوع الأسلحة المستعملة، حيث تحدّثت اللجنة عن « الهجوم » في بضعة أسطر، وبالتالي فإنّ التحقيق لم يُوجّه اهتمامًا يُذكر لمعرفة حقيقة الملابسات التي اكتنفت وفاة أكثر من 100 شخص (حسب الرواية الرسمية)، كما لم يتعرّض التحقيق لبحث أهمّ مسألة في الحادث ألا وهي ظروف المعتقلين.
وقد صرّحت السلطات والمرصد الوطني لحقوق الإنسان في عدّة مرات بأنّ عددًا قليلًا من المساجين كانوا مسلّحين (كان بحوزتهم 4 مسدسات وثلاث قنابل يدوية، واحدة لم تنفجر والثانية انفجرت في يد السجين الذي جُرح، والثالثة التي يبدو أنه لم تنفجر والتي أُبديت في التلفزة الوطنية)، وقد كان هؤلاء السجناء محلّ هدف العدد الكبير من المساجين نحو 96 سجينا وعضو من قوات الأمن بعد تدخّل قوات الأمن!
كما أنّ العدد الإجمالي للجرحى هو 12 من بينهم 5 تابعين لقوات الأمن. وهذا يطرح العديد من الأسئلة حول العدد غير المتجانس بين القتلى والجرحى، كما جاءت رواية الأحداث في تقرير اللجنة متطابقة تقريبًا مع ما ذكرته السلطات فور وقوع الحادث. ورغم وجود ما يقرب من 1500 معتقلا في سجن سركاجي إبّان الاضطرابات، فقد اكتفت اللجنة بإجراء مقابلات مع عشرة معتقلين فقط، وكان معظم المستجوبين قد أدلوا بشهادتهم في مقابلات أجراها التلفزيون الجزائري بعد بضعة أيّام من الحادث.
وجاءت أقوالهم مطابقة لما ذكرته السلطات، إلى جانب ما أشارت إليه بعض المصادر إلى أنّ المساجين أُجبروا على الشهادة تحت الضغوطات، وكان في مقدور اللجنة استجواب أكبر عدد ممكن من المساجين الذين شهدوا الأحداث.
وذكر تقرير المرصد الوطني لحقوق الإنسان أنّ قوات الأمن « فضّلت عند قيامها بإخماد التمرّد عدم استخدام القنابل المسيلة للدموع، وذلك حتى لا تحدث حالات اختناق، خوفًا من عدم تمكن المعتقلين من الوصول إلى فتحة التهوية »، لكن حسب المعتقلين الذين كانوا بعيدين عن المكان الذي جرت فيه الأحداث، فقد تضّرروا من فعل هذه الغازات.
كما أن التقرير لم يُفسّر السبب الذي من أجله لجأت قوات الأمن إلى استخدام القنابل اليدوية والذخيرة الحيّة، ممّا أسفر عن سقوط هذا العدد الكبير من القتلى والجرحى بين المعتقلين.
وبذلك لم تقم اللجنة التي أجرت التحقيق وطبقا للمهام التي سطرتها مسبقًا بالإجابة على الأسئلة المهمّة حيث لم تحدّد إذا ما كانت قوات الأمن عند لجوئها إلى استعمال القوّة أثناء التمرّد، طبقت القانون الخاص بالمسؤولين عن تطبيق القوانين (قرار الأمم المتحدّة رقم 34/169 المؤرخ في 17 ديسمبر 1979م، ولاسيما المادة « 3 » منه) وكذا القانون الجزائري!
كما لم تقم اللجنة بمعاينة جثث القتلى، أو الأسلحة المستخدمة ولم يتمّ على الإطلاق تشريح الجثث أو فحصها بمعرفة خبراء المقذوفات.
هذه الاختبارات كان من الممكن أن تكون لها أهمية رئيسية لمعرفة الظروف التي قُتل فيها المساجين، وخصوصًا كانت تسمح بمعرفة، كم عدد القتلى الذين أُصيبوا برصاص قوات الأمن، أو كم عدد الذين قتلوا بإلقاء القنابل اليدوية من طرف قوات الأمن. هذه المعلومات مهمّة أكثر من التي صرّحت بها السلطات بأنّ السجناء قتلوا من طرف سجناء آخرين بالسلاح الأبيض (السكاكين).
