Youcef L’Asnami
« Que le Maroc présente d’abord ses excuses au peuple algérien, après les relations pourront reprendre et il n’y aura aucun problème !» C’est la récente déclaration du présidentiable Tebboune avant son élection à la Présidence de la République.
Le candidat Tebboune a tenu à préciser que « La frontière n’a pas été fermée à cause du conflit au Sahara occidental, il faut arrêter de déformer la réalité (….) la réouverture de la frontière avec le Maroc est tout à fait possible, un jour ou l’autre, à condition que les autorités marocaines, pas le peuple, présentent leurs excuses au peuple algérien ».
Rappelons que la frontière algéro-marocaine est fermée depuis le 24 août 1994 suite à l’attentat terroriste perpétré dans un hôtel de Marrakech qui a fait deux morts, attentat que les autorités marocaines ont attribué injustement à l’Algérie. C’est à cette date que le Royaume du Maroc a décidé d’instaurer un visa d’entrée pour les ressortissants algériens désirant visiter le Maroc. Cette décision fut suivie immédiatement par une mesure de réciprocité prise par le Président Zeroual qui est allé plus loin en décidant la fermeture des frontières terrestres mais pas aériennes appliquant ainsi le concept de l’attraction-répulsion dans toute sa laideur.
Le candidat Tebboune a tenu a rappeler qu’ « Au moment des faits, l’Algérie présidait l’Union du Maghreb arabe (UMA) et qu’elle n’a pas été informée par la décision marocaine au préalable » avant de conclure que durant les jours qui ont suivi les attentats de Marrakech et suite à la décision des autorités marocaines, près de 350.000 Algériens « ont été humiliés et se sont retrouvés coincés au Maroc » avant d’être «rapatriés par des bateaux et des bus mobilisés par l’Algérie».
Soit ! Il faut donc que le Maroc nous demande des excuses et la frontière sera peut-être ouverte. Peut-être !
De l’autre côté, et en novembre 2012, les autorités marocaines clamaient que « le royaume n’abandonnera jamais les biens des 45 000 familles marocaines expulsées en 1975 du territoire algérien et annexés en 2010 par l’État algérien » faisant référence à un article de la loi de finances de 2010 autorisant l’annexion au domaine de l’État algérien des biens des Marocains expulsés de ce pays. Cet article stipule qu’ « Il est procédé à l’apurement de la documentation tenue à la conservation foncière des annotations qui ont perdu leur caractère d’actualité à la suite de la dévolution à l’État de la propriété de certains biens immobiliers, consécutivement à des mesures de nationalisation, d’étatisation ou d’abandon par leurs propriétaires. »
Selon les marocains, « les autorités algériennes voulaient à travers l’article 42 de la loi de Finances algérienne 2010, trouver une base juridique pour justifier ce qu’elles ont fait, à savoir transformer tout ce que possédaient les Marocains expulsés arbitrairement d’Algérie (les maisons, les magasins, les immeubles…), en bâtiments relevant de l’administration publique. Et ceux qui n’ont pas été transformés ont été vendus à plusieurs reprises en utilisant des titres falsifiés. Nous avons été en Algérie et avons pu constater ces faits ».
A part cela, le candidat Tebboune a fait part d’ «une forte envie de rétablir les relations entre les deux pays », avant de poursuivre «Les relations entre l’Algérie et le Maroc sont vieilles de milliers d’années et il ne faut pas sous-estimer l’avenir (….) Il y’avait entre nous des relations économiques très fortes et nous n’étions pas forcément les premiers bénéficiaires ».
Du Khawa khawa en haut lieu surtout que le Roi Mohamed 6 l’a félicité pour son élection ». Mais sans excuses officielles du Maroc, les frontières resteront fermées.
En 1975 les marocains ont aussi demandé à l’Etat algérien de « procéder à la restitution des biens que les Marocains possédaient sur le territoire algérien, ou l’équivalent de ces biens en argent » et lui ont exigé de présenter officiellement ses excuses.
Match nul donc entre deux pays voisins que tout uni : l’histoire, la culture, les langues, la religion. Si bien que l’ambassadeur allemand au Maroc conseille aux deux pays de s’inspirer de la chute du mur de Berlin pour se réconcilier.
On imagine mal les dirigeants de ces deux pays demander des excuses. Et combien même le Maroc le fera, je doute fort que la frontière algéro-marocaine soit ouverte. Car il restera aussi l’autre plaie qui divise les deux pays : celui du Sahara occidental.
Toujours est-il que la fermeture de cette frontière n’est pas sans conséquences pour les deux pays. La région d’Oujda, très fréquentée par les algériens avant la fermeture des frontières, a littéralement sombrée dans un marasme économique mais aussi social dont elle ne se relèvera pas.
En réalité la fermeture de cette frontière n’a nullement empêché, et pendant longtemps, la « contrebande vivrière », le trafic des psychotropes, de la drogue, du bétail, des carburants, des produits vétérinaires et d’autres marchandises par les frontaliers.
Fatiha Daoudi qui a consacré sa thèse de Doctorat à l’ « Analyse de situation aux frontières terrestres algéro-marocaines : vie quotidienne d’une population partagée » parle de « déviance routinière », une manière de préserver et de répondre aux besoins spécifiques de la population face à l’inadéquation de la décision de fermeture au genre de vie frontalier.
Mais les frontaliers algériens ont aussi perdu cette possibilité d’aller prendre un bol d’air au Maroc, visiter leurs familles et acheter ce qui leur manque au pays.
Le conflit algéro-marocain ne date pas d’aujourd’hui. Il a toujours été semé par des périodes de tension, des périodes d’affrontement et des périodes d’accalmie et d’espoir de voir les responsables de ces deux pays enfin négocier, sans intervention étrangère, leur devenir.
Le nouveau Président algérien et le Roi du Maroc devraient faire preuve de sagesse pour y parvenir pour l’intérêt des deux peuples.
Dans sa thèse, Fatiha Daoudi cite Howard S. Becker qui affirmait qu’ « Il suffit de remarquer qu’il y a toujours, en fait, des personnes qui imposent de force leurs normes à d’autres, les appliquant plus ou moins contre la volonté ou sans le consentement de ceux-ci. ».
Les algériens comme les marocains subissent les oukases des deux régimes : l’un Républicain, l’autre Monarchique. En dépit de tout bon sens !