Abbes Hamadene
Dans les conflits armés, les choix militaires stratégiques comptent autant que la manière dont ces choix seront reçus et compris par l’opinion. Chaque partie belligérante essaie d’imposer sa lecture du conflit, celle qui communique le plus et le mieux gagne la guerre de communication.
Dans cette bataille, les moyens les plus rusés et les plus rigoureux sont mobilisés à travers la propagande de guerre et ses procédés (désinformation, manipulation, fake news, intox…).
Déjà au 5ème siècle avant l’ère chrétienne, Sun Tzu le grand maitre chinois de la stratégie accordait dans son livre « L’art de la guerre », une place primordiale à la propagande, un livre enseigné encore aujourd’hui dans les plus grandes écoles militaires du monde.
La propagande de guerre se donne souvent les mêmes objectifs :
-Maintenir le moral de ses combattants
-Démoraliser et déstabiliser l’adversaire
-Maintenir la cohésion de son opinion publique
-Gagner celle de l’opinion publique internationale.
LE MENSONGE EN TEMPS DE GUERRE
Edward Bernays ( 1891-1995) est souvent considéré comme le père de la propagande moderne avec Walter Lippman (auteur du livre : « La Fabrique du consentement »). Mais celui qui a le mieux théorisé la question spécifique de la propagande de guerre reste, de mon point de vue, Arthur Ponsonby.
Arthur Ponsonby, Lord anglais, sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères est connu pour son engagement pacifique qui l’a amené à s’opposer à l’entrée de son pays dans la première guerre mondiale 14-18.
Les fonctions qu’il a occupées lui ont permis d’observer et d’analyser les mécanismes et moyens de propagande utilisés par chaque pays impliqué dans cette guerre.
Le fruit de cette observation avisée s’est matérialisé dans un livre qu’il a écrit en 1928, intitulé « Falsehood in wartime », le mensonge en temps de guerre en français. Un livre qui reste remarquablement pertinent et édifiant encore aujourd’hui.
Il révèle la constance et la répétition des mécanismes, des procédés, des méthodes de la propagande au fil des guerres et conflits armés. Seuls les vecteurs de la propagande ont changé avec le développement technologique (on est passé des journaux à la TV, au numérique et réseaux sociaux).
Il a repéré certains principes sur lesquels repose la propagande de guerre. Des principes formulés sous forme de maximes parmi lesquelles on peut citer :
– Le camp ennemi est seul responsable du conflit armé, c’est lui qui veut la guerre ;
– Nous défendons une cause juste et noble et non des intérêts égoïstes ;
– Notre ennemi est diabolique, il commet les pires atrocités ;
– Ceux qui nous critiquent sont les agents ou alliés de l’ennemi barbare ;
– Nous subissons très peu de pertes, alors que celles de l’ennemi sont considérables.
La plupart de ces principes de propagande ont accompagné toutes les guerres et conflits armés (les mains des enfants belges coupées par les allemands durant la première guerre mondiale, les bébés koweitiens tués par les soldats irakiens dans leurs couveuses et plus récemment les bébés israéliens décapités par le Hamas…).
LA PROPAGANDE FRANCAISE DURANT LA GUERRE DE LIBERATION ALGERIENNE
Dès 1957, l’Etat-major de l’armée française confia l’action psychologique au 5ème Bureau pour conduire trois missions : la protection du moral des troupes françaises, le contrôle de l’opinion publique française et l’encadrement de la mainmise totale sur les « populations algériennes ».
Considérant l’importance de la propagande, l’administration coloniale octroya des moyens d’une extraordinaire ampleur au colonel Charles Lacheroy responsable du 5ème Bureau et puis à son successeur, le colonel Jean Gardes.
Des slogans anti-fellagas sont peints partout, les affiches de désinformation, des slogans hurlés dans les haut-parleurs, des panneaux avec photos et légendes sont installés sur les marchés, les cafés maures, les murs, les émissions de radio et des journaux à l’exemple du fameux « Bled », des fausses informations sont fabriquées, des rumeurs et des campagnes de calomnie sont lancées contre les chefs de la révolution …
Consciente du rôle de l’image pour reconstruire le réel et le détourner en sa faveur, l’administration française accorda une place importance au documentaire cinématographique. La propagande portée par ces documentaires avait un message : l’armée française mène des opérations de « pacification » pour protéger les Algériens des terroristes du FLN, elle mène des actions pour favoriser l’éducation, la santé et le bien-être des populations (Plan de Constantine par exemple).
Un documentaire a particulièrement marqué cette campagne, il s’agit du film « L’armée et le drame algérien » qui a connu alors la plus importante diffusion, en Algérie principalement par des « camion-cinémas » sillonnant villages et douars, et dans les salles de cinéma en France et ailleurs.
Ce film-documentaire commence ainsi : « Dans cette Algérie, meurtrie et bouleversée, l’armée française a pour mission essentielle de rétablir l’ordre et l’harmonie entre les deux communautés. Son ennemi numéro un, c’est la peur que fait peser la rébellion sur ces montagnes et ces Douars par le TERRORISME le plus inhumain et le plus barbare. Les assassins font la loi… ».