وفي الصفحة 25 من تقرير اللجنة ذكرت هذه الأخيرة « … لم يتمّ أجراء أي تشريح للجثث… » وقد برّرت ذلك مضيفة « سواء تعلقّ الأمر بجثث الحراس المذبوحين أو السّجناء الرّهائن أو السجناء المتمردين لأن الأسباب المؤدية إلى الوفاة كانت معروفة مثلما أوضحت ذلك النيابة العامّة لأعضاء اللجنة ».
وقد أثارت منظمة العفو الدولية عدّة أسئلة في مقابلاتها مع أعضاء اللجنة حول الأحداث نفسها وحول التحقيق فلم تتحصل على التفاصيل اللازمة.
« وفي ما يتعلق بالدفن المستعجل للجثث بدون أن يجرى عليها أي تشريح والسبب الذي من أجله لم يقم المرصد الوطني لحقوق الإنسان (ONDH) بطلب بحفر قبور الضحايا واستخراج الجثث (Exhumation) حتى يتمّ فحصها، أجاب أعضاء لجنة التحقيق قائلين بأنّ ليس من الضروري تطبيق التشريحات للجثث بما أنه معلوم بأن المساجين قد أجهز عليهم، رغم أنّه جاء في التقرير بأنه ثمّ استعمال القنابل اليدوية والسكاكين »!
« وفيما يخصّ السؤال المتعلق بمعرفة عدد الجثث التي كانت في حالة حسنة وكم عدد الجثث المشوّهة غير تلك التي تحتوي على جروح بسبب الرّصاص يُضيف عضو من أعضاء اللجنة أنّ معظم الضحايا أصيبوا بجُرح رصاصة في الرأس. إنّ ممثلي المنظمة عبّروا عن تفاجئهم الذي يوحي لهم بالتفكير بأن المسجونين قد قتلوا عمدًا! صرح عضو في اللجنة بأن المساجين يُحتمل أنّهم قد أصيبوا بحوالي اثنين إلى ثلاث رصاصات جارحة ».
وفي الصفحة 25 ذكر تقرير لجنة التحقيق للمرصد الوطني لحقوق الإنسان ما يلي:
« تمّ تصوير جميع القتلى من السجناء وأخذ بصمة أصابعهم من طرف مصلحة الإنابة التابعة للشرطة القضائية. وقد أعطي لكل جثة رقمًا يتناسب مع ملف يحتوي إضافة إلى الصورة وبصمات الأصابع، شهادة إثبات الوفاة وشهادة طبية وصفية ».
« وبالمثل فقد ذكر رئيس المرصد الوطني لحقوق الإنسان لمنظمة العفو الدولية خلال زيارته إلى لندن في أفريل 1995 أنّه قد التقطت صور فوتوغرافية لكلّ جثة وسجلت بصماتها قبل دفنها.
وفي جوان 1995 التقى مندوبو منظمة العفو الدولية مع أعضاء لجنة التحقيق التي شكلها المرصد الوطني لحقوق الإنسان في الجزائر، وطلبوا نسخًا من صور الجثث والشهادات الطبية الخاصة بها، ولكن أعضاء اللجنة قالوا إن الصور والوثائق الأخرى ليست بحوزتهم وإن كانوا قد اطلعوا عليها عند إجراء التحقيق.
وفي ماي 1996 قام مندوبون من منظمة العفو الدولية، وطلبوا مرّة أخرى من رئيس « المرصد الوطني لحقوق الإنسان » إمدادهم بنُسخ من الصور الفوتوغرافية، فأجاب بأنّه ليس لديه علم بوجود أيّة صور من هذا القبيل!
ولما نوّه المندوبون إلى أنّ تقرير المرصد الوطني لحقوق الإنسان الذي وقع عليه رئيسه بوصفه مقرّرًا للجنة التحقيق قد أشار إلى وجود هذه الصور قال إنه لا يذكر شيئا عن وجود مثل هذه الصور!
كما التقى المندوبون مع عضو آخر في لجنة التحقيق فذكر أنه لم يشاهد هذه الصوّر قطّ، رغم أنّه صرّح لمنظمة العفو الدولية في جوان 1995 بأنّه اطلّع بنفسه على الصور الفوتوغرافية وأبدى تعليقات عليها، وطلب وفد المنظمة الحصول على نسخ من هذه الصور من وزارة العدل، ولكن دون جدوى.
وهكذا فقد جاء تقرير المرصد الوطني لحقوق الإنسان متناقضًا بشكل جليّ وهو الأمر الذي يُعزّز المخاوف القائمة من احتمال ألاّ تكون لهذه الصور وجود أصلاً.
بذلك لم يُسمح لعائلات ومحامي الضحايا ولا منظمات حقوق الإنسان الدولية أو الجزائرية الاطلاع على الصور أو حتى الحصول على أيّ نسخة طبق الأصل.
