Algérie : mort d’Ali Yahia Abdennour, avocat et militant infatigable des droits humains
Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, qui fut ministre sous Boumédiène, est décédé dimanche à Alger. Il avait 100 ans.
Le militant des droits humains Ali Yahia Abdennour est décédé dimanche 25 avril à son domicile à Alger, trois mois après avoir fêté ses 100 ans. De la création de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) au soutien apporté publiquement au Hirak, l’avocat aura été de tous les combats pour les libertés et la citoyenneté en Algérie.
Né le 18 janvier 1921 à Aït Yahia, en Kabylie, Ali Yahia Abdennour a d’abord exercé, comme son père, le métier d’instituteur, après avoir obtenu son brevet d’enseignement moyen à Tizi Ouzou. En 1943, il est mobilisé, envoyé au Maroc pour une instruction dans les blindés. Il fait notamment la bataille des Ardennes, lors de laquelle il est blessé à la colonne vertébrale. Décoré de la croix de guerre, Ali Yahia Abdennour découvre à son retour les massacres du 8 mai 1945 qui ont touché notamment Sétif, Guelma et Kherrata.
Comme pour beaucoup d’hommes de sa génération, c’est un moment de rupture. « Cette tragédie nous a ouvert les yeux sur notre condition de peuple dominé, humilié », résumera-t-il plus tard. Il s’engage au cours de la même année au sein du parti indépendantiste, le Parti du peuple algérien (PPA), qui deviendra le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Il prend ses distances après ce qui est qualifié par les historiens de « crise berbériste », en 1949, provoquée par le désaccord des militants avec la direction du parti sur la définition d’une Algérie arabe et musulmane et la place de l’élément berbère.
De Hocine Aït Ahmed à Houari Boumédiène
Au début de la guerre d’Algérie, en novembre 1954, il est instituteur à Miliana. Il rejoint le Front de libération nationale (FLN) en 1955 et sera arrêté en janvier 1957 à la veille de la bataille d’Alger. Il est interné dans des camps, avant d’être expulsé d’Algérie en novembre 1960 vers la France, qu’il quitte pour Tunis, où il devient le secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA).
A l’indépendance de l’Algérie, en 1962, son parcours est assez chaotique. Après avoir été député de Tizi Ouzou à l’Assemblée constituante de 1962, il rejoint la contestation menée par Hocine Aït Ahmed, fondateur du Front des forces socialistes (FFS), avant de rallier le président Ahmed Ben Bella en 1964. Après le coup d’Etat du colonel Houari Boumédiène, le 19 juin 1965, il est nommé ministre des travaux publics et des transports, puis ministre de l’agriculture et de la réforme agraire en 1966.
Ali Yahia Abdennour quitte la sphère politique en 1967 et reprend des études de droit. Devenu avocat, il est arrêté en 1983 et emprisonné pour ses activités de défense des droits humains. C’est le début d’une seconde vie. Cofondateur de la LADDH, il défend aussi bien les promoteurs de la culture berbère que les communistes ou les islamistes. Quitte à s’aliéner, à cause de ces derniers, une partie de ses compagnons de route.
Si aujourd’hui les hommages sont unanimes, y compris de la part des officiels, Ali Yahia Abdennour a été très souvent vilipendé. Une partie de la presse algérienne anti-islamiste ou pro-pouvoir l’affuble du sobriquet d’« avocat du FIS » (le Front islamique du salut) durant la décennie noire des années 1990.
« Au carrefour de tous les malentendus »
« Depuis octobre 1988, mes prises de position pour la promotion et la défense des droits de l’homme m’ont valu des rancunes tenaces concrétisées par de nombreux articles de presse qui contiennent tout ce que je rejette, la vulgarité intellectuelle, la mutilation de la vérité, l’asservissement au pouvoir. Je me suis trouvé au carrefour de tous les malentendus, où la haine, l’insulte, la diffamation ont fait office de pièces à conviction », racontera-t-il en 2007 dans une interview.
Opposé à l’arrêt du processus électoral après un premier tour organisé le 26 décembre 1991 et largement remporté par le FIS, Ali Yahia Abdennour sera en 1995 l’une des chevilles ouvrières du contrat national signé par une partie de l’opposition algérienne à Rome, chez la communauté catholique de Sant’Egidio. Accusé par certains de « trahison », il rétorque que la défense des droits humains et des libertés ne peut en aucun cas être à géométrie variable.Lire aussi La répression reprend en Algérie contre les militants du Hirak
« Quand les droits de l’homme sont bafoués, je ne cherche pas à savoir si la victime est démocrate ou islamique pour lui porter aide et assistance. Il n’y a pas de différences entre toutes les victimes de la répression, affectées du même coefficient d’humanité, car les droits de l’homme sont au-dessus de tous les clivages politiques ou idéologiques », résumait-il à propos de la ligne à laquelle il s’est tenu toute sa vie avec constance.
Sans surprise, Ali Yahia Abdennour avait apporté publiquement son soutien au Hirak. Dès les prémices de ce mouvement de contestation populaire entamé le 22 février 2019, il avait exhorté l’armée à ouvrir un dialogue avec les protestataires.
Karim Amrouche(Alger, correspondance)