Aucun mot sur l’utilisation du napalm contre des milliers de civils, ni sur la torture généralisée, ou le déplacement forcé de millions de personnes (la fameuse politique de regroupements des populations).
Face aux atrocités de l’armée française et à l’efficacité de la politique de communication du FLN, la propagande colonialiste n’allait pas faire long feu.
LA HASBARA : LA TERRIBLE PROPAGANDE ISRAELIENNE
Dans les conflits armés, le pays agresseur a le plus grand besoin de propagande pour apaiser les réactions négatives des opinions publiques.
C’est pourquoi les autorités israéliennes ont toujours accordé le plus grand soin et la plus grande importance à la propagande qui se traduit par le mot Hasbara (l’explication en hébreu).
C’est en 1974, dans la foulée de la guerre de 1973, que Shimon Perez avait créé le Ministère de la Hasbara. La dissolution de ce ministère un an après n’a pas mis fin à la Hasbara, mais exprime un changement stratégique en procédant à la répartition de ses missions entre plusieurs départements ministériels, en premier lieu le ministère de la Défense.
La Hasbara pouvait compter sur les défenseurs de l’état d’Israël issus de la diaspora juive (appelés par certains Sayanim) qui pouvaient jouer le rôle de relais dans les médias et la vie publique des pays occidentaux.
L’objectif de la Hasbara est de redorer l’image d’Israël souvent ternie par sa politique meurtrière d’occupation et d’apartheid, attaquer ceux qui s’y opposent et apaiser les réactions négatives des opinions publiques.
Pour ce faire, elle mobilise des moyens démesurés pour mener une propagande dans ses dimensions stratégiques et tactiques en utilisant avec grande efficacité les techniques de manipulation habituelles : la désinformation, l’intox, les relations publiques (groupes de pression, lobbying, influence sur les médias…).
Cependant, ce qui fait la particularité de la Hasbara c’est son utilisation abusive de l’accusation d’« antisémitisme» pour toute personne qui oserait critiquer la politique israélienne.
En effet, toute critique du gouvernement israélien est interprétée par la propagande en une attaque systématique contre Israël qui forme prétendument un tout homogène et uniforme avec tous les juifs du monde.
Accusation sans fondement, puisqu’elle omet que nombre de juifs dans le monde et en Israël même, ne sont pas avares de critiques envers la politique israélienne, notamment sur la question palestinienne et qu’il existe partout dans le monde des juifs antisionistes ou opposés au gouvernement israélien.
Cette accusation d’antisémitisme est d’une redoutable efficacité, étant tellement lourde à porter par de nombreux occidentaux qui vivent encore dans une sorte de culpabilité collective vis-à-vis des juifs.
Cette attitude lâche se traduit par un soutien inconditionnel à la politique israélienne et cautionne de ce fait une inqualifiable injustice : faire payer aux Palestiniens, les crimes de l’Holocauste (la Shoah) et des pogroms commis en Europe par des Européens !!!
LE RAPPORT « SECRET » DE FRANK LUNTZ : UN MODELE DE LA PROPAGANDE ISRAELIENNE
En 2009, un groupe de pression pro-israélien établi à Washington, engage Frank Luntz, un spécialiste de la publicité et de la communication, pour écrire un rapport avec pour objectif : aider les défenseurs de la politique israélienne à redorer l’image du pays en diffusant des éléments de langage auprès des médias de grande écoute aux USA et en Europe essentiellement.
Si ce rapport était placé au départ sous le sceau du secret, il est devenu public depuis qu’il a fuité dans la presse américaine. Pour le moment, il est toujours disponible sur le net sous le titre « The Israël Project’s 2009 Global Language Dictionary ».
Ce rapport composé de 18 chapitres se présente sous forme de recommandations et de conseils à destination des partisans et défenseurs de la politique d’Israël.
L’objectif de ce guide est annoncé dans sa préface : « Nous offrons ce guide aux leaders visionnaires qui sont sur les lignes de front de la guerre médiatique pour Israël. Nous voulons que vous réussissiez dans la conquête des cœurs et des esprits du public ».
Le rapport explique aux défenseurs de la politique israélienne, comment adapter les discours et les réponses en fonction de ce que veut entendre chaque public et va jusqu’à conseiller les mots et phrases à utiliser ou à éviter.
Les médias occidentaux largement acquis à la politique israélienne se conforment souvent au vocabulaire suggéré par ce rapport : « les forces de sécurité » au lieu de l’ « armée d’occupation », « les colons » au lieu de colonisateurs, « les implantations » au lieu de colonies, les Palestiniens « tuent », Israël «se défend » …
Il y a une recommandation qui mérite qu’on s’y attarde, elle concerne la caractérisation du conflit-israélo-palestinien qu’il faut présenter comme un « bourbier avec toute sa complexité » pour éviter de parler d’un conflit entre colonisateur et colonisé.