ونتساءل اليوم كيف لم تقم لجنة التحقيق بطلب استخراج الجثث، وتشريحها رغم أن عائلات الضحايا ومحاميهم قد قاموا بطلب استخراج الجثث وفحصها.
وفي سؤال لأحد المحامين حول المرصد الوطني لحقوق الإنسان ذكر ما يلي:
« إنّ المرصد الوطني لحقوق الإنسان (ONDH) أصبح يُدافع عن السلطة، (محامي السلطة) في تبرير تصرفاتها وإضفاء الطابع لقانوني لكلّ أعمال مؤسسات الدولة، عوض أن يهتمّ بشكاوي المواطنين « .
كان من اللاّزم أن يتصف أي تحقيق بالموضوعية والأمانة في نقل المعلومات بدون حساسيات سياسية أو غيرها، حتى يتجسّد مبدأ إعلاء حقوق الإنسان على أكمل وجه!
التضليل الإعلامي
إلى جانب التدخّل المميت لمختلف قوات التدخل أثناء مجزرة سركاجي، والدور الذي لا يقل جرمًا لجهاز القضاء، التحقت بهما الآلية الإعلامية، من خلال التحقيق المتلفز، المخلّ بكلّ قواعد التحقيقات الواجبة، ثم التغطية المضلّلة للصحف المعروفة بولائها المطلق للطرح الاستئصالي والتي تميّزت على مرّ السنين بالتحريض على الانقلاب وتبريره بل واعتباره إنقاذًا للجمهورية، قامت هذه الوسائل، وخاصة منها يوميات الوطن (El Watan) وليبرتي (Liberté) ولوماتان (Le Matin) ولوتونتيك (L’Authentique)، بالترويج للرواية الرسمية، واتهام المعتقلين بالتسبّب فيما حدث، بل وصل الحد بصحفية لومتان بتاريخ 23 فبراير 1995 إلى التباهي رغم هول المجزرة والدماء التي سمكت، من خلال عنوان بارز، جاء فيه « لقد تم القضاء على المتمرّدين » بينما كتبت صحيفة لوريزون (L’Horizon)، مقالة لا تقل وقاحة وإجرام، تقول فيها « تمرّد سركاجي خلّف 5 قتلى من بين الحراس » في تجاهل تام وسمج لاغتيال 105 سجين أعزل، فضلًا عن عناوين ومقالات وتضليل عمّ كافة هذه الوسائل بما يبيّن مدى ارتهان هذه الأبواق الإعلامية وخضوعها المطلق للنظام الحاكم.
خلاصة
سير الأحداث وتكشّف الحقائق وفق الشهادات المختلفة للناجين من المجزرة يظهر أن كل شيء تمّ إعداده بدقة لخلق ذريعة وجوّ من التمرّد يبرّران تدخلًا دمويًا.
الإعداد والتنفيذ والفشل المبرمج لـ « محاولة الفرار »، وكذلك « التمرّد » المدفوع دفعًا إليه، نتيجة الظهور المفاجئ لرجال مقنّعين المكلفين بمهمّة محدّدة تتمثل في الفتح بالمفتاح أو بتحطيم زنازين السجناء المحكوم عليهم بالإعدام، ثم اختفاؤهم فجأة دون ترك أثر، تشكّل أكثر البراهين وضوحًا وافتضاحًا على ذلك. لكن لم تتوقّف الآلية التي بدأ العمل بها، رغم « العراقيل غير المتوقعة » التي سبّبها التواجد في باحة السجن، لكلّ من بومعرافي، القاتل المزعوم لمحمد بوضياف، والحارس مباركي، الذي قِيل إنه كان له دورًا مهمًا في الأحداث. حتى وجود الشرطة والأجانب المعتقلين لم يوقف شيئًا. وفي هذا الوضع تمّ الشروع في الهجوم بعدما تم انتشال بومعرافي والحارس، ورفعهما بالحبال إلى سطح السجن، قبل أن يصيح النائب العام « شيء عظيم! »
يُظهر مسلسل الأحداث كما أعيد تشكيله من خلال الشهادات المختلفة للناجين أنّ الأمر يتعلّق فعلًا بمشروع استئصال تم تنفيذه ضد السجناء السياسيين، الذين كانت جريمتهم الوحيدة، أنهم يتبنّون آراء مختلفة. بعد المذبحة، ظهر رجال مقنعون، ولكن هذه المرّة بصحبة مدير السجن، لاقتياد المعتقلين الذين تم سحبهم من زنازينهم باتجاه أماكن سرية.
