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ALGÉRIE: L’IMPOSSIBLE EQUATION DU POUVOIR

by Redaction LQA

“L’État, le plus froid des monstres froids”
Friedrich Nietzsche, Philosophe Allemand (1844-1900)

L’État Algérien fut dès sa naissance une instance souveraine de décision, structurée par des règles de droit imposées de force, et obligeant les citoyens qui relèvent de sa juridiction à l’obéissance totale.

Une société politique peut être définie généralement comme un état de concorde obtenu par l’imposition d’un droit unique à un ensemble donné de sujets.

Le pouvoir, en ce sens, serait le contraire de la violence, puisque l’affirmation d’un ordre juridique fait sortir la société, une fois qu’elle est instaurée, d’un état de guerre pré-politique, défini comme pure violence. Dans cette l’hypothèse : le pouvoir est déterminé comme ordre juridique institué ; et le droit c’est la paix.

En Algérie, la violence politique n’a jamais disparu du champ social. Elle a pris d’autres formes qui jaillissent indépendamment ou collectivement au grès d’une raison d’État qui ne reconnaît que sa propre raison rendant ainsi caduque l’évidence d’une opposition irréductible entre autorité politique et violence, entre état de droit et état de guerre.

Ces formes ont pour noms : coercitions disciplinaires, la guerre civile perpétuelle, l’État d’exception permanent et le racisme d’État.

L’État, selon la thèse classique, c’est le droit, et le droit c’est la paix. En Algérie ce thème d’un État souverain non-violent ne peut se construire qu’au croisement d’un contenu historique d’une part et d’un discours politique d’autre part.

Le contenu historique, c’est la lente émergence d’une société civile porté par une élite intellectuelle qui réactive le droit primaire, le droit à la libre pensée – tel qu’il se doit d’être réélaboré dans d’une constituante, avec l’objectif d’asseoir une légitimité de son ukase d’abord sur le champ social ensuite sur le peuple en se basant sur le droit public.

Un principe général en ce qui concerne les rapports du droit et du pouvoir : dans la société algérienne, et ceci depuis tout temps, l’élaboration de la pensée juridique s’est faite essentiellement autour du pouvoir militaire.

C’est à la demande du pouvoir militaire, c’est également à son profit, c’est pour lui servir d’instrument ou de justification que s’est élaboré l’édifice juridique de notre société.

Le droit en Algérie est un droit de commande militariste. Tout le monde connaît, bien sûr, le principe fameux, célèbre, répété, ressassé des historiens dans l’organisation du pouvoir; la primauté du civil sur le militaire.

Il ne faut pas oublier aussi la réactivation du droit religieux, vers le milieu des années soixante dix, qui a été le grand phénomène autour et à partir duquel s’est reconstitué l’édifice juridique dissocié après l’indépendance, et qui a été l’un des instruments techniques constitutifs du pouvoir militaire, autoritaire, administratif et, finalement, absolu.

Formation, donc, de l’édifice juridique autour du militaire, à sa demande même et à son profit, lorsque cet édifice juridique, dans les années suivantes, aura échappé au contrôle militaire, lorsqu’il sera à même de le contrôler, ce qui sera en question, ce sera toujours les limites de ce pouvoir, la question concernant ses prérogatives.

Autrement dit, le personnage central, dans tout l’édifice juridique national, c’est le militaire. C’est du militaire qu’il est question, c’est du militaire, de ses droits, de son pouvoir, des limites éventuelles de son pouvoir, c’est de cela qu’il est fondamentalement question dans le système général, dans l’organisation générale, en tout cas, dans le système juridique algérien.

Que les juristes aient été les serviteurs du militaire ou qu’ils aient été ses adversaires, c’est de toute façon toujours du pouvoir militaire qu’il est question dans ces grands édifices de la pensée et du savoir juridiques.

Et du pouvoir militaire, il est question de deux manières : soit pour montrer en quelle armature juridique s’investissait le pouvoir militaire, comment le gradé est effectivement le corps vivant de la souveraineté, comment son pouvoir, même absolu, est exactement adéquat à un droit fondamental ; soit, au contraire, pour montrer comment il fallait limiter ce pouvoir du militaire, à quelles règles de droit il devait se soumettre, selon et à l’intérieur de quelles limites il devait exercer son pouvoir pour que ce pouvoir conserve sa légitimité.

La théorie du droit a essentiellement pour rôle, au cours de l’histoire, de fixer la légitimité du pouvoir : le problème majeur, central, autour duquel s’organise l’approche au droit est le problème de la souveraineté.

Dire que le problème de la souveraineté est le problème central du droit dans la société algérienne, cela signifie que le discours et la technique du droit ont eu essentiellement pour fonction de dissoudre, à l’intérieur du pouvoir, le fait de la domination, pour faire apparaître à la place de cette domination, que l’on voulait réduire ou masquer, deux choses : d’une part, les droits légitimes de la souveraineté et, d’autre part, l’obligation légale de l’obéissance.

Le système du droit est entièrement centré sur le militaire, c’est-à-dire qu’il est finalement l’éviction du fait de la domination et de ses conséquences.

Et par domination, il n’est pas question d’« une » domination globale de l’un sur les autres, ou d’un groupe sur un autre, mais les multiples formes de domination qui peuvent s’exercer à l’intérieur de la société : en premier, le militaire dans sa position centrale, mais les sujets dans leurs relations réciproques et en relation avec le militaire; non pas la souveraineté dans son édifice unique, mais les assujettissements multiples qui ont lieu et qui fonctionnent à l’intérieur du corps social.

Les représentants de l’Eveil National qui dans les jours à venir auront la tache titanesque de réfléchir à l’équation du pouvoir en Algérie, sauront mesurer toute la complexité d’abord à aborder cette question, ensuite de lui trouver une réponse.

Dans cette optique, et après 43 semaines de manifestations, la question lancinante reste : le civil s’est il construit un poids politique suffisant à même de contrebalancer celui du militaire, le véritable et seul pouvoir en Algérie.
Les jours à venir nous le diront !

Khaled Boulaziz

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