Le guide de Frank Lutz recommande également d’établir toujours des parallèles entre Israël et l’occident, à commencer par la nécessité de se défendre contre le terrorisme, l’ennemi commun.
Lorsque les journalistes occidentaux acquis à la propagande israélienne insistent avec acharnement à faire le lien entre le Hamas et les attentats terroristes commis en Europe (Paris, Madrid, Bruxelles…), c’est pour faire sentir aux citoyens européens qu’ils doivent s’unir avec Israël afin de combattre l’ennemi commun : « Le terrorisme » islamiste ».
Même Macron n’a pas manqué de reprendre, lors de sa visite récente en Israël, ce terme « d’ennemi commun » qui fait partie de la doxa propagandiste israélienne.
LES CHRÉTIENS SIONISTES : UN SOUTIEN DE POIDS POUR ISRAËL ET SA PROPAGANDE
Aux États-Unis, le mouvement évangélique compte plus 50 millions de fidèles, ces évangélistes intégristes sont de plus en nombreux à apporter leur soutien total à Israël.
L’interprétation de la Bible qui a cours chez un grand nombre des églises évangéliques les conduit à vénérer le peuple juif et l’État d’Israël.
Suivant leur croyance, ces évangéliques voient dans le retour des juifs sur la terre « sainte » d’Israël comme un événement annonciateur de la fin des temps avec le retour du Messie, Jésus-Christ, et l’établissement du royaume de Dieu sur la terre pendant mille ans.
Les chrétiens sionistes ne se contentent de faire des prières, ils mènent un travail de lobbying intense et efficace en faveur d’Israël, notamment au sein du parti républicain et certains cercles démocrates.
Ce lobbying est mené par le biais de puissantes structures à l’image de l’organisation Judéo-évangélique, ou de la National Christian Leadership Conference for Israel (créée en 1967) ou encore le Christian Zionist Congress (fondé en 1996).
Ces organisations, en plus de leur influence sur la politique extérieure américaine relative au Moyen-Orient, ils imprègnent considérablement le discours médiatique qui se contente souvent de relayer la propagande israélienne et ses récits fallacieux des événements .
LA HASBARA MISE EN DIFICULTE
Pendant des décennies la propagande israélienne avait réussi de façon incomparable à propager certains mythes et certaines grilles de lecture devenus l’Alpha et l’Omega du discours politique et médiatique, notamment dans les pays occidentaux.
Avec la mondialisation du numérique, Israël a cherché à adapter sa stratégie de propagande en utilisant les capacités nouvelles offertes par la technologie et en investissant les réseaux sociaux (activer des faux comptes, Youtubeurs …).
Des moyens financiers gigantesques furent mobilisés à cet effet.
La nouveauté dérangeante pour la propagande israélienne (comme pour tout état se nourrissant de la propagande) concerne le fait que les réseaux sociaux transforment les récepteurs en émetteurs potentiels.
Des dizaines de milliers de citoyens du monde, équipés d’un simple téléphone, investissent le terrain de la communication réservé depuis toujours aux seuls journalistes « accrédités ».
En conséquence, la propagande de l’état israélien a de plus en plus de mal à occulter les atrocités de la colonisation dont les Palestiniens paient le prix quotidiennement.
Les images arrivent de partout, elles émanent du journaliste engagé sur le terrain, des militants pacifistes ou de de simples citoyens. Il n’est plus possible de mettre le couvercle sur ce qui peut se passer dans le coin le plus isolé du monde.
La Hasbara aura de plus en plus mal à justifier la politique raciste et colonialiste qui va jusqu’à nier l’existence du peuple palestinien réduit à un ensemble d’infrahumains qu’on doit parquer dans de misérables camps de réfugiés.
Aujourd’hui, il n’y a aucune propagande qui pourrait cacher ou justifier ce projet infâme qui vise à déplacer 7 millions de palestiniens vers les pays voisins. Un projet ouvertement assumé par le gouvernement israélien fasciste actuel.
Nous assistons depuis des années à un alignement total des grands médias occidentaux sur la propagande israélienne. Un alignement devenu, ces derniers jours, hystérique et d’une violence verbale inouïe dont l’objectif caché est de conditionner les esprits pour justifier les pires horreurs et les faire admettre par le plus grand nombre.
Où est passé l’humanité chez ces propagandistes qui restent indifférents devant la cruauté pure et sidérante qui, à travers des bombardements aveugles et quotidiens, déciment des centaines de familles, des civils sans défense et des enfants innocents sortis des décombres, morts ou mutilés, le visage couvert de sang et de poussière ?
Le matraquage médiatique est devenu tellement grossier, caricatural, partial et criant qu’il ne convainc plus grand monde, comme peuvent le montrer les manifestations gigantesques de soutien au peuple palestinien organisées partout dans le monde, malgré les obstacles et interdits (Bruxelles, Barcelone, Londres, Berlin, Paris, Tokyo, Séoul , Sydney, Belfast, Mexico, Dakar, Pretoria..).