كما تكشف هذه الشهادات بوضوح أن الفيلم الوثائقي التلفزيوني الذي أنتجه النائب العام شخصيًا كان يهدف إلى تشويه الحقائق، وليس إلى إثبات الوقائع بشكل مستقل ونزيه، وذلك من خلال فرض على المعتقلين، رهائن إدارة السجن، إدلائهم بشهادات تؤكد الأطروحات الرسمية.
ختاما، ألا يحق لنا التساؤل عن الغرض من التحقيق في مذبحة سركاجي من قبل الجهات القضائية المتورطة فيها؟ ماذا يمكن توقّعه من نتائج هذه التحقيقات الصادرة عن هيئة تشكل القاضي وطرف في هذه القضية؟
تعلم كافة أسر الضحايا بأن هذا لن يعيد لهم ذويهم القتلى، لكنهم مقتنعون بأنه من خلال كسر جدار الصمت على مثل هذه الانحرافات لدور الدولة، وتوظيف أجهزتها، سيساهمون بقوة في ضمان عدم تكرار مثل هذه الأعمال اللاإنسانية وغير المشرفة، وسيحصن الجزائر ويحميها من الانزلاق بشكل خطير إلى عالم الرعب حيث يشكّل القمع والتضليل الإعلامي والتعذيب، الوسائل المفضّلة لإدارة شؤون الدولة.
كما أنهم مقتنعون بأنّ الحقيقة حول هذه القضية ستعمل على خلق ظروف مواتية لظهور سيادة القانون.
في مواجهة هذا الوضع البغيض، الذي يذكرنا بجرائم الحرب التي لا تسقط بالتقادم بموجب القانون الدولي، تُوّجه أسر الضحايا ومحاميهم ونشطاء حقوق الإنسان نداءً عاجلًا إلى الضمير العالمي والمنظمات الإنسانية وحقوق الإنسان للمطالبة بضرورة تشكيل لجنة تحقيق محايدة ومستقلّة من أجل المساهمة في إظهار الحقيقة كاملة.
هل ستأخذ العدالة مجراها يوما ويُتابَع كل من توّرط في هذه المجزرة ويعاقب على جرائمه؟ لا شك في ذلك الحقيقة، تفرض نفسها دائما، مهما طال الزمن.
المصادر، مترجمة إلى العربية من:
Algeria-Watch
Livre blanc sur la répression en Algérie (1991-1995)
PAR AW · PUBLIÉ JANVIER 19, 2022 · MIS À JOUR JANVIER 19, 2022
Salima Mellah, 60 ans, Algeria-Watch, 19 janvier 2022
Je me souviens de la période foisonnante qui a précédé le putsch du 11 janvier 1992. J’avais quitté l’Algérie depuis quelques années, y retournant régulièrement pour rendre visite à la famille et aux amis et j’avoue que même si j’aimais ces retours au bercail, je trouvais l’atmosphère plutôt étouffante et monotone. Surgit alors « octobre 1988 », les jeunes dans la rue, l’ébranlement du régime, et rapidement j’ai voulu voir de mes propres yeux. Sur place, je suis de suite happée par la frénésie qui s’est emparée des gens et électrisée par leur enthousiasme. Les anciens retrouvent l’ambiance des lendemains d’indépendance. J’assiste partout à des discussions passionnées sur l’avenir, la démocratie, le pluralisme, la place de la religion, le rôle de la femme, les choix économiques, bref, quel projet de société pour cette Algérie enfin sortie de sa léthargie ? Tous refont le monde, même dans la rue, j’assiste à des échanges spontanés avec des inconnus. Tant de surprises, et en voici deux : dans de nombreuses familles, les femmes participent maintenant passionnément aux débats politiques alors que d’habitude elles n’en voyaient pas l’intérêt ; et, plus largement, ce besoin pressant d’union entre tous les Algériens, de recherche de solution pour tous. Le pluralisme dans l’union. Cette année 1989 fut la plus palpitante et inspirante. Celles qui suivront seront entachées de manipulations que je ne saisirai que bien plus tard.
Et puis, rapidement, l’annonce d’élections sonne le début de la fin de la récréation. Il s’agit maintenant de former des rangs, de choisir son camp pour se lancer dans l’affrontement des partis politiques tout juste constitués alors même que l’apprentissage du débat et de l’échange d’idées est nouveau. Avec cet empressement, d’autres logiques se mettent dès lors en place dans une impréparation qui sera lourde de conséquences. Les élections locales en juin 1990 sont remportées par le FIS et la crispation est palpable. Alors qu’une partie de la population jubile et se lance dans un activisme politique et social frénétique, une autre est inquiète à l’idée que le FIS puisse remporter les élections législatives prévues un an plus tard. Quant aux dirigeants du parti vainqueur, loin de vouloir rassurer, certains croient pouvoir défier le pouvoir en exigeant une élection présidentielle anticipée et appellent à la grève générale en mai 1991. Je suis à Alger et je vais me promener au centre-ville sur les places occupées par les militants du FIS. Je ne perçois pas d’agressivité, plutôt une confiance en la justesse de leur cause, la conviction de réaliser quelque chose de grand pour le bien de tous, de faire l’Histoire. Les grévistes déchanteront vite. Alors que leur nombre diminue fortement, les places sont évacuées de force et une répression féroce s’abat sur le parti. Les dirigeants sont emprisonnés et des milliers de ses membres sont internés.
Après la démission du chef de gouvernement Mouloud Hamrouche le 4 juin 1991, les élections législatives sont annulées. La magie de cette éclosion démocratique s’estompe un peu plus. Restent tout de même les partis, les journaux, les associations, mais après ce premier coup en juin, une épée de Damoclès plane sur la suite des événements. J’aurais préféré que les élections soient reportées non pas à décembre mais bien plus tard, le temps de faire un véritable bilan. Évidemment que je ne connais pas les manœuvres dans les coulisses, pourtant je suis convaincue que si le FIS sort vainqueur, l’armée interviendra encore une fois. J’espérais que la direction du parti appelle au boycott, mais ses troupes ne l’auraient accepté.
Le FIS remporte 188 sièges du Parlement au premier tour des élections le 26 décembre, il atteindra inévitablement la majorité absolue à l’issue du second tour prévu le 16 janvier. L’atmosphère est à la fois électrique et pesante. Les partis politiques mobilisent une dernière fois leurs troupes mais les militaires accepteront-ils le résultat ? Je suis tétanisée à l’idée d’un putsch, mais je ne veux l’imaginer. Et quand il a lieu le 11 janvier, je suis anéantie. L’ensemble de l’édifice constitutionnel est démoli et une répression implacable s’abat sur le FIS et toutes les structures affiliées. Des milliers de cadres et de sympathisants sont arrêtés et internés. Lorsque je retourne en Algérie quelques mois plus tard, je rencontre des positionnements antagoniques. L’un est imprégné de déception, de colère mais aussi d’inquiétude face à l’usurpation criminelle des premières élections libres, l’autre oscille entre soulagement hypocrite ou franc. Nous nous étripons autour de la justesse de l’intervention militaire et je me bats contre ceux qui soutiennent que si le FIS avait accédé aux manettes la situation aurait été pire. L’armée n’a pas seulement défait le FIS mais l’opposition n’est plus que l’ombre d’elle-même. Et pourtant, la vie reprend un semblant de normalité pour celles et ceux qui ne sont pas personnellement affectés par la répression. Plusieurs faits cependant augurent du jusqu’au-boutisme des « janviéristes », notamment l’assassinat en juin 1992 du Président Mohamed Boudiaf devant les caméras du monde entier. Je me suis dit que ceux qui commettent un tel acte sont capables de bien d’autres horreurs.
En octobre 1993, je décide de séjourner plusieurs mois en Algérie. Je peux enfin suivre les événements au jour le jour et rencontrer des journalistes et des militants pour mieux appréhender la situation. J’ai interrogé le président de l’Observatoire national des droits de l’homme, qui a prétendu qu’il n’y avait quasiment pas d’arrestations arbitraires ni d’exécutions sommaires, peut-être quelques cas de tortures. Tandis que des ratissages de l’armée font des centaines de victimes (mais nous n’en connaîtrons l’ampleur que plus tard), les assassinats d’intellectuels et de journalistes se multiplient. Tributaire de la presse éradicatrice, celle qui attribue tous les meurtres aux « islamistes », il est difficile d’avoir des informations précises. De plus en plus souvent, je me pose la question à qui profite le crime ?
Durant ce séjour, plusieurs moments clefs vont me marquer, je n’en évoque ici que deux. Fin octobre, trois agents consulaires français sont enlevés, prétendument par le GIA. À leur libération, ils portent un ultimatum pour tous les étrangers résidant en Algérie leur intimant de quitter le pays avant la fin novembre. Ma famille est concernée et je vivrai l’exil forcé d’un parent un an plus tard comme un arrachement. Il y en aura d’autres dans les années suivantes. Fin novembre, un autre crime m’intriguera : le cheikh Mohamed Bouslimani, président de l’association caritative El Irshad oual Islah, est kidnappé par une mystérieuse organisation, l’OJAL (Organisation des jeunes Algériens libres, un escadron de la mort anti-islamiste). Sa dépouille est retrouvée deux mois plus tard et le GIA revendique l’assassinat. Comment deux organisations d’obédiences diamétralement opposées peuvent-elles être impliquées dans le même crime ?
Ces questions s’intensifieront à partir de 1994 et dans les années suivantes lorsque je rencontrerai des jeunes réfugiés en quête de protection à l’étranger qui relateront les faux islamistes, les enrôlements forcés dans les milices armées par l’État, les enlèvements, les cadavres des sommairement exécutés jonchant les rues et autres crimes. Bientôt cependant, ce ne seront plus des récits individuels qui nous bouleverseront. Et comme beaucoup j’appréhenderai tous les matins l’annonce de nouveaux massacres commis dans la nuit précédente.
En raison de cette situation à la fois alarmante et difficile à décrypter et l’afflux constant de réfugiés en Allemagne, nous avons créé en 1997 l’association Algeria-Watch dans le but d’informer sur la situation en Algérie et de soutenir les demandeurs d’asile. Jamais nous aurions imaginé que 25 ans plus tard ce travail serait encore d’actualité.
Durant les trente ans qui nous séparent du putsch, deux moments d’espoir nous ont portés : la rencontre à Rome en 1994-1995 de l’opposition représentative proposant une sortie de crise que le commandement militaire a totalement rejetée ; et le Hirak, ce mouvement populaire qui en février 2019 a surpris tout le monde par son ampleur, sa fougue et sa maturité. Si la pandémie et la répression lui ont porté des coups durs, l’esprit du Hirak continue de nous inspirer…
PAR AW · PUBLIÉ JANVIER 11, 2022 · MIS À JOUR JANVIER 11, 2022
Rafik Lebdjaoui, 56 ans, journaliste et membre d’Algeria-Watch, Algeria-Watch, 11 janvier 2022
Tout a commencé ce fameux 5 octobre 1988. Le pays tout entier a changé d’époque du jour au lendemain. La veille, les rumeurs couraient dans tout Alger : « Demain, ça sera la grève générale et tout le monde sera dans la rue. » On n’a jamais su qui était à l’origine de ces rumeurs.
Pour ma génération, née après l’indépendance, qui avait l’impression à l’époque de vivre en noir et blanc, ce 5 octobre a été une immense bouffée d’air frais, ouvrant vers des perspectives inédites. Dans les quartiers transformés en agoras, chacun y allait de sa thèse. Les jeunes, pris d’un enthousiasme contagieux, ont vu dans cet événement qu’ils ne maîtrisaient pas une occasion inespérée pour changer leur vie. Mais les plus âgés étaient plus réservés, voire inquiets, comme si au fond d’eux-mêmes ils ne croyaient pas à la possibilité de changement. Le massacre de dizaines de jeunes le 10 octobre, ordonné par le général Khaled Nezzar, leur a donné raison. Nos aînés, contrairement à nous, connaissaient intimement la nature du régime et ce dont il était capable.
Nous avons aussi découvert la torture qui se pratiquait dans les commissariats et les casernes de la Sécurité militaire. Dans les quartiers, ce sont des gens que nous connaissions qui ont subi la barbarie dans les sous-sols des commissariats. Pour nous, la torture était une horrible pratique coloniale. On avait tous en tête les scènes des films sur la guerre de libération, où on voyait les combattants passés à la gégène ou exécutés par les paras français. Le lien s’est vite fait entre le passé et notre présent. Cela a été un choc brutal, mais la peur ne nous a pas vaincu. Nous avions fait des études, nous avions des rêves, des projets. Nous voulions vivre dignement dans notre pays. Nous étions convaincus d’avoir la capacité d’être les acteurs de nos vies.
Les deux années qui suivirent cette déflagration fondatrice ont été un immense chamboulement. Très vite, des mots nouveaux ont fait leur entrée dans le langage quotidien : démocratie, laïcité, islamisme, constituante, souveraineté, liberté d’expression, boycott et tant d’autres. En quelques semaines, tout est devenu politique. La télévision nationale y a grandement contribué en diffusant des émissions de débat de toutes sortes, où on découvrait des hommes politiques, des universitaires dont on n’avait jamais entendu parler auparavant. On découvrait certes aussi nos différences, nos contradictions et notre inexpérience, mais notre enthousiasme était omniprésent, palliant toutes nos insuffisances.
Cette atmosphère de libération a duré deux ans. C’était un gigantesque atelier d’apprentissage. On a découvert que le pays recelait des hommes compétents, des gens sincères, mais aussi des clowns, des imposteurs et des méga-opportunistes – nombre d’entre eux sont toujours actifs dans le régime, trente ans après le coup d’État.
En 1990, la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections municipales a quelque peu crispé l’atmosphère dans certaines sphères, et on a bien senti qu’il y a eu des sueurs froides. Les médias ont entamé une campagne anxiogène bien orchestrée, préfigurant une autre campagne plus virulente une année plus tard lors des élections législatives.
Tandis que dans les quartiers, l’atmosphère était différente : beaucoup d’Algériens voyaient, peut-être naïvement, en cette victoire un début de changement d’autant que les municipalités pouvaient, à leurs yeux, répondre à leurs immenses besoins parmi lesquels celui du logement. Les jeunes comptaient aussi sur les nouveaux maires pour obtenir des locaux commerciaux et pouvoir ainsi travailler légalement et en finir avec le commerce informel, qui consistait à vendre tout et n’importe quoi sur les trottoirs de la ville.
Mais la gestion des municipalités par le FIS n’a pas été à la hauteur des attentes. Certes, l’incompétence ou l’inexpérience de ses élus n’étaient pas les seules raisons de la piètre performance du parti islamiste : de nombreux facteurs, politiques et juridiques, ont joué contre les nouveaux gestionnaires. Mais il est certain qu’aux yeux de beaucoup l’image du parti a été atteinte.
Des logements et des locaux commerciaux ont bien été distribués, mais cela relevait souvent de l’acte symbolique. Beaucoup d’Algériens se souviennent que le « fait d’arme » le plus spectaculaire des élus du FIS a été le remplacement de la devise « Par le peuple et pour le peuple » au fronton des mairies par « Municipalité islamique ». Cette séquence a fait perdre au parti islamiste quelques plumes, même si beaucoup y croyaient encore.
Pendant que les Algériens découvraient les réalités de la politique, dans les hautes sphères du régime, les conspirations et conclaves battaient leur plein. Le sommet du régime se mobilisait pour la bataille électorale à venir. Début juin 1991, la tension est montée d’un cran, les militants du FIS occupant jour et nuit les places publiques à Alger, principalement la place du 1er mai et la place des Martyrs, pour protester contre la loi électorale qui, selon eux, les défavorisait.
Ce fut une séquence étrange. Deux mondes semblaient cohabiter : d’un côté, les partisans du FIS faisaient preuve d’un activisme intense ; de l’autre, le reste de la population observait leur comportement avec un sentiment mitigé, entre inquiétude et indifférence. Mais l’écrasante majorité n’adhérait pas à la désobéissance civile prônée par le FIS. Hormis quelques débrayages çà et là, la vie suivait son cours, les universités, les écoles, les hôpitaux, l’administration et les autres secteurs fonctionnaient normalement. Beaucoup se rendaient à la place du 1er mai par curiosité pour voir ce qui s’y passait. Des tentes étaient dressées et de temps en temps les chefs du FIS venaient haranguer la foule du haut de la passerelle pour piétons.
La nuit du 4 au 5 juin fut le choc. Les brigades de gendarmerie envahirent les places publiques avec une violence inouïe. Les arrestations se comptèrent par centaines, on rapportait aussi des morts et des blessés, mais personne ne savait au juste ce qui s’était passé. On apprendra le 5 juin que le gouvernement de Mouloud Hamrouche avait démissionné, remplacé par Sid-Ahmed Ghozali, l’homme au nœud papillon.
Au fil du mois de juin 1991, les Algériens ont réalisé que la violence faisait désormais partie de leur quotidien. Les élections législatives, prévues en juin 1991, furent reportées à décembre, l’incertitude s’installait. Les débats enflammés, les controverses politiques cédaient la place à la peur et à l’inquiétude. Au cours de cet été de l’angoisse, la direction du FIS a été arrêtée de manière spectaculaire. Et les Algériens ont découvert ceux qu’on appellera désormais les « ninjas », ces policiers cagoulés à la brutalité illimitée qui seront présents dans leur vie quotidienne au fil des dix années suivantes.
Les élections ont eu lieu le 25 décembre. Comme prévu, le FIS a remporté la mise de façon nette. On se souviendra longtemps du visage livide et de l’expression haineuse du général Larbi Belkheir, ministre de l’Intérieur à l’époque, annonçant la victoire du FIS à la salle Ibn Khaldoun à Alger…
Malgré cette atmosphère de lourde inquiétude, beaucoup gardaient espoir. À l’appel d’Hocine Aït-Ahmed, le chef du Front des forces socialistes (FFS) qui avait obtenu vingt-cinq sièges, des centaines de milliers d’Algériens de tous les horizons ont manifesté à Alger le 2 janvier pour la poursuite des élections. Une atmosphère étrange, mélange de peur, d’inquiétude, d’espoir et d’incertitude, régnait lors de cette marche spectaculaire. Mais au fond, beaucoup pressentaient que les jeux étaient faits. De façon stupéfiante, les images de cette gigantesque manifestation, restée dans les annales du combat démocratique, seront pourtant détournées plus tard par les relais civils de la police politique pour justifier a posteriori le coup d’État en gestation.
Sidérés, les Algériens suivront à la télévision, le soir du 11 janvier, l’annonce de la démission du président Chadli Bendjedid. Une scène étrange où on le voit remettre un document au président du Conseil constitutionnel, tétanisé. Tous deux sont assis sur un fauteuil, aucun d’eux ne s’adresse à la population. C’est une voix off qui annonce la démission. Point final. Le président Chadli Bendjedid disparaît à jamais de la scène politique algérienne,
C’est à l’issue de ces quelques minutes que l’Algérie bascule dans l’enfer des généraux. Des milliers d’hommes sont envoyés dans de sinistres camps d’internement dans le désert. De très nombreux Algériens sans activité politique s’y sont retrouvés, sans comprendre ce qui leur arrivait. Certains sont arrêtés parce qu’ils sortaient la poubelle au moment du passage d’une patrouille de ninjas. D’autres se trouvaient dans une mosquée au moment d’une rafle. Beaucoup avaient seulement le tort d’habiter dans un quartier populaire où ils avaient comme voisins ou amis des militants islamistes.
Dans ces années terribles, la mort devient rapidement une compagne familière, la disparition une visiteuse du soir, la torture et la prison forment la banalité du quotidien. Des milliers d’histoires d’horreur se sont imprimées dans les mémoires, traumatisant des générations entières. Je n’en citerai qu’une.
Un jour, un jeune gars du quartier est embarqué dans la nuit par les ninjas. Il est mis dans le coffre d’une voiture. Les voisins ont vu la scène de leur fenêtre. C’était le couvre-feu, personne ne pouvait sortir, mais tout le monde a entendu le jeune homme crier à pleins poumons : « Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait. » On ne le reverra jamais. Quelques jours plus tard, sa mère est convoquée par les flics pour reconnaître le cadavre de son fils. On lui dira que seul son frère est autorisé à l’enterrer. Le lendemain, un quotidien annoncera dans une brève en dernière page qu’un « dangereux terroriste » a été abattu par une patrouille de police au centre d’Alger. Stupéfaction dans le quartier.
Ce n’est que plus tard que nous avons appris ce qui s’était passé. Un après-midi, le jeune homme était avec ses copains et ses copines dans un bois en train de faire la fête. Une patrouille de ninjas passe par là, s’arrête, tâte le terrain, interroge pour finalement décider d’embarquer les filles. Les gars s’y opposent, une rixe s’en est suivie. Un des garçons fauche un flic, prend ses jambes à son cou puis se réfugie chez lui. C’est lui que les ninjas ont embarqué à la nuit tombée. Quelques jours plus tard, il est présenté comme un dangereux terroriste abattu par les forces de sécurité.
Depuis ce maudit 11 janvier 1992, des dizaines de milliers d’Algériens ont pris la route de l’exil dans tous les coins du monde. De la France aux États-Unis, du Canada en Grande-Bretagne, des communautés d’Algériens se sont constituées. Le pays s’est retrouvé orphelin de ses propres enfants. Ceux qui sont restés ont résisté tant qu’ils ont pu, plongeant très souvent dans le désespoir de voir leur pays dépérir à vue d’œil.
Désespérés par les suites tragiques du coup d’État, la plupart de ceux qui sont partis ont pris leurs distances avec la politique. Le combat était trop inégal. Il a fallu attendre l’explosion joyeuse du 22 février 2019 pour que ces Algériens de la diaspora, devenus des ombres, ressuscitent : ces exilés qui ne se voyaient jamais se sont retrouvés pour défendre une cause qu’ils avaient perdue en 1992.
Tribune de l’Algérie libre